Entretien entre Shanda Tonmè et Adeline Tchouakak du Quotidien "Le Messager" sur la situation en Centrafrique

Shanda Tonme:Camer.be"Je crois que vous voyez bien comment Bozizé est parti, c'est à dire sur un arrangement venu de loin, une coordination stratégique parfaite construite avec l'assentiment des Etats de la sous région, sous la conduite de la France. Ce type était un vrai salaud, mais l'était-il plus que d'autres encore au pouvoir ailleurs? Il faut se souvenir de son refus sec lorsqu'il y a dix ans, le président de la commission de l'Union Africaine, Alpha Oumar Konaré, s'était rendu personnellement à Bangui pour lui demander de ne pas se porter candidat  à l'élection présidentielle".

Quel regard portez-vous sur la situation dans laquelle se retrouve aujourd’hui la République Centrafricaine ?

 Vous parlez de regard, je préfère reformuler votre problématique dans les termes suivants: quels sentiments vous inspirent la déconfiture institutionnelle en cours dans ce pays? Il existe deux approches de la réponse: la première c'est de se situer sur le terrain essentiellement académique et technique, et de là, souligner la faiblesse ou l'absence de structures étatiques, la faiblesse ou l'absence de sentiment national, d'une idée forte et effective de la patrie et de l'appartenance à une communauté de destin dont il faudrait protéger, par un effort collectif, protéger les acquis, forger et valoriser le destin. La deuxième approche, renvoie à une pure manifestation émotionnelle fondée sur le constat de peine, de ruine permanente, et de décadence chronique d'une communauté humaine. Existe-t-il encore des hommes et des femmes dignes de rêves, de projets et d'ambitions dans ce pays? On croit vivre un mauvais feuilleton dont les épisodes se succèdent sans jamais changer, sans jamais évoluer, sans jamais délivrer le discours final de la conclusion, mais en produisant encore et toujours plus de drames et plus de souffrances.

Est-ce que finalement le push est une malédiction pour la Rca. Sinon comment comprendre la récurrence des coups de forces dans ce pays pourtant pauvre ?

Vous parlez de malédiction, mais c'est comme si vous aviez lu mon trentième livre au nom fort évocateur: "la malédiction de l'Afrique noire, de la négritude à la négrocratie" publié en 2011 chez l'Harmatan. Non, nous n'y sommes point, parce que les repères politiques, historiques, anthropologiques et psycho-psycanalytiques, ne concentrent aucun des facteurs de défaillance sur ce seul pays. Ce que vous dénommez "coups de force", n'es que la traduction dans le quotidien de l'articulation institutionnelle, d'une chronique séquentielle, répétitive, passionnelle, barbare et obscurantiste des comportements humains. Nous le vivons en Centrafrique comme nous l'avions vécu au Libéria, en Somalie, au Tchad même, au Congo, et demain sous d'autres cieux. Nous sommes en présence de la perdition du sentiment national, et de la matérialisation violente, des errements dans la forme de gouvernance, et plus grave, d'une totale insouciance des fils et filles du pays doublée d'une exposition brutale à la manipulation puis le contrôle d'une puissance extérieure tutélaire. Je crois que vous voyez bien comment Bozizé est parti, c'est à dire sur un arrangement venu de loin, une coordination stratégique parfaite construite avec l'assentiment des Etats de la sous région, sous la conduite de la France. Ce type était un vrai salaud, mais l'était-il plus que d'autres encore au pouvoir ailleurs? Il faut se souvenir de son refus sec lorsqu'il y a dix ans, le président de la commission de l'Union Africaine, Alpha Oumar Konaré, s'était rendu personnellement à Bangui pour lui demander de ne pas se porter candidat  à l'élection présidentielle.
Je crois que l'histoire l'a rattrapé de la façon la plus convenue et singulière, produisant une fois de plus, une image grossière de manipulations des forces externes qui tiennent dorénavant la réalité du pouvoir. Pourquoi nous cacherions-nous, pour signifier à l'opinion, que tout s'est joué depuis Paris, avec une information préalable de Brazzaville, Ndjamena, Yaoundé et Libreville? Dans cette affaire, l'Afrique du sud a fait son apprentissage en grandeur nature, des combines malsaines de ce que l'on a appelle la francafrique, n'en déplaise à François Hollande qui croit nous convaincre d'autres choses. Il faut arrêter de nous prendre pour de grands enfants. Nous n'avons certes pas de moyens concrets pour inverser ou influencer les planifications géostratégiques et conditionner la configuration géopolitique immédiate, mais nous disposons tout de même, de quelques brillantes têtes et des analystes de rang mondial, en ce qui concerne la capacité d'analyse et de projection politique et diplomatique.

Le Cameroun étant un des voisins de la Rca, peut-il avoir des risques de répercussions de cette crise chez nous ?

C'est bien de me poser la question. J'ai reçu des centaines d'appels dans ce sens, traduisant, je le comprends fort bien, les inquiétudes de plus en plus lancinantes des citoyens et citoyennes ici. Mais alors, si vous me posez la question, c'est sans doute parce que vos propres appréhensions, vous conduisent, au regard de l'évolution politique de votre pays, des méthodes de gouvernance, du genre de rapports entre les citoyens et les institutions publiques,  à soupçonner des similitudes  troublantes, dangereuses, délicates. Justement, la première réponse que je donne aux gens, c'est de le renvoyer à faire leurs propres investigations et évaluations, sur ce qui entre les deux pays, constitue une ressemblance ou une différence. Si la situation en RCA résulte d'une profonde et continuelle défaillance des institutions publiques, d'une absence totale de sentiment patriotique chez les tenants des rennes d pouvoir, alors nous ne sommes pas à l'abris à plus ou moins brève échéance.

A mon sens, il faut aller au-delà de simples répercussions, il faut poser le problème en termes de situation concrète du Cameroun dans la conduite de la reconfiguration géopolitique et diplomatique de la sous région en général. Je constate que c'est le Tchad qui joue les premiers rôles dans la sous région et qui projette une influence décisive sur les grandes questions. Nous sommes totalement absents. Non seulement nous ne disposons plus de moyens logistiques conséquents pour un tel rôle, équipements militaires, troupes entraînés et bien équipés, stratèges conséquents, mais plus grave, la volonté humaine et psychologique est absente. J'ai peur de révéler, ici, des défaillances, nuisibles pour notre sécurité nationale. Mais quand même, il est évident dorénavant, que nous n'avons plus la maîtrise du contrôle et de la surveillance de nos frontières.  Cette défaillance est aggravée par la qualité peu encourageante, des relations à un haut niveau de nos dirigeants avec ceux des pays voisins. Trop de choses se font dorénavant sans nous, et lorsque c'est ainsi, les choses finissent par se faire contre vous, y compris par les plus petits ou ceux que vous croyez plus petits. Dans les relations internationales, la grandeur d'une nation ne tient pas de sa superficie, de sa richesse, des discours usuels et convenus de ses dirigeants, elle procède d'une expression forte des ambitions d'existence, des volontés de faire et de défaire, de la capacité à manifester une présence permanente et positive sur tous les fronts et sur toutes les questions. C'est une culture du pouvoir, de défense des intérêts nationaux, de positionnement des nationaux partout, et de promotion des idéaux propres. Tout cela, le Cameroun n'a plus. L'état des lieux est franchement désespérant pour le spécialiste, l'expert, et le professionnel que je suis. Et en tant que citoyen, j'exprime mon inquiétude d'abord, ma réprobation et ma colère ensuite.

Lorsque vous voyez des véhicules de tourisme neufs que l'on distribue à des soldats administratifs, pendant que les brigades de gendarmerie et les commissariats de police manquent de tout pour travailler, pour être complètement opérationnels, vous vous inquiétez encore plus. La sécurité d'un pays ne se voit pas dans le nombre des écrans plasma dans les salons des militaires, mais plutôt dans le nombre des moyens logistiques d'intervention et d'opération dans les postes fixes et mobiles des de toutes les catégories de forces: première, deuxième et troisième catégorie.
Il n'est pas exclu que nous soyons petit à petit, submergé ou contrariés par des bandes armées sur lesquels, face auxquelles, nous deviendrons impuissants, sous le regard amusant et amusé des voisins, et d'un corps diplomatique qui l'écrit chaque jour dans des notes trop confidentielles.

Le titre est de la rédaction de Camer.be

© Le Messager : Propos recueillis par Adeline Tchouakak


26/03/2013
0 Poster un commentaire

Inscrivez-vous au blog

Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour

Rejoignez les 299 autres membres