Ebale Angounou , l’homme par qui les ennuis de Jean Bosco Talla sont arrivés

Cameroun : Ebale Angounou , l’homme par qui les ennuis de Jean Bosco Talla sont arrivésLa résurrection D’Ebale Angounou

Ebalé Angounou Daniel est l’homme par qui les ennuis de Jean Bosco Talla, le Directeur de la publication de Germinal, sont arrivés. A l’évocation de ce nom, beaucoup, surtout parmi les jeunes, ne savent pas qui est ce personnage controversé de la scène sociopolitique des années de braises que le Cameroun a connues pendant la décennie 90.

Pour bien comprendre la complexité du rôle joué par ce citoyen au fort de cette crise politique, il conviendrait de rappeler le contexte duquel M. Ebalé Angounou jaillit. Nous sommes dans les années 90, l’ensemble de la société camerounaise connaît une effervescence politique. Les revendications fusent de toutes parts pour réclamer la fin du régime du Renouveau et de son chef qui ont échoué. Ces revendications commencent le 6 mai 1990, au stade Mateco de l’Université de Yaoundé lorsque les étudiants, réunis au sein du parlement,expriment leur ras-le-bol face ux conditions inhumaines dans lesquelles,ils font leurs études. A l’époque,la témérité de cette jeunesse estudiantine sacrifiée lui a permis de faire face à la barbarie de la soldatesque du régime. Le 26 mai de la même année, ces revendications se déportent sur le terrain politique. A Bamenda, la marche du Sdf organisée pour réclamer l’instauration du multipartisme et la démocratie est fortement réprimée, avec au bilan, on se souvient 6 morts « piétinés par balles ».

Dès lors, la tension monte d’un cran et en avril 1991, avec les villes mortes qui ont paralysé, pendant presqu’un an, les activités socio-économiques du Cameroun, ce sont presque tous les coins du triangle national qui sont désormais touchés par la mouvance revendicative du changement de régime. Chaque jour qui passe fait monter la tension. L’armée est débordée. Le pouvoir vacille. Le régime est menacé. Le Renouveau et ses hommes doivent tout faire pour casser cette dynamique irréversible afin de se maintenir aux affaires.

« LE PETIT AMI » DE PAUL BIYA

C’est donc dans ce contexte qu’un certain Ebalé Angoulou surgit sur la scène sociopolitique. Mais qui était-il ? Quelle était sa mission dans le sérail ? Pourquoi avait-il retourné la veste contre le régime ?

Ebalé Angounou Daniel est un Camerounais né le 27 mai 1962 à Sangmelima. Avant de sortir de l’anonymat en 1991, il était un globe-trotter faisant essentiellement dans la culture et les mouvements associatifs. Pendant ce temps, l’homme avait des fréquentations dans les arcanes du pouvoir et même de l’opposition. «Dans les rangs de l’opposition, je compte de nombreux amis dont je suis fier, de même que j’en compte dans le cercle des amis intimes de Paul Biya dont je fus un membre », précisait-il dans «Sang pour sang», un de ses ouvrages sur sa proximité opaque avec le pouvoir. Ce qui lui a d’ailleurs valu de se prévaloir d’être «le petit ami» de Paul Biya. De cette position privilégiée, cet homme, détenteur d’un passedroit, pouvait librement circuler dans la République, tout en infiltrant tous les milieux susceptibles de regorger des esprits rebelles pour le régime.

C’est ainsi que le 22 mai 1991, lors d’un meeting public, organisé dans la ville de Makak par Senfo Tokam, leader estudiantin de l’époque, Ebalé Angounou est démasqué par les élèves de cette ville venus assister à la rencontre. Sur lui, se trouvait une lettre de recommandation spéciale, signée du président de la République. Comme le rapportait le «Le Messager» N° 231 du 6 juin 1991, dans cette lettre, le président Paul Biya «attribue personnellement et à titre exceptionnel, à (son) jeune ami Ebalé Angounou Daniel (29 ans, né à Sangmelima) un titre d’immunité ». Paul Biya continue : «l’intéressé est entièrement sous ma protection, et je vous (toutes les autorités administratives et militaires du Cameroun) le recommandent particulièrement (…) ». Bien plus, il avait le droit de porter une arme de type Browing 9 mm pour sa protection personnelle. Pus tard, la Crtv devait faire un démenti en s’étonnant qu’on accorde autant de foi à une lettre où tout est flou et faux, jusqu’au nom de l’arme qui y est mentionné. En dépit de ce démenti, l’opinion retiendra de cet homme qu’il a aussi été accusé d’avoir suivi des opposants pour les assassiner. Ebalé paraissait dans l’opinion publique comme un tueur à gage à la solde du pouvoir.

Mais comme toute connection maffieuse qui fini toujours par se défaire en laissant des marques indélébiles dans la mémoire historique, celle de Ebalé Angounou avec le régime n’a duré que le temps d’une saison, puisque ce monstre politique a vite retourné sa veste contre ceux sur qui il fondait sa puissance. Accusé d’avoir fait défection, il a été condamné en 1991 et emprisonné dans le pénitencier de Kondengui à 30 mois de prison. Pourtant, explique-t-il : «Je refuse d’être traité d’opposant au régime de Paul Biya car, je n’en suis pas un. Je m’oppose plutôt aux pratiques auxquelles il se livre pour se maintenir au pouvoir». Ebalé est visiblement un homme dangereux.

Dans une interview qu’il accorde au Messager en juin 1991, il déclare sans équivoque : «Si j’ouvre la bouche, le Chef de l’Etat va Démissionner». Y avait-il meilleur avertissement à l’endroit de ceux qui évoqueraient des sujets aussi sensibles que celui qui a privé le Directeur de la publication de ses libertés  ! Ce jeune aura connu des misères mais a tenu à dire ce qu’il avait sur le coeur avant de quitter la scène. Ce sont tous ces moments douloureux d’un homme qui savait bien que «le pouvoir est absurde, sa quête rend fou», qui ont constitué sa muse dans la littérature politique riche avec des essais comme «Paul Biya, le cauchemar de ma vie», édité par Le Messager de Puis Njawé en 1992 et finalement interdit, et d’autres en chantier. Le moins que l’on puisse dire, est que Ebalé Angounou est un personnage dont la vie et la mort marqueront à jamais l’histoire du Cameroun. C’est une sorte de bouteille à la mer et les générations à venir sauront faire bon usage de ses écrits.

Lettre ouverte à Paul Biya par Ebale
Angounou Daniel

Mnsieur le président de la République, J’ai l’honneur de vous rappeler que jesuis votre prisonnier. Interpelé le 11 par des éléments de la sureté nationale àYaoundé, je suis sous mandat de dépôt depuis le 11/7/1991 à la Prison Centrale de (Kondengui) Yaoundé. Il m’apparait fort opportun de rappeler que l’affaire étant à l’instruction, je n’ai jamais été appelé pour des raisons y afférentes. J’ai également l’honneur de vous rappeler queles conditions dans lesquelles je suis détenu reflètent très mal ‘’l’Etat de droit’’ et de ‘’respect des citoyens’’, que ne cessent de claironner chaque jour les griots du Gouvernement-Rdpc. En supposant que vous n’en soyez pas informéce qui me surprendrait- je vous pris de souffrir que je vous en fasse cas, Mais ce n’est pas pour vous attendrir.

- J’ai les pieds enchaînés comme un redoutable condamné à mort.

- J’ai été installé dans une pièce aménagée pour moi, dans un ‘’quartier’’ de la prison, où je metrouve avec (pour seule) compagnie, (celle d’) un genre de rats colosses et affamés qui, ma foi, je l’espère, ne penseront pas à me manger un de ces jours. - Cela va de soi, personne ne peut me voir, personne ne peut me rencontrer. Moi-même j’entends juste les voix des pensionnaires des quartiers de la prison, voisins du mien, mais je ne les vois pas. Je répète que je suis seul dans un quartier, ayant auparavant servi aux détenus politiques.

Curieux faussaire…

Il m’est inutile de m’adresser aux responsables de l’institution pénitentiaires. Ils ne sont que des pantins agissant conformément à des instructions qui leur ont été donné. Alors Monsieur le président de la République, il me vient de me poser quelques questions que vous devez vous aussi méditer. Je ne vous demande pas de me faire l’honneur de me répondre.

1. – Pourquoi ces dispositions prises à mon égard, et jusqu’à quand ?

2. – Qu’est ce qui fait que je paraisse si dangereux pour le pouvoir, alors qu’il m’a simplement fait présenter par ses organes d’informations comme un faussaire ? 3. – A quand mon procès ? Aura-t-il réellement lieu ? N’essaye –t-on pas de me garder ici afin que le peuple oublie ?

4. – Et au cas où il aurait lieu, ce procès, sera-til ouvert au public ?

5. – Puisque que vous êtes fortement concerné, serez-vous représenté par votre avocat, par M. Fochivé, ou un tout autre copain devant défendre votre cause, à moins que le tribunal ne soit déjà affecté à cela.

6. – Me donnez-vous l’assurance qu’après ce procès, ma vie ne sera pas menacée ? Ces miennes questions que j’expose ici, beaucoup de personnes se les posent ailleurs. S’agissant des dispositions prises quant à ma détention, elles cachent mal, j’allais dire qu’elles trahissent la peur, que j’inspire au pouvoir en place, d’où toutes ces précautions. Mais, autant que je vous le dise, je vous dénoncerais au tribunal, et vous et votre système qui gouverne.

Pour gouverner, la nation, vous avez choisi les menaces, la violence et les armes. A votre avis, elles pérennisent votre règne. Vous avez bafoué vos valeurs morales et spirituelles, ce cristal qui brillait naguère au fond de votre âme. Et vous vous êtes dévoyé dans la course à la richesse, la soif de la gloire, et l’amour du pouvoir. Alors vous avez sombrés dans l’abîme. Vous avez déçu tout le monde, même nousautres qui avions espéré. Aujourd’hui, ceux qui sont avec vous, c’est ceux qui ont encore certainsintérêts à sauvegarder, d’ordre régional, d’ordre matériel ou d’ordre idéologique. Je suis aujourd’hui de ceux qui réclament une Nouvelle République. Et c’est ma personne qui vous a fait peur à tous. Je ne la verrai jamais, cette Nouvelle République, mais, j’aurai au moins contribué à son événement. J’irai à mon procès, Monsieur le Président, non pas pour me justifier, non pas pour le gagner.

Celui qui a donné des instructions au régisseur de la prison centrale de Yaoundé, en donnera aux magistrats du parquet. J’irai à ce procès pour réhabiliter ces enfants morts à Douala et ailleurs, tués par leurs frères de l’armée camerounaise que vous avez dressée contre les Camerounais ; j’irai à ce procès pour réhabiliter ces parents pères ou mères, qui ont été arrachés à leurs familles, j’irai à ce procès pour réhabiliter ce peuple affamé et assoiffé de justice, le peuple Camerounais ; j’irai à ce procès pour mes amis et ma famille, que je ne reverrai plus. C’est pour eux, tout ce monde, que j’irai à ce procès. Pour ma vie que j’aurai perdue, afin que vivent les autres, les Camerounais de la Nouvelle République. Leur sang et leurs larmes sont mes armes. Le sang ou les larmes, nous combattrons….. Veuillez agréer, Monsieur le président de la République du Cameroun, l’expression de ma très haute considération.

Ecrits de la prison, Yaoundé le 28/07/91.
EBALE ANGOUNOU DANIEL
SOURCE : LE MESSAGER, N° 240 DU 9 AOÛT 1991

© Germinal n°047 : SAK


07/10/2012
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