Elimination des Lions indomptables : passer du patriotisme collaborateur au patriotisme critique

Thierry Amougou:Camer.beLes basses pressions dans lesquelles est abonné le Cameroun politique, sportif, judiciaire et social après trente ans de Biyaïsme sont des preuves que « les grandes réalisations » sont tout simplement une désignation euphémique de la grande dégringolade du pays tout entier dans tous les domaines. Tout se passe comme si la réalité révélant un pays plus en putréfaction et en déliquescence que ne l’imagine la fiction, « les grandes réalisations » annoncées fonctionnent comme une lecture adoucie de celle-ci dans le but d’en atténuer le caractère choquant, calamiteux et révoltant. Tous les arbres qui cachaient la forêt du régime en même temps qu’ils en constituaient les fétiches s’écroulent un à un en laissant nu le pouvoir au centre du « village ». Les Lions Indomptables, seul exutoire trentenaire des populations méprisées et réprimées, viennent de clôturer le bal de la débâcle camerounaise et de l’évanouissement d’un Etat qui fut longtemps un grand espoir en Afrique centrale. Quelle attitude adopter face à cette situation ? Nous proposons de passer du patriotisme collaborateur au patriotisme critique.

* Du patriotisme collaborateur au patriotisme critique

La doxa instaurée et distillée par ceux qui continuent à croire que l’on peut être bon dans n’importe quel domaine sans travail, gagner sans préparation, atterrir sans fracas en navigant à vue et triompher des autres avec des structures non seulement gangrenées de corruption, mais aussi où le dysfonctionnement est la règle, a ceci de particulier qu’elle qualifie de non patriotes les Camerounais qui refusent de cautionner la politique de l’autruche en qualifiant l’élimination des Lions indomptables de ce qu’elle est, c’est-à-dire le résultat mérité et inévitable d’une médiocrité érigée en système de gouvernance tous azimuts. Le patriotisme collaborateur est celui des compatriotes qui sont tristes et coulent les larmes devant l’élimination des Lions Indomptables mais, parce qu’ils se refusent à toute critique du système en place et des causes de la faillite actuel du pays dans tous les domaines, se transforment tout de suite en patriotes collabos dudit système et de ses conséquences qu’il subissent pourtant ne serait-ce qu’en pleurant après une élimination programmée de leur équipe nationale. Par rapport aux carences multidimensionnelles du Biyaïsme, ce patriotisme collaborateur fonctionne de la même façon qu’un jeune enfant qui se cache les yeux avec ses deux mains et pensent qu’il est devenu invisible. Selon le patriotisme collaborateur, être patriote revient à toujours caresser les siens dans le sens du poil, à être hypocrite, à dire qu’ils ne sont pas des voleurs alors qu’ils le sont, et à pleurer à chaudes larmes alors qu’on sait très bien que ce qui nous arrive dépend très largement de nous-mêmes.

Le patriotisme étant l’amour des siens et non la haine des autres, être patriote dans le sens noble de ce terme, exige que l’on soit franc, sincère, lucide et impartial avec son pays et ceux qui le dirigent. La situation actuelle du Cameroun exige, non un patriotisme collaborateur qui autorise par sa stature permissive la continuation de la liquidation de la République, mais un patriotisme critique parce qu’il aime tellement ce pays qu’il ne peut s’empêcher de pointer le doigt sur ce qui ne va pas et les coupables au pouvoir : qui aime bien châtie bien dit le dicton. Il est paradoxal de dire aimer le Cameroun en mettant ses problèmes de gouvernance sous le tapis. C’est ce patriotisme collaborateur qui a animé la décision présidentielle de réintégrer Samuel Eto’o-fils dans l’équipe, c’est lui qui explique le oui de Jean Paul Akono de reprendre l’équipe déjà éliminée, et c’est lui qui explique aussi, le oui de Samuel Eto’o-fils au Président de la République alors que son refus d’y jouer une fois de plus fut du patriotisme critique.

Il ne faut jamais regarder où l’on tombe mais où l’on a trébuché, dit un proverbe camerounais. Seul un soulard cherche ses clés sous le lampadaire parce qu’il y voit de la lumière alors que celles-ci sont tombées dans l’obscurité à mille lieues de là : c’est une attitude irrationnelle. Aussi, lorsqu’Akono Jean Paul accepte de prendre les rênes de l’équipe nationale du Cameroun sous le vocable urgentiste et guerrier de « Mission commando », ceux qui lui demandent de qualifier les Lions Indomptables pour la prochaine CAN adoptent, autant que lui-même, la même attitude irrationnelle que celle du patriote collabo. Ils cherchent leurs clés où se trouve le lampadaire alors qu’elles sont tombées dans le même abîme que le Cameroun sous le Renouveau National. Cette

irrationalité est également la caractéristique du Prince lui-même et de Samuel Eto’o-Fils, le premier parce qu’ils croient que c’est un joueur et non une politique sportive crédible qui fait des résultats, et le second parce qu’il accepte de revenir alors que tous les problèmes qu’il a dénoncés sont toujours intacts.

* « Grandes réalisations » de Paul Biya et « Mission commando » d’Akono Jean-Paul

Mettre en évidence et opérationnaliser le patriotisme collaborateur a toujours besoin d’un discours mobilisateur qui fait appel à nos tripes et à notre amour propre même si nous savons que les fondations du pays sont pourries et que la maison va s’écrouler. Ce discours mobilisateur a été annoncé par Akono Jean-Paul lui-même en parlant de « Mission commando » pour qualifier la mission à lui confiée. Le pays étant en danger, quel Camerounais allait refuser de défendre ses couleurs dans cette « Mission commando » destinée à éviter l’humiliation nationale ? Comment sommes-nous encore dans l’urgence des Missions commando alors que nous sommes en train de réaliser les choses pensées depuis trente ans ?

En dehors de ces questions, celle qu’il faut se poser consiste à se demander comment est-ce qu’on arrive à qualifier de « Mission commando » une chose qui se fait dans le Cameroun des « Grandes réalisations ». Etant donné qu’on est passé d’une période d’incubation des projets et de « Grande ambitions » de trente ans, il semble que l’âge des « Grandes réalisations » devrait être celui où l’improvisation, la prématurité, l’urgence et le bricolage ne sont plus d’actualité. Il devrait être celui où cette « Mission commando » aurait été préparée depuis trente ans car « une Mission commando » est tout sauf de l’improvisation. Elle se prépare longtemps à l’avance parfois durant des années. Et c’est effectivement le cas sous le Biyaïsme car, arriver à ce que battre le Cap-Vert en 2012 soit une « Mission commando » pour les Lions Indomptables, montre, étant donné l’avance que nous avions par rapport à ce pays dans le football, qu’il aura fallu que le régime en place préparât son équipe nationale à la médiocrité via le patriotisme de collaboration. C’est ce dernier qui, face à la triste réalité selon laquelle le pays de Roger Milla n’a pas un stade de football digne de ce nom depuis trente ans et malgré tous les exploits footballistiques de nos joueurs, choisit de pleurer après l’élimination des Lions au lieu de se révolter contre ceux qui ont fait des « Lions carnaciers » des « Lions herbivores ».

En conséquence, seule le patriotisme critique peut mettre en évidence ce genre de choses en qualifiant les « Grandes réalisations » parce qu’elles sont, c’est-à-dire une lecture euphémisée de la décente aux enfers du pays sous le Renouveau National.

Etre patriote critique au Cameroun consiste donc de nos jours à participer au combat pour le redressement de notre pays en sortant de la politique de l’autruche. Cela consiste à dire que c’est sous le Renouveau National et à cause de lui que

* notre pays est un Etat pauvre et très endetté,

* que le label « Lions Indomptables » n’est plus signe d’excellence footballistique mais de désolation,

* que le statut du Cameroun et des Camerounais dans la sous-région a chuté,

* que notre justice et notre Constitution sont devenues des paillassons,

* que l’industrie des faux diplômes est si prospère,

* que l’Etat est transformé en « business » autant que les Lions Indomptables,

* que battre le Cap-Vert devient une « Mission commando » pour les Lions,

* que notre vie politique est dans un profond coma éthylique où seuls les procès politiques ont pignon sur rue,

* que les caisses de l’Etat fonctionnent en mode self-service etc.

© Correspondance : Thierry AMOUGOU, Enseignant-chercheur université catholique de Louvain, Belgique


16/10/2012
0 Poster un commentaire

Inscrivez-vous au blog

Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour

Rejoignez les 299 autres membres