FOCUS SUR L’OPÉRATION ÉPERVIER : PISTES DE COMPREHENSION

FOCUS SUR L’OPÉRATION ÉPERVIER : PISTES DE COMPREHENSION

CAMEROUN - FOCUS SUR L’OPÉRATION ÉPERVIER : PISTES DE COMPREHENSIONAutrefois les autorités camerounaises avaient lancée une opération baptisée « Brigade Rouge », elle avait été initiée en 1979 pour la lutte Anti-corruption. C’est ainsi qu’apparait en 1980 au congrès de Bafoussam un slogan «  Rigueur et Moralisation », il appelle dans un premier temps à plus de rigueur dans la gestion de l’économie et dans un deuxième temps il condamne de manière énergique la corruption, les détournements de la fortune publique ainsi que la fraude fiscale et douanière. Selon quelques avis, le coup d’État manqué en 1984 aurait favorisé l’évolution exponentielle des malversations vertigineuses au sein de la société camerounaise, il aurait aussi par négligence favorisé l’installation de l’impunité.

On constatera aussi un relâchement total au niveau de l’Igéra (Inspection Générale de l’État). C’est donc ainsi que dans le même cadre de l’opération Anti-corruption, sous la pression des bailleurs de fonds internationaux qu’un ancien premier ministre initie en 2004 une vaste opération judiciaire baptisée « Opération Épervier » placée sous la responsabilité de la police judiciaire.

Selon certains journalistes, la baisse des salaires des fonctionnaires en 1993 suite aux ajustements structurels aurait amplifié les conditions de la corruption. Faudrait-il s’étonner dès lors, lorsque d’un côté un dirigeant d’un parti de l’opposition au Cameroun estime que le Cameroun pays d’Afrique centrale est gangréné par la corruption et l’enrichissement illicite de certains hauts fonctionnaires ? Il ajoute aussi qu’environ 40% du budget de l’État serait détourné annuellement par le biais des marchés fictifs et de surfacturation…D’un autre côté la jeunesse camerounaise se voit sacrifiée parce que leurs ainés ont «  tout mangé ».

Malgré le fait que lors de la campagne présidentielle en 2004 il a été annoncé que «  la fraude et la corruption seront sans pitié sanctionnées », l’indélicatesse dans la gestion de la fortune publique continue d’être à son paroxysme. Cela a été repris en 2005 dans un discours et il était question de dire de manière solennelle, la totale incompatibilité entre les efforts déployés au sein de l’État pour diminuer la pauvreté et le scandale déplorable de l’enrichissement illicite de certains hauts fonctionnaires de l’administration qui sont la source des difficultés de l’État, en d’autres termes, le détournement de fonds publics devrait cesser. Par ailleurs les autorités administratives, habituées à l’incurie et au laxisme du gouvernement savaient que passer des discours aux actes n’est pas traditionnellement camerounais, ou prendrait un temps bien long du fait des lourdeurs administratives.

Cette façon de penser provient du fait que le Chef de l’État tiendrait des langages qui ne correspondraient aucunement à la réalité. C’est alors qu’au cours de son discours en 2006 déplorant toujours le fait que ces fonctionnaires milliardaires ne cessent de « manger » à leur faim au détriment des petits fonctionnaires ; les ainés « mangent tout » au détriment de la jeunesse et cela mine la société dont il est le Chef de l’État ainsi déclara « que ceux qui se sont enrichis aux dépens de la fortune publique devront " rendre gorge " et que les délinquants au col blanc devraient bien se tenir ».

Mettons donc en lumière quelques cas significatifs de détournement des deniers publics. Du côté des petits fonctionnaires c’est des plaintes inconsolables, ils sont résignés. Un député du RDPC aurait souhaité que « maintenant nos amis Européens nous aident à retrouver les fonds détournés qui dorment dans leurs banques » à quelle heure ? Si cet argent retourne serait-il sécurisé ou géré de manière rationnelle au profit du peuple, sachant que l’argent qui entre dans les caisses de l’État ressort difficilement voire jamais ?

Dans le cadre de la pratique de l’enrichissement illicite qui touche aussi les forces de sécurité le cas par exemple des troupes envoyées à Bakassi ne recevaient pas les fonds qui leurs étaient destinés parce que la grande partie du budget mis à leur disposition était détournée et restée à l’État Major à Yaoundé et le reliquat du budget débloqué arrivé à Bakassi était capté par les hauts gradés stationnés à Bakassi donc rien n’était débloqué aux troupes. C’est le même scénario chez les enseignants, ils ne touchent jamais leur indemnité leur permettant de rejoindre le lieu d’affectation. Certains sont contraints de signer un papier disant qu’ils ont reçu cet argent. Comment ne pas soupçonner une distraction maniaque des fonds destinés aux petits fonctionnaires par des délinquants au col blanc ? C’est donc grâce à ces techniques qu’ils deviennent des personnages les plus riches du pays. Nous pouvons noter également :
-des missions et marchés fictifs,
- des primes discrétionnaires,
-l’octroi d’avantages indus
-des surfacturations,
-des dépenses non prévues et souvent nos justifiées,
-des violations de procédures de passation de marché
- l’utilisation des prêt- noms, sociétés écrans dans le cadre des marchés publics
-livraison partielle ou fictive des commandes
- du faux en écriture
-la cession irrégulière ou distraction des biens de l’État,
-les décaissements sans justificatifs,
- le non remboursement des cotisations sociales à la sécurité sociale,
-le non prélèvement ou non remboursement des impôts et droits de taxes par des gestionnaires de fonds publics,
-les dépassements non autorisés des crédits budgétaires,
-la mise en place des réseaux de recouvrement des recettes parallèles aux structures légales.

Dans le cadre de l’Opération Épervier qui enfièvre le pays, on assiste cependant en 2006 à un scandale au niveau de l’établissement public chargé de gérer les Fonds d’Équipement Intercommunal (FEICOM). "Sa Majesté" avait été inculpée pour détournement de fonds publics et cela marqua la fin du règne de l’empereur Rapetou. Cependant l’ANIF (Agence Nationale d’Investigation Financière) avait signalé un virement suspect sur le compte privé du roi Rapetou qui dit avoir voulu « sécuriser » les fonds qu’il a reçu en espèce dans un sac et il ajoutait : «  j’ai peut-être commis une faute de gestion en allant mettre de l’argent public sur un compte privé ».

En 2007 c’est le tour du Port Autonome de Douala (PAD), un haut fonctionnaire est inculpé pour détournement de fonds et écope une sanction de 30ans d’emprisonnement ferme, après appel il est condamné à perpétuité. Il n’y avait plus d’année sans arrestation ; chaque haut fonctionnaire devrait penser à mettre à jour ses archives car le rouleau compresseur est en mode « ON ».

En 2008 un ex-ministre de l’économie et des finances et un ancien ministre de la santé sont arrêtés pour détournement de la fortune publique. Il ne faut plus s’étonner des cas fiévreux enregistrés au sein du pays, c’est sauve qui peut parce que depuis 2006, l’épervier vole très bas et le moindre mal serait de ne pas s’habiller en col blanc car on risquerait d’être confondu. Comme l’a dit un écrivain contemporain, l’achat de l’Albatros appelé par certains journalistes « cercueil volant » fait naître une affaire de l’imbroglio judiciaire. De manière générale, selon le suspect déclaré il lui est porté un message sur haute instruction de la Présidence de la République de remettre leur passeport auprès de la Délégation  Général à la Sureté Nationale (DGSN), l’interdisant s’il vit par exemple à Yaoundé de sortir du département du Mfoundi sauf sur autorisation du DGSN et/ou étroitement filé de façon discrète ou visible.

De manière classique lorsqu’on retire un passeport à un individu, il devrait garder une copie ou alors un document attestant que son passeport est retenu à la DGSN. Pourtant, cela ne s’applique pas toujours pour tout suspect. Toutefois il a le droit de faire objection d’un pour une restriction à sa liberté et de deux le fait qu’un ancien ministre ayant exercé la fonction de ministre des  affaires étrangères ou des relations extérieures a le droit au passeport diplomatique permanent ainsi que leurs conjoints et enfants mineurs parce que seule l’instance judiciaire, d’après les textes nationaux et les conventions internationales, a le droit d’édicter des restrictions à la liberté de circuler. Le suspect en se rendant à la D/PJ (Direction de la Police Judiciaire) est reçu par le Directeur de la D/PJ et un commissaire divisionnaire qui l’informe naturellement qu’une enquête est ouverte sur les malversations supposées lors de l’achat d’un avion présidentiel tout en lui rappelant ses droits et aussi qu’à l’issue de l’interrogatoire il pourrait rentrer chez lui.

Evidemment comme question de routine dans toute enquête il est conseillé au suspect de dire toute la vérité sur les faits afin de faciliter l’achèvement de l’enquête. Avoir servi la République avec probité, efficacité et désintéressement il n’est garantit aucunement que le suspect quittera la D/JP car pour certains cas, ils sont placés directement en garde à vue sur une autorisation expresse du procureur de la République pour être déféré au parquet. L’article 119 du code de procédure pénale dit cependant que lorsqu’un officier de police judiciaire envisage une mesure de garde à vue à l’encontre du suspect, il l’avertit de la suspicion qui pèse sur lui et l’invite à donner toutes explications qu’il juge utiles. En revanche pour les cas frappants, le commissaire notifie la garde a vue du suspect à la fin de l’audition ce que certaines personnes appellent de l’humiliation volontaire à l’endroit du suspect parce qu’au final le but de l’audition n’est pas de rechercher la vérité des faits mais plutôt de mettre le suspect en garde à vue.

Cela peut aussi s’interpréter que les policiers voient en chaque citoyen « un coupable qui s’ignore «. Le déferrement du suspect auprès du « Recteur de l’Université de Yaoundé 3 » (appellation commune du célèbre juge d’instruction qui envoie les proies de l’épervier à l’Université, il rappelle au suspect les faits qui lui sont reprochés et lui signifie sa mise en détention provisoire.  Pour se faire, le suspect doit signer le procès verbal de sa première comparution et il reçoit officiellement une copie de son ordonnance de mise en détention, il sera conduit dans une camionnette de la police pour le pénitencier et c’est la descente à Kondengui.

Au regard de cet argumentaire qui porte non seulement sur la nécessité de l’État à agir de manière efficace et impartiale en toute neutralité dans le but d’assainir l’atmosphère polluée par la corruption et le détournement de la fortune publique au sein de l’administration, mais également sur les techniques de déroulement ou d’enrichissement illicite de certains délinquants au col blanc, ainsi que sur le déferrement de ces derniers en milieu pénitencier, alors il est nécessaire de se poser la question de savoir si l’opération baptisée « Opération Épervier » devrait-être maintenue ou redéfinie ? Parce que d’après certaines sources, bon nombre de  détenus dans le cadre des DDP (Détourneurs de Derniers Publics) sont incarcérés pendant que des véritables DDP jouissent de leur liberté. Comment digérer cela lorsque nous apprenons au niveau des hautes autorités de l’État que les dossiers soumis dans le cadre de l’Opération Épervier sont mûrement préparés avant leur transmission à la justice ? Quel impact cette vaste opération judiciaire pourrait avoir au-delà des frontières camerounaises ?

© Correspondance de : ANN DÉSY, Présidente fondatrice du forum "Les Cop's de Ngoa-Ekellé"


14/05/2012
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