Faux et usage de faux: Le film chronologique de l'affaire de Mme Kontchou

YAOUNDÉ - 06 Aout 2012
© Marlyse Sibafo | La Nouvelle

Françoise Puene, la seconde épouse de l'ex-ministre Kontchou Kouomegni a été entendue au parquet du Tribunal de grande instance du Wouri dans la matinée du 30 juillet 2012.

Françoise Puene, la seconde épouse de l'ex-ministre Kontchou Kouomegni a été entendue au parquet du Tribunal de grande instance du Wouri dans la matinée du 30 juillet 2012. Son complice Paul Hyol, maire de Massok Songloulou, le 31 juillet. Des auditions qui ont débuté quelques jours auparavant par celle de Pierre Mbianda, présenté comme un déclarant en douane. Seulement, si rien n'a filtré de ces différentes auditions, nos enquêtes nous permettent aujourd'hui de reconstituer le puzzle et de comprendre pourquoi un responsable du ministère des Transports se trouve mêlé à cette affaire d'un faux document portant le sceau de la présidence de la République et la signature de Ferdinand Ngoh Ngoh, le secrétaire général à la présidence de la République.

«Nous avons l'honneur de solliciter de votre bienveillance une exonération de fortes pénalités de stationnement des équipements visés sur le connaissement. Suite à des difficultés rencontrées envers les autorités administratives et douanières pour l'obtention des documents facilitant le dédouanement dans le délai aux investisseurs chinois qui sont exonérés de certains droits et taxes. Nous vous prions de nous accorder votre appui auprès du directeur général du Port autonome de Douala (Pad) pour permettre de finaliser les opérations de dédouanement de ces équipements importants (qui pourrissent depuis bientôt huit mois dans l'enceinte portuaire) destinés à la transformation locale (sic) du bois en contre-plaqué susceptible d'assurer des emplois aux Camerounais. Aussi conscient de votre sollicitude envers l'esprit d'initiation et de votre engagement à mener la politique des grandes réalisations de son Excellence le président de la République Paul Biya, je vous saurai gré de tout le soutient (sic) que vous voudrez bien apporter à ce projet». Ce sont en ces termes que le 26 janvier 2012, les responsables chinois de la société Cameroon Long Yuan Company s'adressent au ministre des Transports. Dans cette correspondance, ils demandent au ministre camerounais une exonération des pénalités de stationnement dont le montant exigé par Transimex se chiffre à 234 213 201 FCFA. Le service du courrier du ministre des Transports reçoit ladite correspondance le 15 mars 2012. Le lendemain, c'est-à-dire, le 16 mars 2012. Dès qu'il reçoit sur sa table la demande d'exonération de cette firme chinoise dont l'objet social est en soi tout un programme (exploitation forestière, transformation de bois, agropastoral), Mefire Oumarou, ministre délégué des Transports, pour des raisons de diligence et de pragmatisme, soutient-on aujourd'hui, fait preuve d'une prompte mansuétude à l'égard des Chinois de la Cameroon Long Yuan Co. Ltd, puisqu’il adresse le même jour une correspondance au Dg du Port autonome de Douala. «Le directeur général de l'entreprise Cameroon Long Yuan Co. Ltd vient de me saisir relativement aux pénalités de stationnement des équipements destinés à la transformation locale du bois en contre-plaqué au Cameroun». Commence-t-il sa correspondance sans toutefois se douter que derrière la société des Chinois, se terrent discrètement les membres d'un vaste réseau de faussaires. «J'ai l'honneur de vous demander poursuit-il sans sourciller, vu l'importance et de l'impact de ces équipements dans la mise en œuvre des projets envisagés avec le gouvernement chinois, de bien vouloir procéder à l'exonération des pénalités de stationnement du BL N°Jitlk 02 2012 du navire Hui Shun Hai, de me rendre compte». Ce sont donc les termes de cette correspondance déterminante qui va permettre à la bande à Mme Françoise Kontchou d'obtenir l'exonération des pénalités de stationnement, qui par la suite va faciliter la sortie des engins du Pad.

Qu’eussent fait les faussaires si Mefire Oumarou n'avait pas accédé à la demande des Chinois de la Cameroon Long Yuan Co. Ltd? Seulement de nombreux observateurs indiquent, pour répondre à cette question lancinante qu'on ne saurait aujourd'hui tourner la page des bisbilles et des suspicions actuelles sans regarder autrement cette promptitude avec laquelle le ministre Mefire Oumarou décide de voler au secours des Chinois. Pour eux, tout en se demandant pourquoi lui et non Robert Nkili, le ministre des Transports, c'est comme s'il a suffi que les Chinois claquent les doigts pour obtenir avec une étrange et inhabituelle célérité les faveurs ministérielles, n'arrêtent-ils pas de susurrer en petits comités dans les allées du ministère des Transports. D'autres vont même jusqu'à se demander clairement si Mefire Oumarou était dupe ou complice en décidant de voler au secours des Chinois.

Ces soupçons proviennent davantage des proches du ministre Robert Nkili qui ne comprennent pas que les faussaires aient uniquement choisi de ne s'adresser qu'au ministre délégué. Ce qu'on contredit dans l'entourage de Mefire Oumarou quand on indique qu'il n'aurait tout simplement rien vu, ni rien soupçonné quand il a sur la table, le 16 mars 2012, la correspondance de Chinois de la Cameroon Long Yuan Co. Ltd. «Le ministre délégué ne savait nullement que derrière ces Chinois, manœuvraient des faussaires camerounais», entend-on par-ci. «En l'absence du ministre Robert Nkili préoccupé par les dossiers de la Cémac, il a voulu faciliter la tache aux investisseurs chinois au moment où notre pays est montré du doigt pour ses lenteurs administratives par la communauté internationale», claironne-t-on par-là.


Faux en écriture publique

De toutes les façons, avons-nous noté dans nos investigations, tout a semblé marcher sur les roulettes jusqu'à ce que des enquêtes diligentées par la présidence de la République révèlent le pot aux roses. A savoir qu'après avoir ainsi obtenu l'exonération des pénalités de stationnement, ceux qui manœuvrent derrière l'entreprise chinoise produisent un faux document ayant l'entête de la présidence de la République et la signature de Ferdinand Ngoh Ngoh, secrétaire général de la présidence de la République, pour être exemptés du paiement des frais d'acconage et d'autres taxes importantes au niveau de la douane. Ceux qui connaissent bien ce dossier explosif précisent que cette pratique de faux documents estampillés du sceau de la présidence de la République était déjà devenue, pour cette bande de faussaires dont les complicités sont soupçonnées dans la quasi-totalité des services de la douane camerounaise, la norme. Une accusation confirmée par ceux qui indiquent que c'est depuis l'époque de Marafa Hamidou Yaya, secrétaire général de la présidence de la République. Autre accusation à peine croyable: les faussaires auraient volontairement choisi de ne pas verser les fonds reçus de leurs partenaires chinois dans les caisses de l'Etat, pour user de subterfuges divers. Malheureusement, un sombre coup de fil d'un complice mécontent met tout le manège à nu.

C'est en ce moment que l'affaire va prendre un tournant rocambolesque lorsque Ferdinand Ngoh Ngoh décide de voir plus clair. Le 6 juin 2012, il adresse donc à cet effet une correspondance au ministre des Transports en ces termes: «j'ai l'honneur de vous demander de bien vouloir confirmer l'authenticité éventuelle de la lettre N°00628/Mindel/Cab du 16 mars 2012, jointe en annexe, relative à l'objet porté en marge, compte tenu de ce qu'une correspondance sur ladite affaire, attribuée à la présidence de la République, s'est avérée être un faux en écriture publique».

Pour l'entourage de Mefire Oumarou, c'est cette lettre de Ferdinand Ngoh Ngoh qui permet de dessiller ses yeux sur le caractère frauduleux de la démarche de ceux qui jusque-là se cachaient derrière l'entreprise chinoise. Ainsi pris la main dans le sac d'une demande d'exonération qu'il n'aurait jamais adressée à Emmanuel Etoundi Oyono, Dg du Pad, le ministre délégué auprès du ministre des Transports décide courageusement, le même 6 juin 2012, de donner réponse à la demande du Sg/Pr.


Bonne foi

«Faisant suite à la correspondance d'objet et de référence repris en marge, j'ai l'honneur de vous confirmer l'authenticité de la lettre N°00828/Mindel/Cab du 16 mars 2012, régulièrement enregistrée au bureau du courrier départ du ministère des Transports et adressée au directeur de l'entreprise Transimex», avoua-t-il avec un mélange très stoïque de dignité, de rage contenue et de rancœur indicible envers les faussaires. «En effet, cette correspondance répondait à une requête de l'entreprise des Travaux publics, Cameroon Long Yuan Company Limited, qui, après avoir été frappée de lourdes pénalités de stationnement de ses engins de travaux restés longtemps en souffrance dans l'enceinte portuaire de Douala, a sollicité l'intervention du ministre des Transports. Ce séjour anormalement long de près de 72 engins dans le port a pour principales conséquences: l'engorgement de l'espace portuaire et le renchérissement des coûts des opérations portuaires dû aux délais non économiques d'escale des navires au port, le détournement des investisseurs étrangers vers d'autres destinations. Ce qui infléchit de facto sur la compétitivité du port de Douala dans la côte occidentale d'Afrique. Les dispositions des textes organiques du Port autonome de Douala sur les pénalités de stationnement les répartissent à égalité entre le transitaire et le Port autonome de Douala à raison de 50% chacun. Comme il est d'usage, le ministre des Transports peut demander auprès du transitaire un abattement sur les surestaries, compte tenu de l'impact du projet envisagé ou en cours sur le développement économique de notre pays. Cette demande n'oblige en aucun cas le transitaire concerné». Ainsi conclut-il sa correspondance, fondé sur l'idée de sa bonne foi et de la compréhension du secrétaire général de la présidence de la République. Le 18 juin 2012, Mefire Oumarou, toujours avec la même déroutante sincérité, décide de revenir sur sa décision relative à l'exonération des pénalités de stationnement accordée quelques temps auparavant à la société chinoise. «Il me revient que vous aurez reçu de plusieurs intermédiaires autres que le signataire de la requête qui m'a été adressée, des demandes d'exonération soit disant signées des hautes personnalités de la République», écrit-il au Dg du Port autonome de Douala, avant de poursuivre: «En effet, sur la base de la requête de l'entreprise Cameroon Yuan Company Limited signée par un Chinois (Cf copie de la requête) je vous avais demandé (Cf ma lettre citée en référence), vu l'importance et l'impact des équipements destinés à la mise en œuvre des projets envisagés avec le gouvernement chinois, de bien vouloir procéder à l'exonération des pénalités de stationnement du BL N°Jitlk02 du navire Hui Shun Hai. Si les allégations de faux et usage de faux en écriture publique dans ce dossier s'avéraient fondées, je vous invite à reconsidérer votre remise exceptionnelle des pénalités de stationnement et de procéder à un redressement contre cette entreprise». Alors qu'au ministère des Transports les détracteurs de Mefire Oumarou se pincent le nez et rient sous cape devant un tel retournement des choses, de son côté Emmanuel Etoundi Oyono instruit le Dg de Transimex de reconsidérer les termes de la correspondance N°198 Cf/Dpopo/Dex/Dg/Pad du 19 mars 2012 qui accorde une remise exceptionnelle des pénalités de stationnement pour un montant de 208 597 943 FCFA à la société chinoise Cameroon Long Huan Company Ltd.


Bordereau électronique

«Nous constations, indique le Dg du Pad dans sa correspondance du 20 juin 2012, que cette remise des pénalités procède de manœuvres déloyales et de faux documents ayant induit le ministre délégué auprès du ministre des Transports en erreur. Nous vous informons de la réinstallation, de Cameroon Long Huan Company dans l'intégralité des pénalités de stationnement et vous demandons par conséquent de sommer votre client, de procéder sans délais au remboursement des sommes dues au titre de ces pénalités, sans préjudice des poursuites judiciaires engagées à son encontre». Profondément contrariés d'avoir ainsi été induits en erreur, Mefire Oumarou et Etoundi Oyono entreprennent dans la foulée de récupérer les engins. Malheureusement sur le site de la société chinoise, aucune trace de tous ces engins. On les retrouvera quelques semaines après à la résidence de Paul Hyol à Edéa. Le maire Massok Songloulou était donc cette main scélérate tapie dans l'ombre de la société chinoise Cameroon Long Huan Company. Appâté par les perspectives de profit exorbitant en mettant en branle leur entregent, il avoue par la suite qu'il évolue sous la férule de Mme Françoise Kontchou qui serait à la tête d'un vaste réseau de faussaires en tout genre, ayant décidé de s'approprier les biens publics par tous les moyens.

En grossissant la loupe encore un peu, le résultat des fins limiers serait encore plus saisissant, nous confient ceux qui n'ont pas arrêté d'accabler Mefire Oumarou, comme l'un des complices du gang de Mme Kontchou. Des accusations qui font pourtant plastronner les proches du ministre délégué qui pensent qu'il flotte sous les plafonds dorés du cabinet ministériel de Robert Nkili un parfum de chasse aux sorcières et de règlement de comptes depuis que des divergences opposent le ministre des Transports à son ministre délégué, à propos des détournements massifs des recettes prélevées sur les cargaisons maritimes. Un autre gros scandale financier sur lequel nous reviendrons dans nos prochaines éditions. Sur la sellette: le bordereau électronique de suivi de cargaisons maritimes. Signe de cette tension: la détermination de Robert Nkili à voir son ministre délégué retrouver par tous les moyens la bande à Mme Kontchou à la prison centrale de New-Bell. C'est d'autant plus évident que toutes les traces des différentes correspondances relatives à ce dossier des engins chinois ont mystérieusement disparues dans les services concernés du ministère des Transports.


07/08/2012
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