François Zimeray: «Michel Atangana est Français. La France ne l’oubliera pas»

DOUALA - 29 NOV. 2012
© Rodrigue N. TONGUE | Le Messager

Après une audience chez le Garde des Sceaux et une visite à Michel-Thierry Atangana Abega et Maître Lydienne Yen Eyoum, le 27 novembre 2012, l’ambassadeur français pour les droits de l’Homme a livré, le même jour, son sentiment aux journalistes sur la situation des droits de l’Homme au Cameroun et sur le sort de ses compatriotes détenus à Yaoundé.

Face à la presse camerounaise, le globe-trotteur des questions de droits de l’Homme a raconté, ému, comment il a côtoyé rats et cafards dans les différents centres de détention visités. Et le cœur en peine, il a révélé à la presse que l’armée camerounaise l’a empêché d’accéder à la cellule de Michel-Thierry Atangana. Ce qui le rend incapable de dire si son compatriote est détenu dans des conditions humaines. Intégralité de son échange avec les hommes de médias…

Monsieur l’ambassadeur, vous venez de faire le tour des prisons où sont détenus des ressortissants français, qu’est ce que vous avez constaté et comment les avez–vous trouvé?

Je suis venu ici pour attirer l’attention de la communauté internationale sur leurs sorts. J’ai rencontré M. Atangana, il m’a dit « je suis ici pour mourir, je ne demande que l’application du droit international, des droits fondamentaux». Je suis venu dans la cadre de l’assistance consulaire pour m’assurer de ses conditions de détention mais seulement je n’ai pas pu accéder à sa cellule. Je n’ai donc pas pu me rassurer de ses conditions de détention. J’ai fait le tour des lieux de détention, ils vivent dans de mauvaises conditions de détention. Ce sont des faits, je ne suis pas un juge, je ne vais pas rejuger l’affaire ici devant les micros, mais comme tout le monde je l’ai suivi, car c’est une affaire qui est très suivie en France, ne serait-ce que parce qu’elle concerne un compatriote, et j’ai vu qu’un des principaux témoins de l’accusation s’était rétracté mais que l’accusation n’en avait pas tenu compte. Le sort de M. Atangana en dira long sur l’état de droit. Je ne veux rien dire qui puisse aggraver la situation. Je pense que ma présence ici a valeur de message. Je suis venu exprès de Paris en liaison avec les plus hautes autorités françaises pour rendre visite à nos deux compatriotes détenus ici en particulier Michel Atangana mais également madame Eyoum donc je dirais un mot dans un instant. Et s’agissant de M. Atangana, puisque vous m’interrogez sur lui, j’ai trouvé un homme brisé par plus de quinze années de détention, qui se dit innocent de ce dont on l’accuse et qui est particulièrement abattu par le fait d’être rejugé pour des faits très similaires à ceux qui lui ont valu une première condamnation. Il y a un principe général qui est celui de la confusion des peines, je ne sais pas ce que décidera la juridiction spécialement constituée. J’ai pu m’entretenir avec le ministre de la justice, je lui ai dit tout l’intérêt que nous portions à ce cas. M. Atangana est Français, c’est bien normal que la France n’oublie pas ses compatriotes. Vous savez, le procès équitable est une norme internationale qui dit que la présomption d’innocence doit être préservée. Un présumé innocent, c’est un innocent jusqu’à ce qu’il soit condamné définitivement.

Est-ce que les détenus poursuivis sont considérés, regardés et traités comme des innocents ? Le procès équitable, c’est un procès qui se tient dans les délais raisonnables, disent les juridictions internationales. Est-ce que ces délais sont raisonnables ? Un procès équitable, c’est un procès qui fait la part du doute ; le doute devant toujours profiter à l’accusé. Je ne suis pas venu donner des leçons de droit de l’homme, je viens d’un pays qui connaît des problèmes de droit de l’homme aussi, je viens d’un pays qui est parfois condamné par la Cour européenne des droits de l’Homme pour la situation dans ses prisons et j’ai moi-même été avocat pendant suffisamment longtemps pour savoir que nous avons du mal nous-mêmes à nous conformer au standard élevé que nous nous fixons. Mais ce n’est pas parce que nous avons des faiblesses que cela me dispense de dire ce que je pense et ce que je ressens ! Nous sommes venus partager une expérience, celle d’un pays qui essaye d’améliorer la condition pénitentiaire, la procédure pénale avec les autorités camerounaises ; je suis venu aussi encourager tous ceux qui portent la cause des droits de l’Homme ici à commencer par les acteurs de la société civile, des gens qui agissent les mains nues, mais pas seulement, je ne voudrais pas opposer la société civile, ceux qui prennent le risque de leur liberté et parfois le risque de leur vie pour invoquer et défendre les droits ; je ne voudrais pas les opposer à la société politique parce que quand on regarde les choses d’un peu plus près, on se rend compte que dans l’appareil d’Etat et dans l’administration, il y a des gens qui croient au droit et aux droits fondamentaux et qui y travaillent ; je veux les encourager. Ils parlent une grammaire universelle, celle qui exprime partout dans le monde aujourd’hui, ce désir de dignité. Ils mènent un combat qui n’est pas facile. Ce n’est pas le combat encore une fois de la société civile contre la société politique, c’est un combat à l’intérieur de chaque strate de la société et du pays que chacun doit mener. Bref, c’est dans un esprit de compréhension que je suis venu voir, je suis venu écouter, je suis venu dialoguer ; c’est dans cet esprit que se fait ma visite. Et je dois dire que ce que j’ai vu aujourd’hui est tout simplement bouleversant. Bouleversant de voir un homme qui crie son innocence depuis si longtemps ; et alors qu’il s’attendait légitimement à pouvoir être libéré en approchant de la fin de sa peine, reçoit une condamnation dans les conditions que vous savez et qui ont été ici très bien décrites et commentées bien mieux que moi je ne peux le faire. Bouleversant la visite de la prison de Kondengui, les récits des rats, de la promiscuité, du repas ; la vision des chaines aux pieds de certains détenus, les mineurs, ces centaines de personnes qui se pressent sur un balcon non pas pour y humer l’air mais tout simplement parce que c’est le seul endroit où ils peuvent se trouver et passer la nuit en position debout. Les petits corps que l’on retire pour jeter dans une fosse commune lorsque des gens meurent d’étouffement ou de maladie. Bref ces récits épouvantables des détenus ne sont pas d’ailleurs propres au Cameroun. J’ai rencontré dans le monde beaucoup de prisons comme celle-là et ça me fait penser qu’il y a là un vrai combat pour la dignité humaine à mener qui est celui de la condition carcérale sur lequel je voulais attirer l’attention.


Vous n’avez pas pu vous rendre à la cellule de Michel Atangana par convenance ou parce que vous en avez été empêché ?

J’en étais empêché. J’ai pu le rencontrer dans un lieu de détention mais sa cellule elle-même celle où il passe 13h par jour, son accès m’a été refusé alors même qu’au titre de la protection consulaire nous avons mission de nous assurer des conditions de détention de nos compatriotes. J’espère que Madame la consul qui est parmi nous pourra prochainement s’assurer elle-même des conditions de détention en détail de chacun de nos compatriotes détenus ici.


Votre venue ici marque-t-elle la fin du mutisme de la diplomatie de votre pays relativement au sort de Français en difficulté avec la justice à l’étranger ?

Les faits parlent tous seuls. Ma visite a valeur de message. Je ne veux rien dire qui puisse être exploité à l’envers. Si mes propos peuvent vous paraître limités, c’est la seule raison. Ce serait trop facile de dire « il est allé trop loin, il est sorti de sa mission, il vient nous donner des leçons » et ça se retournerait. Dans tous les pays où je vais il y a toujours un sentiment national et toujours la volonté de jouer cette corde-là contre la voix qui vient de l’étranger ; surtout que je viens dans un esprit amical. La France est l’amie, l’alliée le partenaire du Cameroun et nous voudrions accompagner le Cameroun dans une logique de progrès de l’état de droit et de la dignité humaine pour tous ; pas simplement pour les Français. Les deux Français ne sont pas l’arbre qui cache la forêt, c’est peut-être l’arbre qui nous permet d’accéder à la forêt. Vous savez, des fois on peut nous dire vous ne vous intéressez qu’aux Français, on peut dire cela, mais je me pose la question. Mais ce que je dis nous prouve le contraire, le fait qu’il y a des Français nous permet de toucher du doigt une réalité qui ne concerne pas que les Français. Les conditions d’un procès équitable ne concernent pas que les Français, les avocats qui se plaignent du non-respect de la défense ne concerne pas que les Français, les conditions de détention que j’ai vu dans la promiscuité et des chaînes aux pieds ne sont des français. Si vous voulez, à travers le cas de mes compatriotes, je voudrais ouvrir le principe d’universalité des droits de l’homme sur d’autres personnes qui n’ont pas la « chance » d’être Français de pouvoir bénéficier de notre soutien, de notre attention soutenue mais qui méritent tout autant l’attention des médias, de la société civile et politique


Au Cameroun des voix s’élèvent pour dénoncer le relatif mutisme de la France sur la situation des droits de l’homme dans le pays qui est très régulièrement dénoncée par les organisations internationales. Est-ce que votre venue aujourd’hui au Cameroun prouve que les choses changent et que désormais la France sera attentive à la situation des droits de l’homme au Cameroun ?

Il n’y a pas de tabou pour nous et les droits de l’homme doivent être au cœur d’une relation forte et la relation entre le Cameroun et la France est forte. Notre ambassadeur au Cameroun joue un rôle important sur la question des droits de l’homme. Mais évidement il n’a pas forcément la même attitude que moi qui suis avocat et qui ai une assez bonne connaissance des droits de l’homme.


29/11/2012
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