Enoh Meyomesse : Espoirs et désillusions au Cameroun: le chaos sous Biya

Mardi 16 septembre 2008

                    Tribune libre, Enoh Meyomesse, 16/09/2008.Lorsque Paul Biya succède à Ahmadou Ahidjo au pouvoir, au mois de novembre 1982, même si les Camerounais ont du travail, ils sont las du régime ultra répressif qui règne sur leur pays depuis l’instauration définitive et officielle de la dictature le 1er septembre 1966.
 Leur peur est telle que, lorsque le 4 novembre, au soir, Ahmadou Ahidjo leur annonce qu’il se retire du pouvoir, tous se barricadent, en l’espace d’une demi-heure, dans leurs domiciles, convaincus qu’il s’agit certainement d’un subterfuge inventé par ce dernier pour identifier les ultimes Camerounais opposés encore à son régime, en dépit de tant d’années d’une répression impitoyable. Ce n’est que le 6 au matin, après la prestation de serment de Paul Biya, qu’ils se rendent effectivement compte qu’il ne s’agit pas d’un piège. Paul Biya est alors accueilli, malgré lui, en sauveur quasi-providentiel, c’est-à-dire véritablement inattendu. Il se retrouve, pratiquement, autant adulé, sinon plus, que l’avait été son prédécesseur, lorsque celui-ci remplaçait André-Marie Mbida au pouvoir le 18 février 1958. Tout comme on avait composé des chansons pour insulter Mbida, on en fait de même pour insulter Ahidjo. Celles-ci connaissent le même succès que celles dédiées au départ de Mbida du pouvoir. « Rigueur » de Ngallé Jojo, est ainsi un formidable succès. Il y déclare, notamment, « on en avait assez , à présent c’est le travail ». Eboua Lottin enchaîne sur le même registre en déclarant, pour sa part, « tu n’emportes rien », et éclate d’un formidable rire. La côte d’amour de Paul Biya auprès des Camerounais se renforce encore plus lorsqu’il parle de « moralisation des comportements ». C’est le genre de propos que désiraient entendre, en ce temps-là, ceux-ci. En effet, lors des dernières années de règne d’Ahmadou Ahidjo, nombreux étaient ses proches qui, par exemple, s’octroyaient des crédits bancaires, et qui, officiellement, mouraient, tout en continuant à circuler, au vu et au su de tout le monde, dans les rues des villes camerounaises. On avait qualifié ces décès particuliers de « morts bancaires ».

     Mais, la lune de miel entre Paul Biya et les Camerounais ne dure pas longtemps, exactement comme avait été de courte durée, celle entre son prédécesseur et la population vingt-quatre années auparavant. En effet, si ceux-ci l’adorent, c’est parce qu’ils attendent de lui qu’il abolisse, purement et simplement, le régime d’Ahmadou Ahidjo. Or, lui, tergiverse, pendant une année, soit du mois de novembre 1982, au mois de septembre 1983. Deux occasions en or lui sont même offertes à deux reprises, d’abord le 18 juin 1983, lorsque Ahmadou Ahidjo avait tenu sa fameuse réunion du lac au cours de laquelle il avait demandé aux ministres originaires de la province du Nord, comme lui, de démissionner en bloc du gouvernement. Paul Biya aurait pu profiter pour tout cham bouler en ce temps-là. Mais, il ne l’a pas fait. Puis, deux mois plus tard, au mois d’août, il est découvert un complot visant à son assassinat et ourdi, selon toute vraisemblance, par des proches de son prédécesseur. Cette fois-là encore, d’avantage même que la première fois, la majorité de la population s’attend à le voir en finir avec le régime d’Ahmadou Ahidjo. Cette attente de la population est d’autant plus fondée que, en ce milieu d’année, l’Unc, le parti politique créé par Ahmadou Ahidjo en 1958 à Garoua, avait totalement disparu de la circulation, rejeté définitivement par la population. Mais, à la stupéfaction générale, Paul Biya décide plutôt de redonner vie à celui-ci, prenant ainsi de court tout le monde. Au mois de septembre 1983, il en devient le président national. Cette décision, de l’avis de nombreux observateurs, avait sonné le glas des espoirs de changement d’innombrables Camerounais. La fin de la première année de pouvoir de Paul Biya s’achève sur cette déception monumentale.

     Malgré tout, il inaugure un nouveau thème politique : « le renouveau ». Mais, rien n’y fit. Tout au long du mois d’août, il s’était mis à parler de « changement ». Cette révolution sémantique, la population la perçoit simplement comme un renoncement. Elle ne vient atténuer, en rien, le désillusion grandiose des Camerounais.

     Au mois de novembre, il parachève la politique d’absorption – du moins c’est ainsi que cela est perçu par les concernés – de la communauté anglophone. Il met, en effet fin à la « République Unie du Cameroun », et crée la « République du Cameroun », tout court. Le tollé est général au sein des Camerounais anglophone. Soit qu’il n’avait pas mesuré, suffisamment, à quel point le qualificatif « Unie » tenait à cœur à ceux-ci, soit alors, étant donné qu’il venait de renoncer à son discours sur le « changement auquel aspire le peuple camerounais », il avait choisi de poursuivre l’œuvre de celui qu’il avait qualifié d’« illustre prédécesseur », en tout cas, sa décision est venue renforcer le sentiment de duperie auprès des natifs des provinces du Nord-Ouest et du Sud-Ouest. A n’en pas douter, il a, involontairement, fourni, par cette décision, le troisième argument fondateur de la SCNC.  Il tentera, tant bien que mal, de se racheter en organisant un congrès de l’Unc à Bamenda, et en y déclarant « i was born Cameroonian, and i will die Cameroonian », peine perdue. La blessure était déjà beaucoup trop profonde, et, en conséquence, le divorce avec les concernés.

     Au mois de janvier 1984, il est candidat unique à l’élection présidentielle anticipée qu’il organise – continuité totale avec son prédécesseur et géniteur politique – et se fait élire au score de 99% des suffrages exprimés. Trois mois seulement plus tard, ces Camerounais qui venaient de le plébisciter à un tel score, tentent de le renverser par coup d’Etat, le 6 avril 1984. Traduction, ces 99% ne correspondaient à rien du tout, sinon, étaient la preuve éclatante que le type d’élection mis en place par Ahmadou Ahidjo, le 5 mai 1960, en se  faisant élire président de la République, par la fraude - bien qu’en étant candidat unique - au Parlement, se poursuivait. En conséquence, il y avait effectivement « renouveau », et non « changement ». Autre désillusion monumentale des Camerounais.

     Dans la foulée de cette élection, il inaugure un nouveau discours, « l’intégration nationale », comme antidote au tribalisme. Malheureusement, celui-ci est perçu de manière polyphonique, chaque communauté l’entendant à sa manière, c’est-à-dire selon ses intérêts. Pour les Anglophones, le président de la République a reconnu leur sentiment de frustration, à savoir qu’ils jouent les  seconds rôles au Cameroun, qu’ils sont phagocytés par les Francophones, et s’est engagé à y mettre fin ; pour les Bamiléké, le président de la République a reconnu qu’ils sont rejetés de partout, et s’est engagé à faire en sorte qu’ils ne soient plus considérés comme des « envahisseurs », lorsqu’ils acquièrent des parcelles de terrains à travers le territoire national ; pour les Nordistes, le président de la République a reconnu que les Fulbé écrasent les autres communautés de cette partie du Cameroun, cherchent à les islamiser de force, et a même commencé à remédier à cela, en créant une province de l’Adamaoua, une province de l’Extrême-Nord et une province du Nord, séparément, c’est-à-dire en cessant de faire de Garoua, le centre politique et administratif de la partie septentrionale du pays ; etc. Il s’instaure ainsi, sur cette question de « l’intégration nationale » un malentendu profond entre le président de la République et les Camerounais, lui, ne concevant pas forcément les choses à leur manière.

     1986, patatras ! Les cours des produits de base, cacao, café, coton, caoutchouc, banane, etc, s’effondrent. Les recettes de l’Etat en subissent le contrecoup. Le président de la République est obligé de procéder à la réduction du train de vie de ce dernier. Les facilités de téléphone, les logements administratifs, les véhicules de fonction, les voyages à l’étranger, les facilités de carburant, tout est revu à la baisse, et dans certains cas, supprimé. Les nombreuses entreprises parapubliques créées par Ahmadou Ahidjo, pour résorber le chômage, et qui sont, depuis des années, déficitaires de manière chronique, ne peuvent plus être subventionnées par l’Etat. Celui-ci n’en a plus les moyens. Il est résigné à les voir se fermer, les unes après les autres, incapable de faire quoi que ce soit, déversant dans les rues du Cameroun, telles des ordures ménagères, d’innombrables chefs de familles. C’est la crise. Le chômage s’installe de manière catastrophique dans le pays. Paul Biya, pour la population, en est le responsable. Aucun moyen de lui faire comprendre qu’il ne détient aucun pouvoir en matière de fixation des prix des produits de base. 

     Lorsqu’il instaure la démocratie dans le pays quatre années plus tard, la frustration est immense au sein de la population. Le chômage, la vie dure, la mauvaise interprétation de la politique d’« intégration nationale », le tribalisme, sont exploités par des politiciens et des intellectuels démagogues, assoiffés de pouvoir. Ceux-ci jettent l’armée de millions de désespérés camerounais dans les rues, les incitent à casser, à brûler, à détruire, pour renverser le régime : c’est la sombre période des « villes-mortes », qui durera huit longs mois. Si la capitale du Cameroun s’était trouvée ailleurs qu’à Yaoundé, par exemple à Douala, Bafoussam, Bamenda ou Garoua, le régime de Paul Biya serait tombé. Heureusement pour lui, tel n’avait pas été le cas.

     En dépit de la forte contestation dont il l’objet, en 1991, il tient malgré tout sa promesse de démocratisation du régime. D’autres n’auraient pas hésité à incendier la ville de Douala, pendant les « villes mortes ». Lui, il se refuse de le faire, malgré l’insistance de nombreux barons du régime. Bien au contraire, il entreprend une tournée d’explication à travers le territoire national. Dans plusieurs provinces, il trouve des rues désertes, mais, n’abandonne pas, pour autant, son périple. Il lève la censure de la presse, en 1995. La presse camerounaise devient, du coup, la plus violente de tout le continent africain, et les journalistes camerounais deviennent ceux, sur le continent, qui sont l’objet de moins de poursuites, par les autorités, devant les tribunaux. Sur le plan de la démocratie, en tout cas, il ne déçoit pas les camerounais. Ceux-ci en usent, actuellement, et en abusent. Par exemple, lors des dernières élections présidentielles, il se retrouve face à seize candidats. Bien mieux, il finance même leurs campagnes électorales.

     Autre objet de satisfaction des Camerounais à l’endroit de leur président de la République, il est en passe de laisser le pays en paix, comme il l’avait trouvé. Et pourtant, les occasions d’embrasement n’auront pas manqué. Il aura, à chaque fois, su éteindre le feu qu’allumaient des pyromanes.

     Malgré tout, 26 années après la grande joie qu’avaient éprouvée les Camerounais au moment de l’accession de Paul Biya au pouvoir, et malgré de multiples slogans, « renouveau », «rigueur », « moralisation », « homme lion », « modernité », « grandes ambitions », etc, ceux-ci semblent être, aujourd’hui, plutôt blasés. Le pays va mal, s’évertuent à démontrer certains, mais, dans le même temps, les Camerounais ont réélu Paul Biya à un score de 70%. En conséquence, leur pays a beau être devenu, actuellement, le pays de l’impunité, de la corruption, de la non promotion de la femme, de la non promotion de la jeunesse, du cumul des postes, du non renouvellement du personnel politique, de l’inertie, de la gérontocratie au pouvoir, de la faillite économique, etc, ils donnent l’impression d’en être indifférents. Peut-être que les attentes qu’ils avaient du régime, en 1982, se sont muées en résignation, en acceptation de la situation actuelle.

 

par Delphine E. Fouda publié dans : Analyses


05/04/2009
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