ELECAM: La difficile quête de la crédibilité


Par jean.francois.channon | Mardi 27 juillet 2010 | Le Messager

M
ardi 13 juillet 2010. Il est 13h. La cérémonie d’installation des membres des démembrements d’Election Cameroon pour la région du Centre qui se déroulait au Palais des congrès de Yaoundé s’est achevée. Les « heureux élus » du jour sont en pleines réjouissances avec leurs proches dans les quartiers. Dans un bar situé au quartier Tsinga, Pascal M., un cadre de l’administration et militant du « Parti des flammes » vient embrasser et féliciter un responsable d’ELECAM qui vient d’être installé. « Salut cher ami, et cher ancien camarade du parti (RDPC Ndlr). Bravo encore pour ton « triomphe » de ce matin. J’espère qu’une fois sur le terrain tu vas nous ménager lors des élections. Le RDPC est quand même ton ancien parti. Il ne faut surtout pas l’oublier », lance-t-il à son ami devenu membre d’un démembrement d’ELECAM  pour la région du Centre. Tout le monde éclate de rire.

Surtout devant l’attitude embarrassée du membre d’ELECAM qui veut faire comprendre à tous qu’il est désormais neutre, et qu’il est tenu d’être objectif dans la conduite des élections dans sa circonscription électorale. « Laisse ça mon frère, lui lance Pascal M. Si on t’a mis la c’est parce qu’on sait que tu es des nôtres. Tu parles d’objectivité ? Je suis sûr que l’affaire va te dépasser lorsque tu seras sur le terrain. Je ne vois pas comment vous allez faire perdre notre cher président Paul Biya lors des élections de 2011 que nous devons absolument gagner. Réfléchit bien mon gars, et adaptes toi à la réalité… » La discussion devient animée. Deux camps se forment. D’un côté ceux qui croient à la possible objectivité d’ELECAM, et de l’autre, les sceptiques.

C’est alors qu’on se souvient qu’ELECAM a effectivement fini le processus de ses démembrements sur l’ensemble du territoire national. La structure est en train de lancer dans toutes les circonscriptions les inscriptions sur les listes électorales. Avant cela, les différents membres des démembrements d’ELECAM récemment installés ont suivi une formation sur la gestion informatique des élections, le processus d’inscription sur les listes électorales. Pour la plupart des membres des démembrements d’ELECAM que Le Messager a approchés, le leitmotiv est le même : « Nous sommes prêts. Nous avons été suffisamment outillés pour le travail qui sera le nôtre», explique un membre des démembrements d’ELECAM dans la région du Centre. Et de continuer. « Il faut savoir que les problèmes commençaient autrefois par les inscriptions sur les listes électorales. C’est la base. Le processus que nous allons maintenant conduire va nous permettre d’avancer en rendant ce fichier électoral plus dynamique dans sa fiabilité. Je prends un exemple : il n’y aura plus la possibilité de produire des inscriptions multiples sur les listes électorales. Une fois qu’un citoyen est inscrit dans une circonscription précise, au niveau de l’arrondissement par exemple, immédiatement il est enregistré sur le fichier. S’il va prendre une deuxième inscription ailleurs, celle là sera annulée automatiquement lors du toilettage du fichier. Au fur et à mesure qu’on avance. D’abord au niveau départemental, puis au niveau régional, et enfin au niveau national. L’autre problème sur les élections au Cameroun résidait au niveau des procès verbaux ; vous savez qu’avant seul le procès verbal détenu par le sous-préfet était valable. La situation a changé. »

Cafouillages encore possibles ?

Pourtant, pourtant, beaucoup ne partagent pas naturellement cet optimisme. C’est le cas de A.T., un ancien haut cadre du Rdpc, ancien délégué du comité central pour les élections dans une commune du septentrion et qui est passé à l’opposition aujourd’hui. « Il ne faut pas que les gens soient naïfs. Si le pouvoir veut tricher aux élections, il trichera toujours. Ce n’est pas ELECAM qui peut faire quelque chose. Je me souviens autrefois, alors que j’étais encore néophyte en politique dans les années 90, on a conduit des charters dans les villages sur 100 km. Les bus étaient pleins d’électeurs qui votaient à chaque fois pour le RDPC. Lorsque nos adversaires percevaient cette technique, il était généralement tard pour eux. Il y avait des bourrages d’urnes et même de l’intimidation. Moi, je pense que cette technique de charter existera toujours même avec ELECAM. Tout commence en fait au niveau des inscriptions sur les listes électorales. Une personne qui s’appelle Fouda Jean vient s’inscrire. On l’inscrit. Mais par la suite les responsables du parti au pouvoir à travers leurs Hommes influents dans les administrations lui produisent d’autres cartes d’identité. On lui fait par exemple 10 ou même 20 autres cartes d’identité avec Fouda, puis Fouda Jean Pierre, puis Fouda Fouda Jean et autres. Cette personne est inscrite sur les listes électorales 10 fois, 20 fois. Mais c’est la même personne. Il ne reste qu’à la faire voter autant de fois qu’on veut. Je vous assure que cette pratique ne peut pas finir. Le pouvoir à tous les moyens pour frauder. Surtout, n’oubliez pas que le conseil électoral d’ELECAM est constitué à 95% des anciens militants du Rdpc. Ils sont en fait en mission la où ils sont. Et la plus-part des membres des démembrements d’ELECAM sont eux aussi des anciens militants de base du parti au pouvoir. Ils ont leurs frères qui sont ministres, députés ou maires. Vous voulez qu’ils soient regardants lors des élections ? Humainement je ne pense pas.» Et de conclure : « La seule chose à faire c’est que les populations défendent leurs votes. Il faut se mobiliser pour cela. Lorsqu’on a fini de voter, on reste sur place, à surveiller qui sont les gens qui votent après vous. C’est un sacrifice qu’il faut consentir. Car face à la fraude, ELECAM qui est un instrument du pouvoir en place ne peut absolument rien. »

Au final, ELECAM malgré une certaine bonne volonté apparente affichée par ses responsables porte en lui un grave déficit de crédibilité. Il s’accentue au jour le jour. Même les bailleurs de fonds, et les partenaires au développement ont de la peine à croire que tous ces anciens caciques du parti au pouvoir, dont certains, comme disait l’ex-ministre Garga Haman Adji « peuvent étrangler la nuit les militants  de l’opposition » sont capables de devenir subitement objectifs dans une élection au Cameroun.



27/07/2010
0 Poster un commentaire

Inscrivez-vous au blog

Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour

Rejoignez les 299 autres membres