Franc CFA : une voiture à trois roues

Franc CFA : une voiture à trois roues

La parité fixe du CFA est un anachronisme appelé à disparaître. La seule question est de savoir qui en prendra l’initiative. La France ou les pays africains ?
Si la question de l’avenir du franc CFA est souvent agitée, force est de reconnaître que, depuis de longues décennies, c’est bien le statu quo qui constitue sa meilleure caractéristique. Pourtant, l’environnement des pays africains de la zone franc a été profondément modifié et il paraît pour le moins opportun de se poser un certain nombre de questions. Sans toutefois occulter les acquis réels de cette monnaie commune.

Si les pays africains de la zone franc ont appris à gérer ensemble une monnaie garantie par la France, les travaux effectués montrent que cette stabilité monétaire n’a certainement pas permis à ces pays d’enregistrer, pour cette raison, des performances économiques supérieures à celles des autres pays africains.


Par ailleurs et dans la pratique, sauf pendant de très courtes périodes, cette garantie n’a presque pas joué en raison du caractère structurellement créditeur du compte d’opérations. Sous cet angle, la garantie relève davantage d’un confort psychologique (qui est payé au prix fort) que d’une nécessité économique.
Enfin, certains mécanismes de la zone franc, s’ils permettent le rapatriement aisé du produit des investissements, contribuent, dans une large mesure, à entretenir des déséquilibres structurels qui sont lourds de conséquences. Ainsi le Sénégal est-il douillettement installé dans un profond déficit de sa balance commerciale (les importations font en moyenne le double de ses exportations) sans que cela ne se traduise par une quelconque sanction sur le plan monétaire. En d’autres termes, les mécanismes de la zone franc encouragent une forme de paresse économique en entretenant une propension à importer sans aucune relation avec les exportations.

Dans ses échanges extérieurs, le Sénégal vit bien au-dessus de ses moyens. Du reste, il est constant que, depuis des décennies, la part du secteur industriel se rétrécit dans la formation du PIB au profit du secteur tertiaire (les services et notamment le commerce d’importation), ainsi qu’en attestent l’explosion dramatique du secteur dit informel et les difficultés structurelles des PME/PMI locales. Si elles sont adulées dans le discours, dans la pratique elles sont oubliées sur cette question essentielle en termes de compétitivité. Au grand détriment de la création de richesses et de l’emploi dans des pays où les taux de chômage se situent à des niveaux non avouables.  En d’autres termes, les mécanismes de la zone franc encouragent une forme de paresse économique en entretenant une propension à importer sans aucune relation avec les exportations. Dans ses échanges extérieurs, le Sénégal vit bien au-dessus de ses moyens.

Il est plus facile d’importer tout et n’importe quoi de l’extérieur que de prendre le risque de créer une entreprise intervenant dans la production et mise en concurrence, souvent déloyale, avec les productions venues d’ailleurs. Sous cet angle, un petit tour dans les grandes surfaces des pays de la zone franc et dans celles des autres pays africains montre, d’un côté une dépendance absolue vis-à-vis des importations, et de l’autre une volonté de développer des PME/PMI locales qui créent une vraie valeur ajoutée locale. Il est très facile au Sénégal de trouver du sel de Belgique, des arachides de France ou encore des jus de fruit de Dubaï… Que fait-on de la production et des producteurs locaux ?
 
Incohérence

Il est important de rappeler qu’à la suite de la dévaluation intervenue en 1994, le tarif extérieur commun de l’UEMOA a permis une baisse très substantielle des droits de portes. La combinaison de cette baisse au rattachement du franc CFA à une monnaie forte (l’euro) a eu comme conséquence un recul important du taux de protection des entreprises locales et une perte continue de compétitivité. Ce n’est pas la seule incohérence du système.
Ce rattachement du franc CFA à l’euro, dont les fluctuations n’ont rien à voir avec la réalité des économies africaines, et qui est une monnaie très forte, constitue un anachronisme économique qui connaît très peu d’équivalents au 21e siècle. Cette rigidité empêche nos Etats de pouvoir fixer la valeur de leur monnaie sur la réalité de leur commerce extérieur et les prive ainsi de toute possibilité d’utiliser l’instrument du taux de change dans la gestion de la politique économique. En quelque sorte, une voiture à trois roues dont la tenue de route aléatoire semble surprendre…
 

Mécanismes plus souples

Enfin, si la création de la zone franc présentait, à l’époque, un réel avantage pour la France qui était le partenaire commercial privilégié de ses anciennes colonies, la diversification du partenariat et la perte progressive de parts de marché des entreprises françaises dans la zone franc rendent, pour la France, l’outil bien moins attractif que par le passé.

En d’autres termes, il est temps d’envisager des ruptures en profondeur, tout en conservant les acquis d’une gestion commune qui reste un exemple réussi d’intégration économique et un des moyens permettant à nos pays de peser au plan économique. On doit également s’interroger sur la possibilité de fusion entre la zone UEMOA et la zone CEMAC pour des raisons d’échelle a priori évidentes.


Comme tout anachronisme, la parité fixe est appelée à disparaître au profit de mécanismes plus souples, mieux adaptés au développement de la compétitivité de nos entreprises et aux exigences de notre commerce extérieur. La question qui se pose est de savoir qui en prendra l’initiative. La France ou les pays de la zone franc ?
Au moment où nous célébrons, souvent avec faste et parfois de façon folklorique, le cinquantenaire de nos indépendances, repenser la question de notre monnaie est une interpellation moins spectaculaire, mais certainement plus décisive pour l’avenir des entreprises, de l’emploi et de nos pays.
 


MABOUSSO THIAM, CONSULTANT, ANCIEN DIRECTEUR DU CENTRE DE DEVELOPPEMENT DE L’ENTREPRISE, BRUXELLES

Source: Les Afriques



31/03/2011
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