Enquête sur les “Suissesses” en vacances au Cameroun


Enquête sur les“Suissesses” en vacances au Cameroun,CameroonAu pays du chocolat, des bijoutiers, des banquiers et des chalets, beaucoup de célibataires qui roulent sur l’or ont besoin de câlins. En échange de quoi, ils libèrent du fric. Mais, dès qu’elles en ont amassé et qu’elles sont fatiguées de se laisser tripoter, les Suissesses rentrent au Cameroun. Pour se payer du bon  temps, mais aussi, pour nous vendre le rêve…

Au Cameroun, le rêve d’une vie meilleure est vendu désormais, en partie, par ces femmes très particulières, qui assument sans complexe l’idée que les autres se font d’elles : la chance. Ou la malédiction… Les « Suissesses » comme on les appelle, offrent généralement le spectacle de ces femmes bourrées de fric, à qui on doit passer tous leurs caprices et leurs lubies. A cause de leur look, très branché. Mais aussi et surtout, à cause de leur argent. On peut facilement penser qu’on a affaire à des personnes excentriques, extrêmement narcissiques.

Du moins, au tout début. Mais de leur vie, leur vraie vie, qui sait vraiment quoi ? Quand elles débarquent quelque part, tout le monde se retourne pour les regarder. Il y a toujours chez elles, un côté provocateur, très sexy, un rien déjanté, et parfois, carrément ahurissant. Les Suissesses n’ont pas d’âge. Seul critère commun : les attitudes, le look. Ce dernier inclut la coiffure, avec des mèches brésiliennes ou indiennes, très rares, et qui coûtent cher, vraiment cher, à cause de la longueur vertigineuse. La coiffure d’une seule « Suissesse » peut valoir jusqu’à 1.000 euros, soit 650.000 F.CFA. Ah ! Il y a aussi les bijoux. Leurs bras entiers en sont parfois surchargés.

Le cou, les doigts, les poignets… Les oreilles, le nez, la langue, la lèvre buccale… Et parfois, le nombril et aussi le tour des reins, où certaines portent une chaîne. Pas du toc, mais de l’or. Des bijoux qui valent parfois, plusieurs millions. De plus en plus, dans les marchés comme Mboppi, le carrefour Anatole, les marchés central, Congo, Nkololoun, Mokolo, Mfoundi etc. où elles aiment à s’aventurer à Douala ou à Yaoundé pour le plaisir de flâner, les Suissesses ne sont plus à l’abri : les petits voleurs à la tire, qui savent désormais la capacité financière de ces femmes et la valeur de tout ce qu’elles étrennent, sont toujours à l’affût ; et ils ne leur font pas des cadeaux. Voilà pourquoi, les moins entêtées d’entre elles préfèrent désormais arborer un mélange formé de vrais bijoux, avec des copies plus vraies que nature. Le résultat est quelquefois époustouflant.

D’autres, par contre, ont définitivement opté pour des bijoux fantaisie de très bonne facture, dont le prix reste exorbitant pour une Camerounaise aux revenus moyens. Non, les Suissesses ne passent jamais inaperçues. Et elles laissent rarement indifférent. En fait, elles fascinent.

C’est le look que tu veux voir ?

Madeleine Massota à quoi elle reconnaît une Suissesse, cette gestionnaire de ressources humaines dans une société publique à Yaoundé répond que c’est grâce au look : « Il y a leurs greffes brésiliennes qui arrivent parfois jusqu’aux fesses » (Sic). Elle parle aussi de la couleur : blonde. En effet, pour ces cheveux d’extension garantis 100% « Human Hair », qui permettent de réaliser un tissage, « la greffe » si on veut, la teinte de prédilection des Suissesses de tout poil est le blonde. Blond très clair.

Mme Massota évoque aussi les chaussures, généralement de grande marque. Surtout, de chez Kardashian. Monique a par ailleurs remarqué qu’elles préfèrent louer un taxi tout au long de leur séjour, qui peut parfois durer des mois. Cependant, d’autres Suissesses préfèrent être plus autonomes. Alors, elles louent des véhicules, généralement de gros 4x4 rutilants, pour pouvoir aller et venir à leur guise. Il y a aussi des Suissesses qui ramènent des voitures. De très belles voitures. Quand survient la fin du séjour, elles les revendent, et le tour est joué : elles ont littéralement remboursé le prix de leurs vacances, avec un surplus. Très astucieux.

En effet, cet investissement revendu parfois au triple de son prix empêche de ressentir le coût, parfois lourd, du séjour : l’achat de la voiture, la douane, le transport, le billet d’avion, ou l’hôtel. Car certaines suissesses habitent des mois durant à l’hôtel, à coups de millions. Nous en avons côtoyés qui dépensaient entre deux à trois millions F.CFA/mois dans des hôtels de luxe. Énorme ! Pour la plupart, cela ne signifiait pas grand-chose… Il faut dire que l’argent, elles en ont. Beaucoup. Au grand dam des membres de la famille, qui s’estimaient légitimement lésés.

C’est l’argent que tu veux voir ?

Mais, pour ces Suissesses-là, il s’agissait d’abord, d’un défi. Vis-àvis de la vie. Vis-à-vis de la société, la bonne, la haute, celle qui jadis les regardait de haut quand elles vivaient encore au Cameroun, et qui, par le choc des rencontres privilégiées que produit la fréquentation des endroits chic, les découvre désormais pour la plupart, seulement grâce à leur beauté ou à leur argent. Hier, ces mêmes hommes et ces femmes-là baissaient les yeux à leur passage, cherchant à savoir qui elles étaient. Oui, quelle revanche !

Et enfin, last but not the least, il y a les copines. Ah, les copines ! Il faut signaler la rude concurrence sourde entre les filles de Suisse. Avant surtout, et selon les générations, c’était donc à qui allait loger dans l’hôtel le plus cher, le plus prestigieux. C’était à qui apporterait d’Europe, la plus belle et la plus grosse voiture, la plus longue greffe, qui « casserait le plus grand nombre de bouteilles de champagne de grande cuvée en boîte de nuit, qui prendrait comme gigolo, le temps d’un instant, le mec le plus frais, le plus mignon ou le plus canon de la ville ».

Le hic, c’est qu’à côté de tout ce faste tape-à-l’oeil et « m’as-tu vu», ce n’était que l’égoïsme du vide : des millions jetés par les fenêtres alors que la famille croulait sous la misère ! Des hôtels somptueux et hors de prix, alors que la maison familiale faisait honte à montrer, toute ratatinée au fond des sous-quartiers infranchissables, à côté des autres maisons au toit fuyant, entre les WC de fortune, des portes éventrées, et des troupeaux de moustiques, ce qui faisait sourire les voisins dont les filles n’avaient pas « voyagé », vu qu’au finish, on ne voyait pas vraiment le changement tant escompté.

Voilà ce qui a emmené les Suissesses à se focaliser aujourd’hui sur un fait majeur et essentiel : la maison. Celle de la famille, et aussi la sienne propre. Beaucoup de Suissesses investissent énormément dans le terrain. Certaines, surtout du côté de Yaoundé où, d’après les autres, elles sont aussi les plus nombreuses dans cette catégorie de personnes, ont acquis des hectares de terrains, en périphérie, et même dans de beaux quartiers. D’autres, d’ores et déjà, ont investi dans l’immobilier. Certaines possèdent des immeubles entiers, dont beaucoup sont meublés, moyens ou de luxe.

Loués à prix d’or à la semaine ou au mois à des personnes de passage au Cameroun, ou à d’autres Suissesses qui se « cherchent » encore. Celles-là sont tout le temps en compagnie d’une horde de parents ou d’amis, souvent un peu « bouchés et villageois», et qui ont plus l’air de relever de la protection physique ou de moyen de dissuasion qu’autre chose. Ce genre de Suissesse aime découvrir en toute sécurité, des endroits comme les bars, les snackbars, et aussi, les boîtes de nuit. Mais en famille. Il faut dire que la Suissesse a tendance à boire. Beaucoup. Parfois, un peu trop même ! Et elle a toujours un « meilleur petit » qui l’attend au pays. Son repos du guerrier…

Manne ?

La prostitution est légale en Suisse. Les filles gagnent beaucoup d’argent, mais d’autres le dépensent aussi sur des hommes plus jeunes… Alors, quand vient l’âge de raccrocher, certaines, plutôt, s’accrochent… Alors, certaines vont et viennent, utilisant leur corps de l’autre côté, et essayant de pratiquer une activité respectable au Cameroun. Pour résorber le problème du chômage, beaucoup de Suissesses aident des filles de la famille à les retrouver en Suisse pour y « travailler ». D’autres ouvrent des commerces au pays pour faire travailler toute la famille. Si on gère bien, chacun y trouve son compte. C’est donc à plusieurs Suissesses qu’on doit la prolifération des alimentations, mini-marchés, snack-barsrestaurants, petits hôtels proprets, cabarets, la vente des voitures d’occasion et aussi et surtout, le phénomène de la brocante, où travaillent parfois, les membres d’une même famille. Cela fait un bon pactole et permet de s’assurer une retraite bien méritée.

Jossie a à peine 40 ans. Elle avait neuf ans, lorsqu’un enseignant Suisse l’a reconnue, ainsi que ses cinq frères et soeurs. Sa mère était la domestique du patron… Mais les enfants ont tourné le dos aux études, préférant « travailler » pour se faire plus facilement beaucoup de fric. Aujourd’hui, quand elle revient dans son Edéa natal, Jossie n’est pas très pressée de repartir. Quand elle croit qu’on ne l’écoute pas, elle confie à ses amis gigolos qui « travaillent » eux aussi en Suisse, qu’elle est fatiguée de travailler ! La pauvre…

Clarisse, environ 35 ans, est bigame. En Suisse, elle est mariée à un Suisse. Au Cameroun, elle a épousé un jeune Camerounais qu’elle a installé dans un joli meublé. Entre elle et ce dernier, c’est la bagarre tous les jours. Nous les avons rencontrés trois fois. Nous étions partis avant la 3ème bagarre… Violence et dangerosité sont au rendez-vous, mais il ne faut surtout pas chercher à les séparer : ils ne veulent pas ! C’est comme des bêtes sauvages que les deux tourtereaux ont choisi de vivre leur amour, en l’enduisant de sadomasochisme…

Clarisse revient tous les trois mois au Cameroun, toujours, avec deux ou trois voitures qui la précèdent dans un bateau… Lors de son dernier voyage qui s’est terminé au mois de juillet 2014, elle avait mis un mois de plus que prévu : elle voulait profiter de son gars. Ensuite, comme beaucoup d’autres Suissesses, elle n’a eu qu’à déclarer la perte de son passeport, qui a été renouvelé à l’ambassade. Puis, le visa camerounais en poche, elle est rentrée en Suisse. Elle a promis revenir après trois mois. La plupart des Suissesses travaillent très dur pour entrer en possession de tous leurs millions. Mais toutes ne sont pas, au fond, si épanouies. Elles savent ce que travailler à la sueur de son front veut dire, et certaines sont très amères. Le rêve qu’elle miroite n’est souvent qu’un mirage. Car la Suisse, pour certaines, çà n’a pas toujours été de gaieté de coeur. Mais après, il semble qu’on s’y fait.

Damnation ?

Big Boss est un très bel homme, qui avait épousé une femme amoureuse, jolie, travailleuse et aisée. Mais, entraîné par des amis, Boss s’est piqué au jeu, et a tout perdu sur un tapis vert. Accablés de dettes, les enfants avaient de la peine à manger et à aller à l’école. L’huissier menaçait de leur arracher la maison et de les mettre à la rue. Mise au courant, la marraine d’un des enfants a pris sur elle de faire voyager sa filleule, brillante et munie de son Bac. Mais la vie était de plus en plus dure. De guerre lasse, Madame Boss s’est envolée à son tour pour la Suisse, dont elle n’est jamais revenue… Son époux reçoit régulièrement de l’argent et de la brocante. Il a une très belle et solide voiture, la maison est hyper bien décorée, il s’est même repenti et assagi, mais la famille semble éclatée à jamais… M.C a une superbe maison à Makèpe, Douala.

Quand elle est au Cameroun, elle y vit avec des amies. Elle possède par ailleurs, deux grandes brocantes, dont une à une sortie de la ville. Ancienne proprio d’une gargote jadis prospère, cette belle femme avait vu ses affaires péricliter en 1995. De désespoir, elle a tout fait pour s’envoler en Suisse. Par la suite, elle a aidé d’autres gargotières à l’y rejoindre : à plusieurs, on est toujours mieux… Suzy est partie il y a quelques années en aventure. En Suisse où elle a fini par déposer définitivement ses valises, elle a finalement trouvé un travail. Elle n’a jamais voulu dire clairement ce qu’elle entend par « travail », avec tous ces millions. Elle est restée très belle. Elle aurait pu faire mannequin, actrice, ou hôtesse.

Depuis toujours, elle aime l’argent. Elle le prend aux vieux, pour payer les jeunes garçons. Alors que beaucoup d’adolescentes de son âge ne songeaient qu’à s’amouracher et à danser toute la nuit, elle s’éclipsait toutes les heures avec un vieux différent. Elle revenait ensuite danser, comme si de rien n’était. Plus tard, elle invitait un jeune ailleurs, et payait toutes les boissons… Comme Obélix, on peut dire qu’elle est tombée dedans quand elle était toute petite. Elle n’a donc pas eu de gros sacrifices à faire pour rentrer dans la danse, et s’est vite imposée comme une bonne gagneuse. Dans le milieu, on dit qu’elle s’est forgé une solide réputation.

Suzy possède actuellement plusieurs camions, avec des filles qui travaillent pour elle. Elle parle couramment l’allemand. Elle croit que nous, non… A un Allemand, elle dira fièrement : « Ich habe ein pouf ! » Ce qui, en allemand, signifie : « je suis propriétaire d’un bordel…» Elle a fait quelques séjours en prison en Suisse, pour trafic de drogue. Et au Cameroun aussi, il y a quelques années. Une dénonciation d’une « copine » suissesse, qui n’a pas trop bien digéré qu’elle lui vole son fiancé… On l’a soupçonnée d’écouler de la cocaïne. Forcément. Elle qui travaille dans un pouf doit pouvoir le faire sans rougir…

Un métier terrible ! Avec beaucoup d’argent, certes, mais qui abîme, au propre comme au figuré. Mais, comme dit cet enseignant de l’Esstic, « C’est leur vie ! Et je me garde bien de les juger, même si je ne pense pas que la prostitution soit un critère de repère selon la morale, du moins telle qu’on m’a retranscrit les choses.» Les Suissesses, il les connaît. La 1ère chose selon lui qui le frappe chez elles, c’est la couleur et la longueur de leurs cheveux. Mais elles ne passent non plus inaperçues à la banque. Monique Massota estime elle aussi que ce sont des personnes comme les autres, attachantes, et qui aident beaucoup leurs familles. En effet, de plus en plus, les Suissesses construisent des maisons pour la famille, payent la dot du cousin, participent pour beaucoup dans les deuils, les funérailles, l’éducation, et la santé etc.

Beaucoup de « gens bien » ne font même pas le 100ème pour leurs proches. Les Suissesses sont donc d’une contribution appréciable pour les communautés. Et Monique Massota de conclure : « si on a choisi de faire çà comme métier, autant mieux que ce soit vraiment pour de l’argent, que de faire ce qu’on voit ici au Cameroun, pour ensuite devenir vulgaire et inutile. » Pour elle comme pour le prof, il va de soi que les temps sont durs. En effet, la conjoncture est telle que certaines de ces femmes-là n’avaient peutêtre pas vraiment le choix.

Il fait bon préciser qu’il n’y a pas que les filles vivant en Suisse, ni les prostituées, qui sont des Suissesses. Des Camerounaises vivant dans les pays du Schengen, ou au Cameroun ont pris l’habitude, mariées ou pas, de faire des va-et-vient en Suisse. Pour se faire un peu… d’argent de poche ». Certaines sont des épouses de boss.

© Le Jour : Pauline Poinsier-Manyinga


23/08/2014
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