Enquête: Sexualité et VIH, je t’aime…moi non plus !

YAOUNDE - 30 DEC. 2010
© Jeanine FANKAM | Cameroon Tribune

Comment les personnes portant le vih vivent-ils leur sexualité ? Si le sujet ne manque pas d’intérêt, poser le problème sans donner l’impression de marginaliser les concernés est difficile...



Le prétexte de la journée mondiale du Sida célébrée le 1er décembre est venu fort à propos. Les patients rencontrés ont parlé. A cœur ouvert. L’appréhension du départ est réelle : l’activité sexuelle a-t-elle encore un sens pour ceux qui doivent éviter à chaque coup, une réinfection ? Pour la personne vivant avec le vih, il faut éviter une nouvelle contamination pour ne pas aggraver sa situation. Car il existe plusieurs types de virus et il vaut mieux n’en avoir pas plus d’un dans l’organisme. Que faire alors, sachant que le risque n’est pas nul à chaque rapport sexuel, même protégé ?

En dehors du fait qu’elles portent le virus, les personnes vivant avec le vih sont ne sont pas moins des hommes : avec leurs élans. Au-delà de leur fragilité, elles ont-elles aussi, des besoins physiologiques à satisfaire. Le naturel a ses droits. Et l’adage l’enseigne : « chasser le naturel, il revient au gallot ». La situation ressemble à une pénitence lorsqu’on est en couple séro-discordant. Tout peut arriver : les incompréhensions, l’instabilité, voire la rupture. Lorsque le patient est jeune et aspire, c’est tout aussi poignant. C’est même un véritable mélodrame ! Cette souffrance en rajoute à l’état psychologique déjà entamé par le statut sérologique.

Toutefois, la sexualité, il faut le dire, est une réalité chez les séropositifs. Et ils la vivent, modérément, normalement, peu fréquemment ou intensément. C’est selon. « La sexualité a tout son sens chez les personnes vivant avec le vih parce qu’elles ont aussi besoin d’affection et d’amour. Elles ont le même rêve que tout le monde : vivre une vie sexuelle normale, fonder une famille, avoir des enfants. Le désir sexuel est là. Il faut le satisfaire », lance Iroko, une personne atteinte. Et parlant de son cas, il ne cache pas qu’il aime les belles créatures. « Quand une femme me plait je me lance à sa conquête. Lorsque ma "chasse" est fructueuse, je me protège sans avoir besoin de révéler mon statut », confie-t-il.

Chacun y va de sa méthode. Les cas de figure sont différents. Il y a les dépités, qui voient la mort demain et qui veulent entraîner les autres. Il y a des simples Dons Juans qui aiment le sexe et qui se laissent aller. Il y en a qui veulent assurer une progéniture, à tout prix, au risque de s’infecter de nouveau et d’exposer leurs conjoints ou compagnons. Il y a pire : certains ont contacté le virus en y allant avec le premier partenaire ! La vie continue malgré tout, avec son lot de rêves, d’amour et de…réalités. Peut-on assumer une sexualité normale avec le vih ? La question est terrible, elle mérite d’être posée même si les réponses ne manquent pas. CT a tendu le micro.


Témoignages anonymes et à visages découverts

Huguette et Prosper

Un couple séro-discordant. Deux enfants sains. Le devoir conjugal se consomme.

Huguette et Prosper Atchomou (leurs véritables noms) sont un couple discordant. L’époux est séronégatif et l’épouse, personne vivant avec le vih. Comme dans tous les mariages, le devoir conjugal est accompli ici. Régulièrement. Sauf que l’usage de la capote est systématique. Le couple s’est accommodé et semble heureux. Huguette et Prosper ne cachent pas qu’ils s’aiment, malgré la présence du vih.

« J’ai contacté le virus dans mon premier mariage », affirme sans ambages Huguette. Dans l’histoire qu’elle raconte volontiers, la jeune femme révèle qu’en 1996, lorsqu’elle se marie pour la première fois, elle est vierge. Huguette réalise plus tard que Elie, l’homme chez qui ses parents ont envoyé en mariage, était à l’époque déjà infecté.

«Avant le mariage, il présente un état de santé fragile qui, certes, n’inquiète pas particulièrement. Ne doutant de rien et peut-être aussi par ignorance, mes parents et moi n’avons pas demandé un test prénuptial. Mais très vite, je découvre que mon mari est coureur de jupon devant l’Eternel ! Il ne laisse échapper aucune "cible". Son état se dégradant, il n’avait jamais consenti à me dévoiler les résultats des examens. Un jour, j’ai retrouvé son dossier médical... N’en croyant pas mes yeux, j’ai foncé chez le médecin qui m’a conseillée un test vih, lequel s’est avéré positif. Cela faisait à peine quatre mois que je m’étais mariée. Je portais déjà une grossesse de trois mois. J’avais 20 ans ».

Injustice, s’écrie la jeune épouse. « Je n’ai connu d’homme que dans le foyer. J’en voulais à Dieu et à Elie. Même avec une tuberculose ganglionnaire, il n’abandonnait pas le désordre sexuel ». Exaspérée, Huguette se replie chez ses parents. Elle y accouche de son premier enfant. Le bébé est infecté.

« Je suis revenue à la chasteté. Je n’avais plus de projet de vie. Certes, je ne présentais aucun signe extérieur de maladie, mais je souffrais moralement et tous les jours, j’attendais la mort. Je priais pour mourir. Ma décision était prise. Plus question du sexe qui m’a conduit au malheur. Néanmoins, je prenais des potions qu’une dame affirmant soigner le sida me préparait. ».Deux ans passent.


Un nouveau départ

Entre temps, un jeune homme de l’entourage a croisé le regard de Huguette. Prosper Atchomou rêve d’en faire son épouse. « Je lui ai raconté une partie de mon histoire pour le décourager. En vain ». Prosper à ce moment-là, a 32 ans. « J’étais encore puceau. Chrétien pratiquant depuis l’adolescence, mes convictions religieuses ne m’autorisaient aucune aventure avant le mariage », souligne-t-il.
Le projet se dessine avec Huguette. Cette dernière qui se soigne à l’indigène a refait un autre test-vih, sans doute dans un centre non qualifié, qui s’est avéré "négatif". Rassurée, elle agrée la proposition de Prosper sans se sentir obligée de lui dévoiler son "précédent" statut. Célébration des noces, une vie de famille épanouie. De nouveau enceinte. Parmi les examens médicaux prénatals, le test du vih est…positif ! On comprend, le précédent résultat n’était pas fiable. Désespoir. Culpabilisation. Comment l’annoncer à Prosper ?

Huguette sollicite la médiation d’une de ses "sœurs" en Christ, laquelle contribue plutôt à répandre la nouvelle dans la communauté et dans l’entourage du couple. Bonjour la stigmatisation. Prosper est courageux. Il confesse que sa foi ne lui permet pas de répudier son épouse qui, à l’occasion lui à alors relater son contact avec le virus, la partie de sa vie qui était restée sous cape.

Entre temps, naît le premier enfant de Huguette et Prosper. Comme l’enfant né de l’union avec Elie, il est séropositif. Les deux enfants développent la maladie et meurent en l’espace de six mois, en 2002. Le choc déclenche aussi le sida chez la maman. « Je suis entrée dans la phase où il fallait me langer et me porter pour le moindre déplacement. D’hôpital en hôpital, nous avons atterrit à l’hôpital du jour de Yaoundé où mon pronostic vital a été reconstitué jusqu’à mon rétablissement complet». L’amour qui n’a jamais quitté le couple s enracine. Après ces moments difficiles, Amina (six ans) et Victoire (quatre ans) sont nées. La conception, la grossesse et l’accouchement se sont faits sous contrôle des médecins à Yaoundé, par insémination. Le devoir conjugal continue dans le couple. Prosper reste séronégatif.

Aujourd’hui Huguette s’est entièrement engagée à travers son association « Espoir et Vie »à apporter une assistance psycho-morale aux personnes vivant avec le vih. « Mais, c’est dur. L’association n’a pas de moyens. Prosper, agent dans une société de la place assure certaines dépenses soutenues par les dons d’une structure religieuse.


Antoinette 45 ans

Fini le sexe. Elle a décroché depuis son divorce. Et a remis sa vie à Dieu.

« Lorsque j’ai découvert ma sérologie positive en 2.000, mon mari ne m’a pas rejetée. Nous avons continué de faire l’amour dans le couple. Sans protection ». D’après le témoignage de l’épouse, son mari avait accepté sa sérologie sans jamais vouloir, lui, se faire dépister. « J’ai tenté de lui faire admettre qu’il y a des couples discordants, en vain. Sans doute pensait-il qu’il était contaminé lui aussi. Il est maladif. Je pense qu’il ne voulait pas en rajouter à ses souffrances », conclut-elle. Tout allait donc bien jusqu’au jour où il y a un coup de tonnerre dans un ciel qui semble clair. « Brutalement, mon mari me coupe la ration alimentaire. Il rentre de plus en plus tard à la maison. Au lit, il ne veut plus de moi. Il ne donne aucune explication. La goutte d’eau déborde le vase quand j’entreprends des démarches auprès du service social pour obtenir une pension alimentaire. Ma santé en pâtissait déjà ». La démarche de Antoinette, 45 ans, mère de quatre enfants remonte son époux et le pousse à demander le divorce.

Antoinette affirme que c’est au tribunal qu’elle se rend compte qu’entre temps, son mari a fait le test. Il est sain. « Son principal chef d’accusation, c’était la tentative de contamination pendant plusieurs années ». Il brandissait alors le dossier médical de sa moitié. Cette dernière jure avoir été une épouse fidèle et pense qu’elle aurait attrapé le virus lors d’un curetage dentaire. « Je l’ai fait plusieurs fois et je me rends compte aujourd’hui que les conditions d’hygiène n’étaient pas des plus sécurisantes ». Depuis son départ du foyer il y a deux ans, elle dit avoir cessé toute activité sexuelle, malgré les sollicitations. « Je n’en veux plus. J’ai donné ma vie à Dieu », lance t-elle.


Sandrine, 25 ans

Entre le doute et l’espoir, elle entretient le rêve, malgré la trêve.

« Après avoir développé les maladies opportunistes liées au sida, j’ai marqué une pause de trois ans avant de renouer avec l’activité sexuelle ». Sandrine, âgée de 25 ans n’a pas pu résister davantage aux pressions de ses conquérants. Elle est belle et en est consciente. « Toutefois, précise-t-elle, je m’étais résolue de ne pas cacher mon statut à mon élu, mais les rejets m’ont fait changer d’avis ». Et quand je rencontre Jacques (prénom d’emprunt), je garde le secret. Leurs rapports sont non protégés. Elle explique, qu’en plus, Jacques détestait les préservatifs. « Je lui ai caché mon statut parce que je ne voulais pas créer d’obstacle au projet de mariage que j’escomptais. Jacques m’a enceintée. Avertie, j’ai mené en cachette une grossesse médicalement bien suivie et l’enfant est sain ».

Mais par rapport à ce petit ami qu’elle expose au virus, Sandrine confesse qu’elle n’était pas en paix avec sa conscience. « Le fait de savoir que je lui fais exactement ce que m’avait fait l’homme qui m’a contaminée me perturbait constamment. Un jour, j’ai pris mon courage et je lui ai révélé mon statut ». Jacques accourt dans un centre agréé pour son test. Négatif ! « Ce résultat m’a soulagée, mais il m’a abandonné avec l’enfant ». Cela fait trois ans. Depuis lors Sandrine confie qu’elle n’a plus eu de rapport sexuel.

Elle ne sait pas combien de temps cette abstinence va durer encore. Elle souffre moralement. Elle veut se marier. Elle cherche l’âme sœur partout. « Je fréquente les milieux associatifs pour chercher le prince charmant ». Cela fait bien dix ans que la jeune dame est au courant de son statut. « J’avais 15 ans. C’était en 2.000 et c’était avec mon premier homme. Il m’a volontairement contaminé puisqu’il connaissait sa sérologie depuis 1997. J’ai eu un enfant de lui, lequel est né contaminé et est décédé trois ans après sa naissance, en 2001. Je n’arrivais pas à accepter mon état. En 2002, j’ai fait la maladie. Je suis passée de 65 à 38 kg. Les ARV m’ont permis de recouvrer la santé. Aujourd’hui, physiquement, je suis comme les autres filles de mon âge.


Hedy, 40 ans

Le rythme a baissé. Place au régime minimum en attendant le mariage.

« Lorsque mon statut m’a été révélé en 2004, j’ai arrêté tout rapport sexuel. Je me contentais de me masturber. Cela a duré deux ans. Mais, c’est difficile pour un homme de se passer de faire l’amour. C’est pourquoi, il m’arrive de porter le gilet pare-balle (des préservatifs, NDLR) pour aller avec une fille, juste pour une aventure sans lendemain. Néanmoins, la fréquence est très réduite, à peu près, une fois tous les six mois. Cela fait quelque temps que j’ai rencontré une femme que je vais épouser. Elle est aussi séropositive. Nos rapports sont protégés pour l’instant en attendant le moment où nous désirerons un enfant ».


Médar, cinquantaine révolue

Un enfant à tout prix. En multipliant les risques.

Médar serait-il dans une situation de dépit qu’il exprime plus ou moins consciemment ? Il n’a pas d’enfant. Il le cherche, on dirait, à tout prix. Il est personne vivant avec le vih et ce statut ne le freine guère dans sa quête. Il cherche l’enfant, même en dehors du « foyer ». Actuellement, il est engagé avec Melissa, sa copine. Cette dernière est séronégative.

Il faut le préciser, Médar vit maritalement avec Hélène qu’il a rencontré en novembre 2003. Elle aussi est saine. Au moment de la rencontre, Médar sortait de deux coups durs : le décès de sa fille de trois ans et le divorce avec Victorine, la mère de la gamine.

Avec Hélène, les rapports sexuels sont non protégés, avec, précise-t-il, le consentement de celle-ci. Mais l’enfant tant désiré n’est toujours pas là. Après sept ans d’espoir vain, Médar veut se donner une autre chance avec Melissa. Les rapports sont non protégés aussi. Il affirme être conscient du risque qu’il fait courir à ses copines. Du moment où je ne leur cache pas mon statut dès le départ, je ne me fais aucun reproche ».

D’ailleurs, pour le cas de Hélène, il dit qu’il veille. Régulièrement, elle contrôle son statut dans un centre agréé de la place. Il brandit le dernier test de sa compagne qu’il sort d’un tiroirde son bureau. Il date de avril 2010. N’empêche, entre temps, elle peut attraper le virus. La remarque l’embarrasse un peu. Mais on comprend dans la conversation que l’enfant est devenu une fixation.
Médar prendra sa retraite dans deux ou trois ans. Un enfant à la retraite, l’argument aurait pu le décourager dans sa quête. Que non ! Il semble déterminer de foncer et de « tirer » partout, explorer les chances qui se présentent à lui.


03/01/2011
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