Football: la question des entraîneurs européens en Afrique. Considérations sociales et culturelles : le cas du Cameroun

Football: la question des entraîneurs européens en Afrique. Considérations sociales et culturelles : le cas du CamerounLa question des entraîneurs européens en Afrique mérite qu’on s’y intéresse de plus près. Le football fait partie de la société et doit être analysé en tenant compte des réalités sociales et culturelles du pays. Les Camerounais attendent des résultats en football pourtant rien ou presque rien ne "marche" dans le pays. Pourquoi seul le football serait épargné ? L’opium du peuple échappe à toutes logiques.

En s’écartant des ‘’analyses footballistiques ’’ habituelles qu’on nomme gentiment «les commentaires du bar», on finit par aborder les questions de fond sans concession et sans état d’âme.

Nous n’allons pas commenter les récents résultats et le jeu des Lions indomptables, la position de tel ou de tel sur le terrain, ou même encore la liste des joueurs sélectionnés. Ces éléments n’ont vocation à ne résoudre aucun problème. Ce qui doit attirer l’attention en temps de crise, ce sont les causes et non les effets. Il faut qu’on soit clair : le problème du football camerounais et du sport camerounais en général n’est ni le manque d’engagements ou les qualités individuelles des joueurs, ni la liste des sélectionnés ou des non-sélectionnés, ni le manque d’infrastructures, ni même le tribalisme, ni même la corruption et la cupidité.

Il s’agit là des effets de l’absence de projet ou de vision à moyen et à long terme. La corruption et la cupidité sont l’essence même de la colonisation. On ne peut coloniser sans corrompre; or les Camerounais, en toute sérénité, n’ont jamais fait le bilan de l’indépendance afin de définir un nouveau projet social et culturel. Il n’y a jamais eu de rupture avec l’ordre colonial et ses pratiques. Nous en voyons les effets aujourd’hui à tous les niveaux de la nation…même dans le football.

Personne ne peut aujourd’hui dire s’il y a une vision du football camerounais pour les 10, 15 ou 30 prochaines années. Sommes-nous en droit d’attendre des résultats ? Si le talent des joueurs a très souvent permis de masquer les défaillances de la politique sportive du pays, il faut bien croire que l’improvisation finit par ne plus payer.

 

Le titre donné à notre propos est bien « La question des entraîneurs européens en Afrique. Considérations sociales et culturelles : le cas du Cameroun ». En effet, les Lions indomptables du Cameroun ont un nouvel entraîneur ou sélectionneur, l’Allemand Volker Finke, nommé en remplacement du Camerounais Jean-Paul Akono. En réalité, Finke est plutôt nommé en remplacement du Français Denis Lavagne. Jean-Paul Akono ayant été rappelé comme supplétif, en attendant de trouver un «vrai coach». Denis Lavagne arriva après Xavier Clemente (Espagnol) et Paul Le Guen (Français). Depuis ses débuts dans les années 1970, soit depuis 43 ans, l’équipe nationale de football du Cameroun a eu 21 entraîneurs européens contre 4 Camerounais qui restent en poste souvent pour 1 an ou moins le temps de trouver un autre Européen.
 

 

Jean-Paul Akono (2e de gauche à droite) et ses adjoints

Nous voyons déjà certains prendre des raccourcis et nous accuser de racisme. Nous répondons qu’ils n’ont pas à nous affubler des concepts extérieurs à l’univers culturel africain. Dans un passé pas si lointain que ça, ceux et celles qui en Afrique se prononçaient en faveur de leur peuple furent taxés de communiste, de terroriste, d’anti ceci et d’anti cela. Néanmoins, en quoi est-ce que, être pro-camerounais ou pro-africain fait de nous un contre-européen ? Être pro-ndolè ne fait de nous des anti-gratin au fromage. Nous accuser d’être ndolèiste ? Nous l’acceptons volontiers, parce que le ndolè est un concept issu de notre culture. En d’autres termes, le fruit de notre volonté. Donc de grâce, cherchez les pères du racisme et rendez-leur leur enfant.

Pourquoi percevoir toujours les choses en termes d’opposition et non en termes de logique sociale, politique et économique. Pourquoi ce qui est anormal et impensable ailleurs est normal et applicable au Cameroun ? On peut aimer le gratin au fromage, cela ne pose aucun problème jusqu’au moment où les circonstances nous amènent à devoir choisir entre le ndolè et le gratin. On se retrouve donc très vite au-delà de simples considérations gastronomiques. Les enjeux deviennent économiques, sociaux et même politiques. Favoriser le gratin au détriment du ndolè entraînera la faillite des planteurs, des vendeurs et même des mangeurs de ndolè. Faillite économique, faillite culturelle et faillite technologique avec perte du savoir-faire et impossibilité de faire de la filière ndolè un pôle d’excellence.

Le football n’échappe pas à ce schéma. Comment faire du football camerounais un pôle d’excellence ? En continuant comme on le fait à favoriser les Européens au détriment des Africains il se produit alors les choses suivantes : on ne stimule pas de carrières dans le domaine à un haut niveau, on allonge la liste de nos chômeurs, on nourrit le complexe d’infériorité que les siècles de servitude ont soigneusement distillé ans nos esprits. Et sur le plan économique, le salaire de ces Européens dépasse l’imagination pour un pays comme le Cameroun qui n’a aucun stade de qualité, dont le championnat de football local à perdu de son attrait d’antan et où aucun footballeur ne peut décemment vivre de son métier en restant auprès des siens. 
 

Le stade de Douala, plus grande ville du Cameroun
En effet, le salaire du Français Paul Le Guen était officiellement de, tenez-vous tranquilles, 54'000 euros par mois (35 millions de fcfa). Sans compter le salaire de ses assistants eux aussi Français, son assistant-coach Yves Colleu, le médecin Yannick Guillodo et le coordonnateur sportif Alexandre Ribeiro. Le salaire officiel de Volker Finke est de 20'000 euros par mois (13 millions de fcfa). Nous connaissons toutes les difficultés qu’il y a à accorder de tels salaires aux entraîneurs nationaux.

De faux arguments disent qu’ils sont des fonctionnaires et doivent être pour cela soumis à l’échelle salariale de la fonction publique. Le salaire est défini par rapport à un poste et non par rapport à la nationalité des individus. Il doit donc être le même pour tous. Existe-t-il une échelle salariale à la fonction publique pour ceux qu’on appelle des expatriés, en réalité des travailleurs immigrés ? Si nous respections nos échelles salariales, et si ces derniers trouvent les salaires africains trop bas, ils pourraient toujours demander des compensations salariales auprès des gouvernements de leur pays d’origine.

Roger Milla s’est prononcé sur la question en ces termes : « Dites à cet entraîneur qui s'apprête à débarquer au Cameroun de rebrousser chemin sinon nous allons le tabasser avant de le refouler chez lui. Nous ne pouvons pas accepter ces ennemis du pays ». Si les propos du Lion laissent la porte ouverte à toutes les interprétations, on peut néanmoins saisir le fond de sa pensée qu’on peut résumer en ces termes : Milla souhaite enfin qu’il y ait des locaux à la tête de l’équipe. Les réponses des anciens entraîneurs européens des Lions indomptables n’ont pas tardé; le Français Pierre Lechantre dira : « Milla est sanguin, il n'a pas vraiment tendance à réfléchir à ce qu'il dit. Mais là, c'est grave, car il lance ouvertement un appel à la violence, tout en faisant preuve d'un vrai racisme » ; le Français Denis Lavagne : « Il dérape souvent. Cette fois-ci, il est allé encore plus loin, et c'est navrant.

On peut se demander s'il n'est pas un peu xénophobe ou raciste... Mais son intérêt à lui, c'est que la sélection n'obtienne pas de résultat, qu'il prenne la présidence de la fédération afin de nommer un coach qui sera sous son influence ». Les mots sont lâchés ‘’raciste’’, ‘’xénophobe’’, il n’y a pas meilleur moyen d’éviter d’aborder les questions de fond. Il s’agit tout simplement de discréditer l’autre en le faisant passer pour ce qu’il n’est pas. Les racistes ne sont certainement pas au Cameroun. Quant à la xénophobie (la peur de l’étranger), bien il s’agit là encore d’un concept étranger à l’Afrique; et de plus, en quoi est-ce que vouloir privilégier l’emploi des locaux serait déplacé. On doit juger l’idée et non la manière dont l’idée est présentée. On nous répondra que la manière compte aussi…oui c’est vrai…mais bon.

Qu’y a-t-il de mauvais à ce qu’un Camerounais, de surcroit une gloire du football local, veuille prendre la présidence de la fédération et l’organiser selon sa vision ? Il sera jugé au pays du mur comme cela a été le cas pendant sa carrière de joueur. Est-ce que le président de la fédération française ne motive pas le choix de l’entraîneur de l’équipe de son pays ? Soyons un peu sérieux. Et puis, pourquoi ces entraîneurs ne proposent-ils pas leurs services à leurs pays respectifs ? Nous aussi, nous avons des chômeurs à caser et des familles à nourrir. Romarin Billong, ancien joueur de l’équipe de football du Cameroun dira aussi : «Je pense que Milla a une réaction de protectionnisme, qu'il préfère qu'on donne leur chance à des entraîneurs camerounais, ou qu'Akono soit maintenu.

Mais il est allé trop loin. Tous ceux qui ont les compétences pour aider le football camerounais sont les bienvenus». Une aide payée à 13 millions de fcfa/mois n’est pas vraiment une aide, surtout quand des Camerounais gagnent 40 mille fcfa/mois. Et en plus, quand ça fait plus de 50 ans qu’on aide le football camerounais, il faut quand même à un moment donné se poser des questions. Si les Camerounais sont, à tous les niveaux de la nation, incapables de compétences et d’excellence, incapables de se doter de garde-fous afin de circonscrire les abus et la cupidité, il ne faut pas non plus nous faire croire qu’il existe quelque part en Europe un sauveur qui descendra du ciel sur un cheval blanc et tenant dans sa main une épée flamboyante pour compenser nos manquements.

Nous sommes conscients de tous les problèmes et de toutes les dérives au sein de l’instance dirigeante du football camerounais. Mais nous savons aussi que nous avons largement les compétences et le talent pour avoir une équipe nationale performante et un championnat attrayant sur les plans économique et sportif. Le football ne doit pas seulement être l’opium du peuple, mais aussi une source de prospérité économique pour tous les acteurs.

Les arguments populaires et souvent officiels avancés en faveur du choix d’un entraîneur européen sont les suivants :
- Le Cameroun n’a pas de grands entraîneurs,
- L’entraîneur Allemand est imposé par l’équipementier Puma lui aussi allemand,
- À cause du tribalisme nous n’avons pas le choix de prendre un Européen,
- La plupart des joueurs de l’équipe nationale joue en Europe. Un entraîneur européen pourra donc mieux les superviser,
- Les entraîneurs camerounais sont corrompus.

Il est évident qu’aucun de ces arguments ne tient la route. Ceux-ci pourront être analysés dans un prochain texte.
© camer.be : Ahanda Mbock


02/07/2013
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