D’une « Garde » à l’autre


Cameroun : D’une « Garde » à l’autreAhmadou Ahidjo avait sa Gr. Paul Biya a sa Gp. L'une mit en péril les institutions. Comment se comportera l'autre au moment inéluctable où le Cameroun devra passer à un autre chef ?

A quoi sert donc la Garde présidentielle, que tout le monde appelle de ses initiales « Gp » ? Le décret présidentiel du 21 mai 1985 qui la crée est clair dans la précision de ses missions : « La garde, la protection du palais de la présidence de la République et des résidences présidentielles ; la participation à la protection du chef de l'Etat, des membres de sa famille et de ses hôtes». On peut, si l'on est dans une République, se poser la question de savoir si l'on a besoin de tant d'hommes et de moyens pour protéger un seul homme et sa famille, même si ce dernier est la clé de voûte des institutions.

La question ici, c'est de savoir si l'existence d'une telle structure est absolument nécessaire, ou alors, crée un problème, là où elle est censée en résoudre. La Garde présidentielle, façon Cameroun, c'est tout de même, et de manière visible, une armée dans l'Armée. Les bottes rouges, le treillis vert-debrun, le béret violet tranchent nettement avec les uniformes classiques de l'armée camerounaise, qui sont par ailleurs définis par des textes très précis, contenus dans l'incontournable Règlement technique des armées, l'espèce de Bible des forces de défense du Cameroun.

L'ami israélien à qui on a confié à l'époque la formation, la constitution et l'instruction de cette unité n'a pas seulement fourni la technique, il a aussi fourgué matériel, armement, vêtements et… chaussures. Lorsqu'on regarde se déployer les éléments de la Gp dans les rues de la capitale, lors de toutes les sorties de Paul Biya, on a tendance à se demander contre qui, ou contre quoi, ces hommes s'activent. Leur armement, leur vigilance certaine ne concernent, logiquement, qu'un ennemi potentiel : les autres forces armées du Cameroun. Selon la même simple logique, on peut donc comprendre que certaines indigences d'ici sont les conséquences des abondances de là-bas…

Le texte créant la Gp précise que celle-ci est constituée d'éléments « d'élite ». D'ailleurs, l'armée du Cameroun accueille de temps à autre ses « reversés », ex-éléments de la Gp qui, pour une raison ou pour une autre, en ont été virés, puis renvoyés à leur arme d'origine. Ces derniers vivent souvent des psychodrames de déclassés, c'est-à-dire d'anciens privilégiés, indexés de part et d'autre. Or, l'élitisme annoncé dans le texte n'est pas consacré par des tests où les candidats à la Gp rivaliseraient, par exemple, à l'adresse au tir, au saut en parachute ou autres exercices garants de l'excellence dans l'art militaire…

Garde prétorienne

En terme d'ambiance, on retrouve le climat qui, autrefois, prévalut entre la Garde républicaine d'Ahmadou Ahidjo et le reste de l'armée camerounaise. On peut lire, dans le décret de 1972, à ce sujet : « l'ensemble des unités de la Garde républicaine constitue une légion dénommée : Légion de la Garde républicaine. Elle est commandée par un officier de gendarmerie nommé par arrêté présidentiel pris sur proposition du ministre des Forces armées ».

Au-delà de la coquetterie de l'ancien président de la République du Cameroun, qui, dit-on, avait un faible pour la Gendarmerie, il y a, d'un président à l'autre, le besoin de se protéger vis-à-vis de son armée. C'est un souci légitime, lorsqu'on voit, depuis la « malédiction » inaugurale du sergent- chef Eyadema vis-à-vis du président Sylvanus Olympio, la somme des coups d'Etat qui ont été perpétrés sur notre continent. La plupart des chefs ont alors concentré leurs efforts sur leur protection physique, par des unités à la confiance supposée. Cela s'appelle, n'ayons point peur des mots, des « gardes prétoriennes ».

Mais, depuis la Rome antique, les gardes prétoriennes ont-elles jamais garanti à 100% la sécurité physique du prince ? Que non ! On a vu la décomposition et la débandade piteuse de la « Division présidentielle » de Mobutu, lors des derniers jours du potentat du Zaïre… En fait, le mécanisme, immuable, est le même : lorsqu'on constitue une garde prétorienne, on s'assure sa fidélité grâce à des privilèges concédés. Lorsqu'elle a acquis ces privilèges, c'est humain, son seul souci, c'est désormais de les conserver, parce qu'on s'embourgeoise. Un soldat empâté par ses avantages, c'est connu, sera toujours un piètre combattant. Pire, un manoeuvrier perfide.

Paul Biya a aujourd'hui sa Gp. Comme Ahidjo eut, par le passé, sa Gr. Dans le débat qui précéda la dissolution de la Gr en 1984, au lendemain du putsh manqué du 6 avril, le principal argumentaire des partisans de Paul Biya, à l époque, c'était le caractère à dominante ethnique de la Gr de l'ancien président de la République. En créant sa Gp, Paul Biya est tombé en plein dans le même piège, et le reproche qu'il fit à son prédécesseur, on peut le lui faire aujourd'hui. Dans l'histoire du Cameroun, la seule fois où la sécurité de l'Etat et des institutions a été menacée par les armes, ce fut le fait d'une « Garde », pour la préservation de ce que ses hommes croyaient être une menace sur leurs privilèges (et ceux de leur ethnie). En ce moment où, par la force des choses, le Cameroun devra subir un changement, l'attitude de cette « Garde » fait partie des éléments clés, pour la lecture de l'avenir du pays.

© Le Jour : Haman Mana


29/01/2013
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