Franc CFA. Couper le cordon monétaire


Le débat qui est aujourd'hui relancé est d'autant plus actuel qu'il pose la question de l'avenir des économies de la zone franc à travers celui du CFA, étant entendu que la monnaie est un instrument-clé dans la gestion des situations de crise économique comme c'est le cas en occident et ailleurs.

ud Quotidien

10000 FCFA Beac

Union monétaire - C'est assez curieux pour le relever. La visite de quelques heures du président français François Hollande à Dakar coïncide pertinemment avec le débat qui occupe, au même moment, les milieux universitaires et autres cercles économiques.

A Dakar-même, sous l'égide du Codesria (Conseil pour le développement de la recherche en sciences sociales en Afrique) et de l'Arcade, loin des lambris politiques assoiffés de visas, les spécialistes réfléchissent, eux, sur la dépendance économique dans laquelle nous maintient le lien du franc CFA avec la monnaie française. Un lien au demeurant si étroit que la France siège au Conseil d'administration de la BCEAO et de la BEAC et que des réunions de la zone franc se tiennent souvent à Paris.

Née avec une cuillère en argent dans la bouche

Mieux, créée le 4 avril 1959, la Bceao a toujours été dirigée par un directeur général français. Le dernier français en est Robert Julienne qui occupa le poste de gouverneur depuis le 28 septembre 1962 jusqu'en 1973. Le siège de la banque était alors à Paris. Avant de passer le flambeau aux africains pour la direction et le siège de la banque, la France exigea la signature le 4 Décembre 1973, d'un nouvel Accord de Coopération et de la nouvelle Convention de Compte d'opérations entre la République Française et l'UMOA.

C'est finalement le 15 décembre 1974 que M. Abdoulaye FADIGA sera nommé aux fonctions de Gouverneur de la BCEAO. Ce dernier va oeuvrer pour le transfert du siège de la BCEAO de Paris à Dakar en Juin 1978 et l'inaugurer le 26 mai 1979.

Si en Afrique Centrale (Zone Beac) la France ne nomme plus que trois administrateurs (sur treize) au conseil d'administration de la Beac, en Afrique de l'Ouest (zone Bceao), la France au même titre que les pays membres, nomme deux administrateurs au conseil et dispose d'une minorité de blocage dans le cas relatif à l'évolution des avoirs extérieurs et, comme en zone Beac, pour procéder à d'éventuelles modifications statutaires. En Afrique centrale cependant, la France intervient encore directement lors de la désignation du gouverneur et du vice-gouverneur de la Bceac.

Aussi, les pays d'Afrique de l'Ouest disposeraient d'une relative émancipation plus marquée que leurs voisins d'Afrique Centrale, mais qui ne fait pas illusion outre mesure étant donné que dans les deux cas, la France conserve des pouvoirs de contrainte, d'intervention et de pression notamment par le biais de sa participation au fonctionnement des institutions monétaires, entre autres.

Deux règles centrales régissent cette union monétaire. D'abord la stabilité du taux de change entre le CFA et le franc, puis l'euro, de l'autre. Ensuite, la garantie par la Banque de France de la convertibilité illimitée du franc CFA. Cela permet aux pays concernés de payer leurs achats à l'international en euro.

En échange, ils doivent déposer sur les comptes du Trésor français la moitié de leurs réserves de change. Le niveau élevé des réserves de changes de la BCEAO auprès du Trésor français, ainsi que le rappelait récemment le Pr. Kako Nubukpo, Agrégé des Facultés de sciences économiques par ailleurs président de l'Association africaine d'économie politique, représenterait plus de 100% de couverture de l'émission monétaire à l'heure actuelle.

Un dispositif qui permet certes d'assurer la stabilité monétaire de la zone franc, mais à quel coût ? Cette stabilité garantie du CFA subit justement les contrecoups de l'évolution du franc français, aujourd'hui de l'Euro à laquelle il est arrimé, à l'aune de la crise actuelle de la zone euro. Autrement dit, un Euro fort nuit à la compétitivité du CFA et partant à celle de la compétitivité des exportations, en particulier agricoles, de ces pays africains qui l'ont en commun comme le Sénégal.

Matière...

Le décor ainsi campé, la question de la souveraineté économique que représente la monnaie est ainsi relancée au moment même où le président français, devant un parterre de représentants du peuple et du gouvernement sénégalais, se dit « convaincu » que les pays ayant le franc CFA comme monnaie commune « doivent pouvoir assurer de manière active la gestion de leurs monnaies et mobiliser davantage leurs réserves pour la croissance et l'emploi ». Comment interpréter ce propos du président français qui semble-là dire aux africains ayant en commun le CFA : « Prenez vos responsabilités ! ». Que nenni !

Car François Hollande ajoute que la solidarité, « c'est la consolidation de la Zone franc. » Et pour bien se faire comprendre, il déclare que « les monnaies communes à l'Afrique de l'Ouest et à l'Afrique centrale constituent un véritable atout, notamment en matière d'intégration régionale, et la stabilité monétaire est un avantage économique précieux. »

A contrario, derrière cette « stabilité », les chercheurs y voient plutôt une « perpétuation » du contrôle de la France sur les économies des pays africains dont les médiocres performances au cours des cinq décennies depuis « leur indépendance », ont contribué à amplifier la controverse sur la question de la monnaie.

Le débat qui est aujourd'hui relancé par le Codesria notamment est d'autant plus actuel qu'il pose la question de l'avenir des économies de la zone franc à travers celui du CFA, étant entendu que la monnaie est un instrument-clé dans la gestion des situations de crise économique comme c'est le cas en occident et ailleurs. Certains analystes n'hésitent d'ailleurs pas à faire, sous ce rapport de la monnaie, la comparaison en indiquant que les 10 pays sur les 15 qui utilisent le CFA font partie des 10 derniers du classement africain en fonction de l'IDH (Indice de développement urbain). Matière à réflexion.

Réflexion faite, le sens des responsabilités est ici invoqué car, avant François Hollande qui les y appelle, Mme Christine Lagarde (actuel Directrice du FMI et ancienne ministre de l'économie française) déclarait récemment : « Ce n'est pas à la France de déterminer si le système actuel est approprié ou non, s'il faut en sortir ou pas. Cette époque est révolue. C'est aux Etats concernés de prendre leurs responsabilités. » Dont acte.

Malick Ndaw

 




17/10/2012
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