Enlevement de GUERANDI MBARA: Ce que Jeune Afrique ne dit pas

Plusieurs zones d’ombres demeurent dans la sortie du magazine de la rue d’Auteuil. L’hebdomadaire Jeune Afrique (J.A), barre à la Une de son édition du 14 au 20 septembre 2014, Cameroun – Le fantôme d’Étoudi, avec en toile de fond la photo de Guérandi Mbara.

 

On peut y lire à l’introduction, «L’ancien putschiste et bête noire du régime Biya a disparu depuis près de deux ans. Révélation sur une affaire d’Etat.» De prime à bord, le journal de Béchir Ben Yamed présente l’ancien capitaine de gendarmerie sous la peau du « Chacal », traqué par les services secrets camerounais pendant près de 30 ans. Pour François Soudan, directeur de rédaction (Dr), s’exprimant sur les antennes de Radio France international (Rfi) hier, dimanche 14 septembre, le dernier épisode de cette traque commence en fin 2012, lorsque l’ancien officier de la Garde républicaine camerounaise cherche à acheter des armes pour 2000 mercenaires. Après la foireuse tentative du 6 avril 1984, il entendait une fois encore, déstabiliser le régime de Yaoundé. Selon les sources de J.A, le porte-parole du mouvement «J’ose » prend attache avec Georges Starkman, un marchand d’armes ayant pignon sur rue à Paris. Le journal de la Rue Auteuil rapporte à cet effet que, Guérandi Mbara aurait eu un entretien téléphonique avec l’armurier. Une conversation captée et enregistrée par les services de renseignements camerounais. Les barbouzes de la Direction générale de la recherche extérieure (Dgre), apprend-on, se seraient saisis de cette opportunité pour se remettre sur la piste de l’ancien putschiste. La Dgre aurait fait appel à José Alberto Fernandes, un colonel portugais à la retraite qui lui sert parfois d’agent traitant. Une fois en contact avec Guérandi Mbara, le Lisboète lui aurait proposé de l’emmener en Russie pour prospecter auprès des armuriers et prendre possession si possible des armes. Dans l’avion qui décolle de Porto au Portugal, un puissant sédatif est administré à l’ancien capitaine qui s’endort profondément pendant que l’appareil prend la direction du Cameroun. Jeune Afrique confie que le ‘’colis’’ aurait été livré aux agents des services secrets camerounais entre Edéa et Pouma, sur l’axe lourd Douala-Yaoundé, le 25 janvier 2013. A la question de savoir s’il a été assassiné, François Soudan ne confirme rien mais, soutient que c’est l’hypothèse la plus plausible. Un véritable polar hollywoodien à la Francis Ford Copolla.


Obscurité. Seulement, l’article de Jeune Afrique suscite quelques interrogations. Des questions qui méritent un éclairci, afin de mieux édifier l’opinion nationale et internationale.


D’abord sur la personnalité de l’homme. Le journal de Béchir Ben Yamed soutient que depuis 1984, les services secrets camerounais auraient à plusieurs reprises, monté des opérations pour éliminer l’ancien putschiste, sans succès. Guérandi Mbara était-il insaisissable ? Exilé au Burkina Faso depuis son départ du Cameroun, bien que condamné à mort par contumace, l’homme ne vivait pas caché. Docteur en sciences politiques, il a fondé et dirigeait un Cabinet d’études en questions stratégiques, économiques et sociales en Afrique, non sans publier plusieurs ouvrages et articles dans des revues spécialisées et journaux. Il est également enseignant de géopolitique et géostratégie dans plusieurs institutions au Burkina Faso et ailleurs. De ce fait, c’est un personnage public et très mobile, à la merci de la Dgre si elle en avait fait sa priorité. Et même, l’ancien capitaine de gendarmerie a séjourné Cameroun en 2012, dans la région de l’Extrême-nord. Il s’en est d’ailleurs vanté dans les réseaux sociaux. Les services secrets camerounais qui le tiennent à l’œil comme veut le faire croire François Soudan, n’étaient-ils pas au courant de cette visite ? Bien plus, détenteur d’un passeport diplomatique délivré par le Burkina Faso, cet homme avait des fréquentations au sein de l’appareil dirigeant burkinabè, au sein des organismes internationaux, dans les milieux politiques en Afrique et en Occident qui, auraient pu sonner l’alerte dès de sa disparition. Mais rien de tout cela. Curieux quand même !


Opportunité. L’attitude de Guérandi Mbara dans son projet de déstabilisation du Cameroun, telle que décrite par JA, reste également sujette à caution. Comment un homme aussi avisé qui a été à la tête d’une tentative de coup d’Etat, il y a 30 ans environ, peut-il évoquer une affaire aussi importante et sensible que l’achat d’armes, au téléphone ? Faut-il vraiment croire que le professeur de géostratégie est capable d’un tel amateurisme ? Aussi, qu’est-ce que le colonel José Alberto Fernandes aurait bien pu lui dire pour le convaincre de faire affaires avec lui ? Guérandi Mbara, très introduit dans les milieux du renseignement et dont les promotionnaires de l’Ecole militaire interarmes sont tous colonels au moins, n’était-t-il pas au courant de l’existence et du rôle du vieux colonel portugais ? N’a-t-il pas eu le reflexe d’en savoir un peu plus au sujet de son nouveau partenaire ? Difficile à croire. Un mercenaire blanc au service d’un pays africain est visible comme un furoncle sur le nez. 


L’autre question qui se pose avec persistance, est le prétexte et le contexte de cette publication de J.A. L’information est sur la table de Marwane Ben Yamed, rédacteur en chef du magazine panafricain, depuis combien de temps ? Si elle l’était depuis l’enlèvement de Guérandi, c'est-à-dire le 25 janvier 2013, pourquoi l’avoir mise sous embargo pendant plus d’un an et la publier maintenant ? Si la nouvelle est parvenue récemment à la rue d’Auteuil, qui en est la source ? Pour quel objectif et pourquoi maintenant ? Toutefois, il y a lieu de signaler que la publication de Jeune Afrique intervient dans un contexte où l’on parle de plus en plus de stigmatisation des Nordistes au Cameroun. Après le déclic de Cavaye Yéguié, président de l’Assemblée nationale, qui a récemment été suivi par l’appel de la «Lékié», les élucubrations de Fanny Pigeaud, les arrestations d’AboubaKar Siddiki et Abdoulaye Harissou, cette nouvelle révélation va en rajouter une couche. Dans un reflexe de repli identitaire, les ressortissants du septentrion pourraient bien avoir l’impression qu’il existe au Cameroun, un complot contre eux. Toutes choses capables de raviver les haines tribales, terreau fertile à la guerre civile et à la déstabilisation du pays de Paul Biya. 


De ce fait, il est de bon aloi de penser que, ceux qui ont décidé de porter cette histoire d’enlèvement de Guérandi sur la place publique, poursuivent un objectif bien précis qui n’est pas toujours sain : diviser les Camerounais. Mais, pense-t-on, il faut que les uns et les autres fassent attentions aux démons de la division. C’est par des faits anodins et isolés que le génocide a commencé au Rwanda. « On sait toujours comment ça commence, mais personne ne sait où et quand ça finit », dit la sagesse populaire. 

Bio-express
Né à Douala en 1954, Mbara Goulongo Guérandi avait six ans quand le Cameroun accède à l’indépendance. Fils d’officier de l’armée, il entre à École militaire inter-armes (Émia) de Yaoundé après l’obtention de son baccalauréat, en 1972. Il en sort sous-lieutenant trois ans plus tard, dans la promotion baptisée «20 mai», qui comprenait de jeunes officiers africains, notamment Thomas Sankara et Blaise Compaoré du Burkina Faso (à l’époque Haute-Volta) avec lesquels il a noué une solide et durable amitié. Pour rôder le jeune officier, l’Etat du Cameroun l’envoie en Allemagne de l'Ouest où, durant quatre ans, il va suivre une formation d’officier supérieur d’artillerie dans l’académie de la Bundeswehr. Quand il rentre au bercail en 1979, le futur capitaine est affecté dans une unité d’artillerie à Dschang (dans la Région de l’Ouest). Après le départ au pouvoir du président Ahmadou Ahidjo en 1982 en faveur de Paul Biya, l’activiste officier, aux côtés d’un groupe d’autres officiers de l’armée camerounaise, crée des cellules clandestines de réflexion qui joueront un rôle actif dans le soulèvement contre le régime Biya : c’est le putsch manqué du 06 avril 1984. 


Un des survivants du groupe initiateur de cette rébellion, Mbara Guérandi prend la poudre d’escampette et trouve refuge au Burkina Faso en juin 1984, où il vit depuis son soi-disant enlèvement de janvier 2013. Dans le procès des putschistes ouvert à Yaoundé, il est condamné à mort par contumace. Fort de son expérience, le militaire va contribuer à la formation de jeunes officiers dans l’Académie militaire nouvellement créée par le défunt président Thomas Sankara. De son exil burkinabé, il rédige l’ouvrage «Cameroun : une armée sans défense », dans lequel il analyse les causes de l'échec du 06 avril 1984. Dans sa quête effrénée du savoir, Mbara Goulongo Guérandi va poursuivre un cursus dans le domaine des Relations internationales. En 1997, il décroche un doctorat en sciences politiques, sous la direction de Pascal Chaigneau

(Université Paris Descartes).



16/09/2014
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