Enoh Meyomesse : L’Enam et le pouvoir

2009

A l’heure où l’Etat fête les cinquante ans de l’Ecole Nationale d’Administration et de Magistrature, n’est-ce pas le moment de jeter un regard critique sur cette école ?

Au début, c’était l’Ecole Camerounaise d’Administration, en abrégé, Eca. Fondée à la veille de l’indépendance pour doter l’administration camerounaise de cadres, elle était moins une copie indigène et tropicalisée de l’Ena de France, qu’une continuation de l’Ecole Coloniale, devenue, par la suite, Ecole Nationale de la France d’Outre-Mer, Enfom, dont les bâtiments se trouvent, jusqu’à nos jours, au fond du jardin du Luxembourg à Paris. L’esprit qui y régnait était celui des colons. On inculquait aux futurs administrateurs camerounais, dans cette école, un sentiment de supériorité. Il leur était enseigné qu’ils allaient appartenir au « commandement », que la société entière devait être à leurs genoux, en leur qualité d’« autorités », que les autres Camerounais étaient des individus dont il fallait contenir le « mauvais esprit ». De développement ? Il n’en était que vaguement question. Ce qui primait, c’était « l’autorité de l’Etat ». Un Etat légué par les colons à leurs continuateurs indigènes, avec pour mission première de « mâter » la population. Les diplômés de l’Eca, devenue par la suite Enam, ont été ainsi les principaux soutiens, pour ne pas dire acteurs, en leur qualité de préfets et de magistrats, de la dictature qui a été instaurée au Cameroun, entre 1960 et 1966, et qui s’est atténuée depuis le mois de décembre 1990. Entre temps, de l’Enam s’est détachée la formation du personnel diplomatique, avec la création de l’Institut des Relations Internationales du Cameroun, Iric, tandis qu’était incorporées d’autres formations, les douanes, les impôts, etc.

1-La qualité : un manquement dès le départ

 On peut, en imitation à un écrivain français, dire que, dès le départ, « l’Enam était mal partie ». D’abord, au niveau du recrutement. Les premières promotions de l’Enam, alors qu’elle s’appelait encore Eca, étaient constituées de ce qui représentait, certes, la crème de la société coloniale, côté des indigènes, mais de personnages au cursus universitaire des plus sommaires. On y retrouvait, pêle-mêle, des « moniteurs indigènes », c’est-à-dire des maîtres d’écoles indigènes, des «conducteurs agricoles indigènes », des brigadiers de police indigènes, des aides soignants indigènes, des préposés des PTT, des greffiers indigènes, etc. Pour tout dire, rien de bien fameux sur le plan de la formation intellectuelle. Ce sont ces personnes qui sont devenues, à la fin de leurs formations, des préfets, des Inspecteurs Fédéraux d’Administration (gouverneurs), des chefs de services, des directeurs, des directeurs de cabinets puis des secrétaires généraux de ministères, des conseillers à la présidence, des ministres, des ambassadeurs, etc.
     Ensuite, au niveau de la formation. Après une ou deux années passées localement, les élèves de l’Eca, puis Enam, étaient, au départ, envoyés en complément de formation en France. Pour les administrateurs civils, l’établissement d’accueil a d’abord été l’Ecole Nationale de la France d’Outre-Mer, Enfom, puis, l’Institut International d’Administration Publique de Paris. En ces lieux, ils n’étaient nullement mêlés aux Français, qui eux étaient formés ailleurs, notamment à l’Ena. Leurs camarades étaient d’autres africains issus, comme eux, des écoles d’administration de leurs pays respectifs. Seuls les enseignants étaient des Français. En clair, ils allaient achever leurs formations en France, mais, dans une école pour Africains, sans avoir pour camarades de classes des Français. Enfin, ils étaient affectés dans des préfectures à travers le territoire français, et rédigeaient un mémoire de fin de formation, à qui il était généralement attribuée une bonne note, les Français se dépêchant de les faire retourner dans leurs pays d’origine - un peu pour s’en débarrasser - étant entendu qu’ils n’étaient ni préparés ni destinés à exercer leur métier en France.
 Plus tard, le séjour en France a été supprimé. Actuellement, tout le cursus se déroule au Cameroun.

2-Licenciés, bacheliers, brevetés, certifiés : même classe

    Avec le temps, on aurait pu penser que le recrutement de l’Enam allait s’améliorer, que non ! On a plutôt institué deux catégories d’élèves. Ceux originaires de régions « fortement scolarisées », et ceux recrutés dans les régions « faiblement scolarisées », classification chère à Ahmadou Ahidjo. Ce qui s’est traduit par une double liste : liste A et B. Quelle a été la conséquence de cette discrimination voulue positive ? Dans les mêmes classes, se retrouvaient des élèves titulaires de la licence, d’autres du baccalauréat, d’autres du brevet d’études du premier cycle, et enfin, du certificat d’études primaires et élémentaires. On image aisément quel casse-tête cela devait représenter pour les enseignants le fait de dispenser des cours dans de telles salles de classes. A la sortie, naturellement, tout le monde avait le même diplôme. Et il ne s’opérait plus de discrimination au moment des affectations. Bien plus grave, il arrivait fréquemment que, plus tard, des diplômés de cette école, titulaires de la licence, se retrouvent sous les ordres de leurs camarades titulaires du certificat d’études primaires et élémentaires. Une aberration.
La conséquence de cet état de chose ne s’est pas fait attendre. Tout au long des années 70, les bons élèves des classes de terminales, sans parler de ceux qui passaient brillamment leur licence, se sont mis à bouder le concours d’entrée dans cette école au rabais. Celle-ci ne s’est mise à recruter, ainsi, que les « tomes 2,3,4 », c’est-à-dire des élèves qui avaient déjà échoué le baccalauréat ou le passage en deuxième année de faculté ou la licence plusieurs fois. En un mot, les mauvais élèves des lycées et collèges, ou de la fac. Ces derniers (au sens figuré et propre du terme) sont aujourd’hui, pour la plupart, des administrateurs civils de « classe exceptionnelle » en train d’aller à la retraite, et ont exercé les plus hautes fonctions dans la République. Quoi de surprenant qu’ils aient conduit le Cameroun à la faillite actuelle ? Les bons élèves présentaient le concours du Cuss, de l’Ecole Polytechnique, de l’Ecole Normale Supérieure, de l’Ecole d’agronomie de Nkolbisson, s’inscrivaient en doctorat, ou obtenaient des bourses pour continuer à se former dans des universités à l’étranger : France, Etats-Unis d’Amérique, Allemagne Fédérale, Union Soviétique, Belgique, Canada, etc.

3-Le renouveau : avènement de l’argent et apparition des listes

 Avec le régime du renouveau, la discrimination qui s’opérait à travers les fameuses listes A et B a pris fin. Mais, elle a aussitôt été remplacée par quelque chose de tout aussi pernicieux : l’achat du concours d’entrée, l’homosexualité et les « listes ». D’abord, avec l’expansion économique qui a caractérisé la fin des années 70, et à la faveur de laquelle a vu le jour une fonction qui rendait immédiatement riche dans les ministères quiconque l’exerçait, « D.A.G. », les bons élèves ont commencé à lorgner progressivement le concours de l’Enam, ne le délaissant plus à leurs camarades qui étaient des nuls. Ensuite, avec l’avènement de la crise économique, concomitante à la naissance du régime du renouveau, les sociétés parapubliques, qui assuraient de bons salaires à leur personnel, s’écroulant toutes les unes après les autres, l’Enam est devenue une école plus que convoitée. Après tout, les rapines d’un « D.A.G. », d’un inspecteur du trésor ou des impôts, équivalent bien, voire même surpassent de loin, les revenus d’un cadre de l’Oncpb, de la Camair ou du Cnce. Le nombre de candidats à son concours d’entrée s’est mis à enfler d’année en année, tant et si bien que les places ont commencé à se vendre au marché noir : 500.000 francs, un million, voire même plus. Et de nouveau, les cancres ont recommencé à accéder, en priorité, à l’Enam, le portefeuille, et non la matière grise, établissant désormais la sélection entre les candidats.
  Ce n’est pas tout, l’Enam est également devenue un haut lieu de recrutement pour les cercles ésotériques, d’une part, et pour les homosexuels au pouvoir. La technique est simple. Les recruteurs font savoir aux futurs «autorités » que, pour qu’elles le deviennent effectivement, elles doivent en payer le prix. Une « marche arrière » et un pacte sur des ossements humains en présence de nombreux « fraters », et un avenir radieux est garanti.
 Enfin, le procédé des « listes » est apparu. Pour chaque concours, des listes d’admis, par avances, sont dressées à divers niveaux de la République : Présidence, Assemblée nationale, Premier ministère, Comité central du Rdpc, etc. Résultat, les vrais admis se retrouvent éliminés au bénéfice de ceux des candidats dont les noms figurent sur les différentes listes.

4-L’Ena a redressé la France : l’Enam a Coulé le Cameroun

 Il faudrait bien rappeler une chose : l’Ecole Nationale d’Administration en France, ENA, qui a servi de modèle à l’Enam au Cameroun, avait été créée à la fin de la deuxième guerre mondiale dans le but de doter l’administration française de cadres performants destinés à redresser économiquement et politiquement la France. C’était en 1945. Il s’agissait également, pour le gouvernement français, d’assurer une formation unique pour les fonctionnaires responsables de la haute administration. Jusqu’à lors, chaque ministère se chargeait de la formation de ses cadres. Le moins que l’on puisse dire, est que l’Ena, en France, a rempli convenablement sa mission. Ruinée et dévastée en 1945, les diplômés de l’ENA ont admirablement bien reconstruit la France et lui ont fait reconquérir son rayonnement international. La France est membre du Conseil de Sécurité des Nations Unies, détient la bombe atomique depuis 1960, place des satellites sur orbite, construit des sous-marins nucléaires, etc.   
  Qu’en est-il des diplômés de l’ENA locale, ou « indigène », à savoir l’ENAM ? Pour ce qui les concerne, point n’est besoin d’être un savant, ces excellences ont conduit le pays à la faillite actuelle : deux fois champion du monde de la corruption ; disparition totale de la scène internationale ; faillite de toutes les entreprises d’Etat ; fraudes électorales massives, etc. Inutile de décrire le Cameroun que les diplômés de l’Enam ont bâti en 49 ans d’indépendance. Ce n’est pas demain que nous seront dotés d’une bombe atomique. Ce n’est non plus demain que le Cameroun qu’ils ont construit fabriquera son premier engin spatial. Que dire simplement de sa première automobile ? Ils nous ont conduit dans le fossé avec leurs histoires de développement par les champs de manioc, d’arachide et de macabo. Ils nous ont fait croire que nous serons un grand pays respecté dans le monde à travers la « révolution verte». C’est à croire qu’ils n’ont pas pu se rendre compte d’une vérité fondamentale, à savoir que l’histoire de l’humanité ne fournit aucun exemple de pays, nous insistons sur aucun, qui soit devenu développé grâce aux GIC, aux hectares de bananes plantains, aux plantations d’hévéa. C’est l’industrie qui rend les pays puissants, crée des emplois, apporte la prospérité. Mais, de ça, à l’évidence, vautrés dans leurs rutilantes « CA », les « Enamistes » n’en ont cure…


09/12/2009
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