Financement de campagne :Voici le fond de l'affaire

Financement de campagne :Voici le fond de l'affaire
Chirac, le racketteur ; Gbagbo, le racketté...

Le nouveau courrier

L’hypocrisie à l’ivoirienne a visiblement de beaux jours devant elle. Alors que la Françafrique se déshabille en public à quelques mois d’une élection présidentielle française qui s’annonce particulièrement violente, et que sortent des secrets de Polichinelle sur la participation de la Côte d’Ivoire de Laurent Gbagbo au financement de
la campagne de Jacques Chirac en 2002, le camp Ouattara et ses alliés internationaux tentent une fois de plus de travestir grossièrement l’histoire récente de la Côte d’Ivoire. Le fait que le fondateur du FPI ait payé une fois son obole à une mafia internationale qui ne lui a jamais laissé le moindre répit fait de lui, si l’on en croit les idéologues du sarkoouattarisme, un symbole de la Françafrique, au même titre qu’Omar Bongo ou Denis Sassou N’Guesso.

Gbagbo a donc trompé les  Ivoiriens, en les embarquant dans un prétendu combat anticolonial ! Pour peu, ceux qui ont toujours applaudi la brutalité coloniale française en Côte d’Ivoire, qui ont notamment salué les massacres de l’armée française en novembre 2004, se transformeraient pour quelques jours en sankaristes sourcilleux, pour mieux s’adonner à leur oeuvre de «dégbagboïsation » forcenée.

Il faut être clair. Le débat sur la validité de la stratégie de Laurent Gbagbo, nationaliste africain qui a pendant longtemps essayé de ménager les susceptibilités d’une ex-puissance dominatrice qui ne l’a jamais porté dans son coeur, est tout à fait légitime. Mais il doit être mené par les Africains opposés au néocolonialisme et à l’idéologie impériale des Occidentaux. Que des personnes qui doivent tout au système françafricain, dont ils ne se dissocient même pas par une petite nuance, jouent les vierges effarouchées est une imposture qu’il faut dénoncer. Une imposture dont le cynisme peut être résumé ainsi : «Imposons à nos ennemis notre danse indansable.S’ils tentent de composer, on dira aux leurs qu’ils n’étaient pas aussi purs qu’ils le disaient. S’ils restent inflexibles, on leur reprochera d’avoir livré leur peuple au chaos à cause de leur radicalisme !» Ceux qui instruisent le procès de Gbagbo parce qu’il a cédé une fois aux pratiques de la Françafrique sont ceux qui en septembre 2002 l’accusaient d’avoir voulu rompre trop vite avec la tradition et d’avoir conduit la Côte d’Ivoire à l’aventure.

Car les mallettes remises aux émissaires des chefs d’Etat français est un héritage national que Gbagbo a assumé. Robert Bourgi n’a-t-il pas raconté qu’Houphouët-Boigny est allé jusqu’à financer la campagne de Jean-Marie Le Pen (extrême droite) en 1988 ? Il faut pourtant poser les bonnes questions et rappeler des vérités indiscutables face aux éternels contradicteurs des évidences.

Chirac racketteur, Gbagbo racketté

Robert Bourgi, qui met en scène ses révélations intéressées de la manière qui le compromet le moins, oublie de raconter dans quelles circonstances Laurent Gbagbo a accepté de se soumettre à la politique des mallettes. En effet, qui a sollicité l’acte de corruption ? C’est Mamadou Koulibaly qui répond à cette question en racontant comment Robert Bourgi, missi dominici officiel de Jacques Chirac, président français, a explicitement demandé à Gbagbo de contribuer à la campagne de son parrain. En faisant une menace voilée. Si on veut avoir de l’avenir en politique, il faut savoir être généreux, a-t-il dit en substance. La situation s’apparente très clairement à celle que nous vivons tous les jours dans nos rues d’Afrique. Un policier, qui a son arme en main et est capable d’immobiliser les automobilistes pendant des heures voire de les conduire au poste, demande à un chauffeur de taxi de lui donner de l’argent.

Certes, il a la possibilité de refuser, et de commencer un bras de fer qui peut le broyer ou lui permettre de gagner le respect après beaucoup de difficultés. Mais il peut aussi craquer et payer. Parce qu’il doit payer les études de ses enfants et son loyer. Dans tous les cas, il y a un bourreau, le policier racketteur, et une victime, le chauffeur de taxi racketté. Et il est inconcevable que les chauffeurs de taxi qui servent d’indicateurs aux policiers véreux reprochent au racketté d’avoir cédé à celui qui avait de toute façon le pouvoir sur lui. Il est inadmissible que les forces qui se sont mises corps et âme au service de la Françafrique au point de livrer leur pays aux hordes criminelles de Charles Taylor et de Blaise Compaoré en septembre 2002 tentent de tirer profit des contradictions de ceux qui ployaient sous le poids de leur violence multiforme.

Gbagbo, une victime de la françafrique

Dans une interview dont la complaisance est très expressive sur les «réseaux» qui le soutiennent, publiée hier par Le Figaro, Alassane Ouattara essaie d’instrumentaliser l’affaire des mallettes contre Gbagbo tout en trahissant sa gêne dans la mesure où ceux qui l’ont porté à bout de bras pendant de longues années – Blaise Compaoré et Jacques Chirac – sont cités. «J'étais dans l'opposition. Ceci étant, je suis surpris, parce que Laurent Gbagbo disait être un nationaliste soucieux de l'utilisation des deniers publics dans l'intérêt des Ivoiriens. Je note cependant que les chefs d'État cités ont tous démenti et que le président Chirac et M. de Villepin vont porter plainte. C'est une affaire qui ne nous concerne pas», dit-il, elliptique.

Pendant ce temps, les thuriféraires de la Sarkozie en France, servis par la dénonciation sélective de Robert Bourgi, qui affirme pincesans-rire que tout le monde a «bouffé» sauf l’actuel président français, tentent de faire de leur soutien à Ouattara, ami de vingt ans du numéro un français, un exemple de leur soutien à la démocratie contre la  Françafrique. Ils peuvent le faire parce que leurs compatriotes ne s’intéressent pas en profondeur aux dossiers africains, et que les socialistes français sont tout aussi «adolâtres» que leurs rivaux de droite.

En effet, la guerre de la France menée par Sarkozy contre Gbagbo ne relève pas de la rupture mais de la pure continuité chiraquienne. Aucun chef d’Etat dans l’histoire de l’Afrique n’a été autant persécuté par la France que Laurent Gbagbo. Même Sékou Touré ! Gbagbo est le seul chef d’Etat africain qui a subi des attaques militaires aériennes violentes de la France. Il en a subi deux : sous Jacques Chirac et sous Nicolas Sarkozy. C’est le seul chef d’Etat africain à avoir vu ses partisans tués par centaines et en deux épisodes, par les mercenaires de la Légion étrangère française. C’est le seul opposant ayant dans son programme politique la fermeture des bases aériennes françaises qui est arrivé au pouvoir. C’est l’un des premiers historiens africains à avoir déconstruit les mythes fondateurs de la Françafrique gaulliste dans sa thèse, exhumée par Le Monde après sa chute. Gbagbo est une victime de la Françafrique. Une victime qui a cru pouvoir s’en sortir par quelques compromis qu’on peut juger bancals mais une victime quand même.

Et Ouattara ?

Ouattara, de son côté, est un agent de la Françafrique. Ses premiers actes de  gouvernance le montrent. On se plaignait de la concession du port d’Abidjan, octroyée par Gbagbo à Bolloré ? Ouattara a déjà «offert» Air Ivoire, l’hôtel Ivoire et la quasi-totalité des marchés de reconstruction aux entreprises françaises. Ses ministres se plaignent de son «vice-président» omniprésent, le Français Philippe Serey-Eiffel. Nicolas Sarkozy affecte à la présidence ivoirienne des fonctionnaires français s’occupant de la Défense, de la Justice et de l’administration générale... ce qui ne se fait plus dans la plupart des pays africains. En cent jours de pouvoir, Ouattara a fait trois séjours en France, où il possède deux somptueuses résidences. Quand il était  opposant, il bénéficiait, de l’avion à sa maison de Mougins, de la protection rapprochée de gendarmes français, payés par le contribuable français.

Jamais un autre opposant africain en dehors d’Alassane Ouattara n’a été autant soutenu par la France depuis les indépendances. Ses parrains politiques en Afrique ont été Houphouët-Boigny, puis Omar Bongo et Blaise Compaoré. C’est ce dernier et Charles Taylor, autre porte-flingues de la Françafrique, qui ont monté la rébellion grâce à laquelle il est au pouvoir. Selon des révélations du quotidien Le Monde daté du 21 mai 2011, son épouse Dominique gère «le patrimoine contesté de dirigeants africains, à Cannes et aussi à Libreville (Gabon), où feu le président Omar Bongo avait demandé à Mme Ouattara d’ouvrir une succursale». En un mot comme en cent, s’il y a une personne qui devrait être interrogée comme témoin dans l’affaire des «biens mal acquis» qui piétine en France, c’est bien Madame Ouattara.


14/09/2011
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