Evocation: Yaoundé sous la télécommande de Paris - Comment les présidents français influencent la succession au sommet de l'Etat du Cameroun

YAOUNDÉ - 16 Avril 2012
© Boris Bertolt | Mutations

"la France obtient en 1921 pour administration sous mandat, une partie du Cameroun allemand appelée Cameroun oriental. Depuis cette date, Paris ne va cesser d'influencer les décisions de Yaoundé. Au point où l'élection présidentielle est l'objet de toutes les attentions du côté du palais présidentiel d’Etoudi..."

Après la signature du traité germano-Douala du 12 juillet 1884, la France ne rêvait plus d'étendre son empire colonial au Cameroun. Elle dût d'ailleurs en 1912 céder une partie de la République centrafricaine actuelle et du Tchad pour arrêter les velléités impérialistes de l'Allemagne sur le Maroc. Le virage intervient aux lendemains de la première guerre mondiale où, suite à la défaite de l'Allemagne, la France obtient en 1921 pour administration sous mandat, une partie du Cameroun allemand appelée Cameroun oriental. Depuis cette date, Paris ne va cesser d'influencer les décisions de Yaoundé. Au point où l'élection présidentielle est l'objet de toutes les attentions du côté du palais présidentiel d’Etoudi.

Après la loi cadre de 1956 qui offre aux Camerounais la possibilité d'avoir leur propre exécutif, la France va placer en mars 1957 à la tête du Cameroun André Marie Mbida, qu'ils qualifiaient de «nationaliste modéré». Ceci au détriment des leaders de l'Union des populations du Cameroun (Upc) qui avaient engagé la lutte armée depuis 1955. Quelques mois plus tard, en février 1958, Jean Paul Ramadier, haut commissaire de France au Cameroun fomente la destitution d'André Marie Mbida, qui estimait que le Cameroun n'était pas prêt pour l'indépendance. Il demandait 10 ans de plus pour former une élite locale. Paris, qui l'avait installé n'était pas de cet avis. Il est débarqué au profit d'Ahmadou Ahidjo.

A cette date, ce dernier occupait le poste de ministre de l'intérieur. Pourquoi lui? parce qu'il était un francophile avoué et dévoué à la France. Abel Eyinga dit de lui qu'il était à l'Assemblée de l'Union française «le parlementaire camerounais le plus jeune, mais le plus paresseux». C'est à lui que la France confiera les rênes du Cameroun jusqu'à son accession à l'indépendance. Pour jurer fidélité à Paris, le 31 décembre 1958, Ahmadou Ahidjo signe les tout premiers accords de coopération avec la France, alors même que la date de la proclamation de l'indépendance n'était même pas encore arrêtée. Celle-ci ne le sera qu'au mois de mars 1959 à New York, soit trois mois plus tard, au cours de la session spéciale des Nations Unies consacrée au problème camerounais. L'indépendance du Cameroun est proclamée le 1er janvier 1960.

A la tête du pouvoir, Ahmadou Ahidjo suivra de très près les changements de personnes à la tête de l'Elysée. L'histoire retiendra qu'il était très fidèle au général de Gaulle, qu'il écoutait avec «assiduité». Après la démission du général, il tomba dans une zone d'incertitude. Une incertitude renforcée par l'arrivée au pouvoir de Pompidou. Dans sa crainte de changements de la politique africaine de la France, Houphouët Boigny (Côte d'Ivoire), Ahmadou Ahidjo, Tombalbaye (Tchad) et Bokassa (Rca) souhaitent écrire une lettre collective à Pompidou pour lui demander de maintenir Jacques Foccart aux affaires africaines. Comme le souligne ce dernier dans un entretien avec Philippe Gaillard.

Mais l'homme que craignait véritablement Ahidjo est finalement arrivé au pouvoir pour devenir le premier président de la gauche française: François Mitterrand. Jacques Foccart raconte que le premier président de la République du Cameroun lui a confié un jour que: «l'élection de Mitterrand serait catastrophique pour lui». Cette élection intervint en octobre 1981. Ahmadou Ahidjo démissionnera en novembre 1982. D'aucuns parleront d'un «coup d'Etat médical» ourdi de Paris pour pousser le président Ahidjo à la démission.

Quoiqu’il en soit, les raisons de cette démission restent jusqu'aujourd'hui non élucidées. Mais le changement de régime à la tête de l'Elysée semble avoir influencé largement la décision de l'ex-chef d'Etat. Foccart souligne qu'en «France comme au Cameroun, Ahidjo a surpris tous ses amis». Abel Evinga affirme que «c'est François Mitterrand qui lui (Ahidjo) a dit de s'en aller parce que son temps était terminé et qu'il mette à sa place Biya». Enoh Meyomesse, autre analyste de la scène politique camerounaise, raconte s'agissant d'Ahidjo qu'«En 1981, quel est l'événement qui lui tombe dessus? C'est l'élection de François Mitterrand qui a été plusieurs fois candidat contre tous les présidents de la droite à commencer par De Gaulle. Il croyait que Mitterrand ne sera plus jamais candidat, finalement les Français lui donnent l'Elysée. Mais qui était Mitterrand pour Ahmadou Ahidjo? C'est l'avocat qui était venu défendre les gens qu'il avait condamné à mort ici. Mitterrand avait pris la tête d'un collectif d'avocats pour défendre les gens ici tout en étant chef de l'opposition française. Alors quand il débarque à l'aéroport, il est interdit de séjour au Cameroun, il reste à l'aéroport jusqu'à ce qu'il prenne un avion pour rentrer en France. C'est une humiliation que Mitterrand n'avait pas digérée». La place fût cédée à Paul Biya.


La Baule

A son arrivée au pouvoir, contrairement aux craintes de nombreux chefs d'Etat africains imposés au pouvoir par la France, François Mitterrand ne modifiera pas grand-chose à la politique africaine de la France. Depuis ses premiers rapports avec l'Afrique, il avait toujours été favorable à des liens de proximité entre Paris et ses anciennes colonies. Mais Foccart sera mis en temps en retrait au profit de nouveaux visages tels que celui de son fils, Jean Christophe Mitterrand.

Paul Biya restera fidèle à Mitterrand. A titre d’exemple, présent à la Baule, le 20 juin 1990, lorsque «Tonton» prononce le fameux discours: «Je conclurai, Mesdames et Messieurs, en disant que la France liera son effort de contribution aux efforts qui seront accomplis pour aller vers plus de liberté.». Paul Biya s'y met et déclare, sur le perron de l'Elysée, au sortir d'un entretien avec le locataire des lieux: «Je ne crois pas démentir la pensée du président qui pense que je suis le meilleur élève» de la France. En contrepartie, l'Elysée soutiendra par tous les moyens l'actuel chef de l'Etat du Cameroun face aux mouvements de contestations qui ont suivi le discours de la Baule. Et ceci jusqu'au terme de son deuxième mandat en 1995. Mitterrand décède le 8 janvier 1996. Contrairement aux autres chefs d'Etat, Paul Biya ne se rendra pas aux obsèques.

Fort du retour de la droite au pouvoir avec Jacques Chirac en 1995, Paul Biya retrouvera les grands amours de la Françafrique. Le Pr Laurent Zang, enseignant à l'Institut des relations internationales soulignait alors que: «Jacques Chirac et Paul Biya sont de la même génération. Ils ont pratiquement le même âge. Ils se sont très bien entendus. Cela traduit bien que le président Biya et le président Chirac s'entendaient parfaitement». Mongo Béti affirma d'ailleurs dans l'un de ses ouvrages que Biya aurait versé d'importantes sommes d'argent pour les campagnes de Jacques Chirac. Ce d'autant plus que Chirac réintégrera Foccart à la cellule Afrique de l'Elysée dès son arrivée.

Jacques Chirac n'est pas Sarkozy. Depuis son élection à la tête de la France, Nicolas Sarkozy n'a effectué aucune visite au Cameroun. Une première sous la cinquième république française. Plus, Paul Biya n'a eu droit qu’à une seule audience officielle à l'Elysée. C'était le 24 juillet 2009. Depuis lors, plus rien. Paul Biya se contente d'entrevues avec Nicolas Sarkozy lors des sommets France-Afrique (le dernier s'est tenu à Nice du 31 mai au 1er juin 2010), de la Francophonie (la dernière fois à Montreux en octobre 2010), de la fête nationale française lorsqu’il y est convié, comme c’était le cas le 14 juillet 2010.




Postures: Sarkozy, Hollande et la Françafrique

Les candidats de la droite et de la gauche jurent de bousculer l'ordre établi, avec pour le premier un bilan colorié de désillusions.

Que cherche Laurent Fabius sur le continent africain? Entre décembre 2011 et février dernier, révèle l'hebdomadaire panafricain Jeune Afrique (J.A), l'ancien Premier ministre français s'est rendu au Bénin, au Togo et au Gabon où il a rencontré les trois chefs d'Etat de ces pays. Ces visites successives (l'on annonce une autre en Côte d'Ivoire) qui interviennent en pleine campagne électorale en vue de la présidentielle 2012 en France ne sont certainement pas fortuites. En effet, ainsi que l'indique l'association «Survie», très active dans la lutte pour la mise à mort de la Françafrique, «si Laurent Fabius n'est pas officiellement dans l'organigramme de campagne du candidat socialiste, il a néanmoins été missionné pour préparer le programme des «cent jours» de gouvernement de François Hollande», au cas où ce dernier est déclaré élu le 6 mai prochain.

Le changement ne semble donc pas être pour maintenant, voire pour demain dans la relation franco-africaine. Même si, le choc de mots et le poids des idées du favori des sondages, François Hollande, peuvent laisser entrevoir un électrochoc. En effet, dans son discours d'investiture le 22 octobre dernier à la Halle Freyssinet, l'ancien premier secrétaire du PS affirmait: «Notre République portera également, c'est son honneur comme son intérêt, une nouvelle politique à l'égard de l'Afrique. Ce continent, est en passe de jouer un rôle décisif. La France répudiera sans regret les miasmes de ce qu'on appelle la Françafrique. Elle jouera la carte du Co-développement, comme le commandent avec autant de force le cœur et la raison».

Plus tôt, François Hollande, qui a pour conseiller Afrique l'ancien secrétaire d'Etat français Koffi Yamgnane (d'origine togolaise), s'engageait aussi à ne pas tenir «de discours comme ceux, profondément blessants, sur l'Homme africain de Nicolas Sarkozy». En tout état de cause, le principal axe de ce qui pourrait être la politique africaine de la France sous l'ère Hollande est contenu dans ces propos de Thomas Mélonio, responsable de l'Afrique au Parti socialiste, propos tirés de son essai paru en juin 2011 et titré «Quelle politique africaine pour la France en 2012?»: «Sur le plan de la démocratie et des droits humains, la France doit être capable de repenser son rôle d'accompagnement des mouvements de démocratisation sans pour autant renouer avec les ingérences coupables du passé. La France a trop souvent pris acte de coups d'Etat ou failli à manifester ses réserves quant aux régimes en place. Le respect des droits de l'Homme et l'existence d'un Etat de droit doivent devenir des préalables indispensables à toute intervention. Pour continuer d'aider les populations des pays dont nous questionnons la gouvernance, il serait utile de développer la coopération avec les organisations non gouvernementales. Leur savoir-faire, leur connaissance du terrain et leur réactivité méritent qu'on leur accorde un plus grand rôle dans les dispositifs d'aide au développement dès lors que leur légitimité est avérée. Les fondations politiques pourraient quant à elle se voir apporter un soutien plus grand des pouvoirs publics français dans leur démarche d'aide à la démocratisation».

Cet économiste, spécialiste de l'Afrique et des questions de développement précise, dans l'ouvrage sus évoqué, que «les politiques françaises développées en Afrique méritent également d'être reconsidérées, notamment leur versant militaire: il est nécessaire d'intégrer de plus en plus ces dispositifs dans les cadres de l'Union européenne, non seulement pour mutualiser les coûts qu'ils impliquent, mais aussi afin de diminuer le caractère sensible des interventions militaires françaises dans d'anciennes colonies. La coopération traditionnelle doit, enfin, laisser place à des formes de partenariats plus modernes et plus lisibles. Les objectifs assignés doivent être clarifiés et les canaux de l'aide plus transparents, la relation de partenariat technique doit évoluer dans sa formulation et répondre à une exigence de gestion plus collective des politiques de coopération internationale».


Promesses

Quant à Nicolas Sarkozy, il a assuré en janvier dernier avoir mis fin à l'utilisation de «réseaux occultes» et d' «intermédiaires douteux» entre la France et l'Afrique, dans une interview accordée à la revue «Politique internationale». Un bilan que lui conteste nombre d'observateurs, français ou non. Jean François Bayart, directeur de recherche en France, percevait ainsi, sous Sarkozy, en septembre 2010 dans la revue «Sciences politiques comparées», une «régression de la politique africaine de la France à des relations clientélistes avec des capitales subsahariennes, relations dont l'asymétrie n'est pas toujours celle à laquelle on pense spontanément».

Diffusé en décembre 2010, le documentaire de Patrick Benquet, «La Françafrique», est venu rappeler que la «rupture» proclamée par Nicolas Sarkozy en 2007 n'était qu'un slogan. On y a notamment vu comment l'Elysée a manœuvré pour imposer Ali Bongo comme président du Gabon, au détriment de Mba Obame, au terme d'une élection fort disputée. Le dernier livre du journaliste d'investigation Charles Onana, intitulé «Côte d'Ivoire, le coup d'Etat», qui met gravement en cause le président Sarkozy dans la chute de Laurent Gbagbo, a achevé de démontrer que le bilan africain du candidat de l'Ump n'est pas flamboyant. De quoi affirmer avec le journaliste suisse Gilles Labarflie, dans son ouvrage «Sarko l'africain», paru en 2011, que Nicolas Sarkozy s'est contenté depuis 2007 «de réchauffer une vieille soupe de la «France-à-fric» en rallongeant juste le manche de la casserole par peur des éclaboussures».

L'association «Survie» renchérit que «tous les pires régimes d'Afrique ont été reçus ou visités par l'Elysée depuis mai 2007: Omar puis Ali Bongo (Gabon), Denis Sassou Nguesso (Congo-B), Paul Biya (Cameroun), François Bozizé (Centrafrique), Ismaël Omar Guelleh (Djibouti), Faure Gnassingbé (Togo), Mouammar Kadhafi (Libye), Abdelaziz Bouteflika (Algérie), Ben Ali (Tunisie), etc. A chacune de ces visites officielles, les atteintes aux droits de l'Homme ont été systématiquement reléguées au second plan ou passées sous silence (...) Lors de la visite officielle de Paul Biya en juillet 2009, pas un mot sur la modification de la Constitution au Cameroun, sur les nombreuses atteintes aux droits de l'Homme dans ce pays, en particulier les massacres de février 2008». C'est donc dire que les promesses de campagne n'engagent que ceux qui y croient...


Georges Alain Boyomo


17/04/2012
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