Eclairage du Dr. Shanda Tonmè sur l’enlèvement des sept français au Nord du Cameroun

Shanda Tonme:camer.beDans un entretien réalisé avec Alain Njipou du quotidien Le Messager, le Pr. Shanda Tonmè donne sa lecture sur l'enlèvement au début de cette semaine dans la partie nord du Cameroun de sept français. L’intégralité de l’entretien.

Professeur, quelle lecture faites-vous du kidnapping de sept touristes Français en séjour à l’Extrême-Nord ?

Pr. Shanda Tonmè : Cet événement me suggère une lecture en trois dimensions :

La première c’est l’imprudence, la légèreté, l’ignorance et une certaine arrogance de quelques individus, nationaux et étrangers, qui persistent à ne refuser l’évidence des graves dysfonctionnements institutionnels, sociaux et politiques, qui ont fini par fragiliser complètement notre pays, et par conséquent à rendre son territoire vulnérable à toute sorte d’aventure. Pour peu que des gens vivant au Cameroun aient un peu d’intelligence, ils ne se risqueraient pas à aller faire du tourisme dans le grand du pays dont il n’est presque plus exagéré de dire que l’Etat n’y contrôle vraiment plus grand chose. Non seulement des armes y circulent à profusion, mais plus grave, il est maintenant difficile de certifier qui est camerounais là-bas et qui ne l’est pas.

La deuxième lecture, c’est la consécration ou alors la rançon de notre attentisme, notre absence des jeux sécuritaires complets à l’échelle sous régionale et régionale, et notre inconscience des dangers qui nous guettent depuis longtemps. Il me semble que par rapport au Nigéria ou vis à vis de ce grand voisin, nous ne prenons pas ou plus la mesure de l’importance de relations étroites, suivies et qualifiées.

La troisième lecture, ne clarifie que trop fortement, les évidences des deux premières, à savoir la décomposition ou alors la faiblesse structurelle chronique des outils politiques, juridiques et sécuritaires de l’Etat dans la partie septentrionale du pays.

Qu’est-ce qui peut motiver ces ravisseurs à commettre untel forfait ? Peut-on lier cette prise d’otage à l’intervention militaire française au Mali ?

S’agissant de la motivation, il est loisible de rappeler qu’avant ce rapt, une situation de quasi anarchie s’est développée dorénavant sur l’ensemble du continent, proportionnellement comme corollaire de la mauvaise gouvernance, de la prolifération des dictatures et des modifications constitutionnelles arbitraires. Chaque fois que les gens n’ont plus d’espoir, ils s’installent dans le désordre et cette situation secrète des truands, des hors la loi, des criminels disposés à utiliser tous les prétextes pour prévaloir, y compris des slogans politiques dont ils ignorent parfois jusqu’à la substance de la cause.

Bien évidemment, le lien avec la guerre au Mali va de soi. Toutefois, il faut considérer que nous sommes simplement en présence d’une exploitation opportuniste d’une crise politique et diplomatique, pour servir des desseins criminels, barbares et mercantiles.

Selon des sources concordantes, cet enlèvement est imputé aux islamistes de la secte Boko Haram, qui n’est pas à son premier fait d’armes dans la partie septentrionale du Cameroun. Faut-il comprendre par là que le Cameroun est devenu une base arrière des terroristes ?

En fait ce que l’on appelle Boko Haram, ne repose sur aucune spécification identitaire ou religieuse incontestable, ni sur aucune cause populaire ou sectaire clairement validée et reconnue. N’oubliez pas que ce groupuscule de bandits résulte d’abord des montages stratégiques des politiciens du nord du Nigéria, qui après l’élection de Good Look Jonathan, ont attisé la guerre civile entre chrétien et musulman pour protester contre ce qu’ils considèrent comme la rupture d’un accord non écrit. Mais comme le montre les exemples historiques connus, les instigateurs et initiateurs de ces stratégies ne contrôlent plus toutes les ramifications.

Bien évidemment, plus un pays manque de bases démocratiques dans la formulation de ses institutions politiques et de son système de gouvernance par rapport à l’expression de la volonté populaire, plus il est faible et plus et il est à la porté des clans de voyous, de brigands, et de criminels se présentant sous diverses casquettes et avec des noms pompeux, effrayants. Vous voyez bien que du nord au sud, et de l’Est à l’Ouest, l territoire camerounais n’est plus vraiment sûr aujourd’hui. Des incidents se multiplient partout, et ce en dépit de l’action souvent efficace et déterminant du BIR.

Parlant de Boko Haram. Est-ce une nébuleuse à l’image d’Al Qaeda de Ben Laden de triste mémoire ? Quelles sont ses revendications ? Son mode opératoire ?

Il n’y a pas véritablement de parallèle à faire entre Al Qaeda et Boko Haram. J’ai longuement étudié cette question et je suis en train d’y consacrer un livre dont vous publiez d’ailleurs des extraits au fur et à mesure. S’il faut regarder la genèse de l’apparition, le mode opératoire, l’idéologie, le contexte, les acteurs principaux, nous sommes très loin d’une homogénéité absolue. par contre, la référence facile à l’islam tout comme le recours à des prises d’otages, semble indiquer quelques similitudes. Mais il faut s’en méfier. Al Qaeda dans la logique de son expression planétaire, renvoie à quelque chose d’autrement plus sérieuse et mieux structurée. Les proclamations purement circonstancielles d’adhésion, d’allégeance et de solidarité, ne signifient en rien une réalité. Boko Haram demeure un regroupement de petits truands tenus par des quelques seigneurs drogués qui profitent de la fragilité, du tribalisme, et du sectarisme qui minent le Nigéria en particulier, et les Etats voisin en général. Il est clair que nous sommes très explosés, mais cela ne date pas d’aujourd’hui. Que voulez-vous faire dans un pays où des cartes nationales d’identité, des passeports et autres documents officiels, sont délivrés frauduleusement à des étrangers ? Notre base institutionnelle étant faible, notre base sécuritaire l’est tout autant et le pays n’est plus qu’une passoire.

Que peut faire le Cameroun pour sécuriser définitivement ses frontières essentiellement poreuses ?

S’il y a une chose qu’il faut rappeler ici, c’est que le Cameroun dispose en dépit de toutes ses tares et de toute sa fragilité institutionnelle, de soldats capables, d’une police bien formée, et de forces de gendarmerie entraînée à une des meilleures écoles en la matière sur le continent. Maintenant, il y a, dans les enseignements militaires, la détermination des forces la préparation des forces, la rationalisation des forces, et l’emploi des forces. Les notions de stratégie et de tactique, supposent des étapes d’ordonnancement de tous ces paramètres de façon à obtenir les résultats recherchés. On parle donc de processus et d’objectifs de sanctuarisation, selon les temps, et selon les théâtres des opérations.

En réalité nous ne sommes plus prêts tout à fait, parce que bien que disposant de ressources combattantes et actives bien formées, nous manquons de génie, d’anticipation et de vision au niveau de l’équipement. Nous devons être en mesure, d’effectuer des pré-positionnements dans tous les sens, mais cela suppose des matériels roulants et des paquetages appropriés. Seul la garde présidentielle, unité d’élite par excellence dispose de telles capacités. Nous pouvons, nous pouvions, nous pourrons sécuriser nos frontières, mais à deux conditions : concevoir et mettre en place une véritable stratégie d’équipement et d’emploi des forces à cet effet, et ensuite intégrer cette démarche dans une autre stratégie plus large et coordonnée à l’échelle sous régionale. Sur ce dernier point, notre bilan est terriblement nul./.

© Source : Le Messager


24/02/2013
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