Droits de l'homme, Démocratie et Gouvernance: Les coups de gueule des ambassadeurs

Yaoundé, 27 Août 2013
© Claude Tadjon | Le Jour

 

Robert P. Jackson, Janet E. Garvey, Niels Marquardt, George Staples, Frances Cook...

 

 

C'est une liberté de ton, parfois embarrassante pour les autorités camerounaises. Les ambassadeurs des Etats-Unis au Cameroun, depuis le retour du multipartisme dans les années 1990 ont en commun cette vigilance critique et sans concession vis-à-vis du régime du Président Paul Biya, surtout quand il s'agit des droits de l'homme, de la démocratie et de la bonne gouvernance. La récente sortie médiatique de l'Ambassadeur des Etats-Unis actuellement en poste à Yaoundé dans les colonnes du Jour (n° 1496 du vendredi 09 août 2013) au sujet de l'opération Epervier est de celles-là. Robert P. Jackson, interrogé par notre reporter lors d'une visite à Bafia dans la région du Centre a certes reconnu qu'il «faut poursuivre» l'opération Epervier puis a ajouté, acerbe, «mais il faut le faire de façon apolitique». 

A propos de la condamnation à 25 ans de prison ferme de l'ex-Ministre d'Etat chargé de l'Administration territoriale, Marafa Hamidou Yaya, l'Ambassadeur a affirmé, sans sourciller, que celui-ci est un prisonnier politique: «On a dit qu'il était condamné pour corruption éventuelle. Mais on considère que le procès avait quelques manquements et que le jugement n'a pas précisé les preuves de corruption». 


Prisonniers politiques 

Robert P. Jackson a réitéré là une accusation de partialité de la justice camerounaise et d'interférence de l'exécutif dans les affaires judiciaires, déjà formulée dans le rapport 2012 des Etats-Unis sur les droits de l'homme au Cameroun. En voici un extrait: «Le 21 septembre, le Tribunal de grande instance du Mfoundi a rendu un verdict de culpabilité dans le procès de Marafa Hamidou Yaya, ancien Secrétaire général de la présidence et ancien Ministre d'Etat chargé de l'Administration territoriale et de la décentralisation pour corruption dans le cadre de l'achat d'un avion présidentiel en 2001. Le juge a lu un jugement de 1156 pages contenant essentiellement des allégations et des insinuations, mais peu de preuves, et a condamné Marafa à 25 ans de prison. Les observateurs ont relevé que beaucoup d'aspects de cette affaire avaient trait à une interférence de l'exécutif», précise le rapport. 

L'Ambassadeur Robert P. Jackson admet dans l'interview accordée au Jour qu'il a pour mission de surveiller le respect des droits humains et de s'assurer que les gouvernements américain et camerounais «font tout ce qu'ils peuvent pour promouvoir les droits de l'homme». Une vigilance traduite par des interpellations souvent bruyantes, y compris par voie de presse. 


Déception, composition des membres d'Elecam 

Avant Robert P. Jackson, son prédécesseur Janet E. Garvey, (mai 2007 - août 2010), s'était déjà illustrée par ce franc-parler, critiquant, la composition du Conseil électoral d'Elecam, l'institution chargée d'organiser les élections. Janet Garvey, constante depuis Janvier 2009, avait exprimé sa déception de ce que la composition des membres d'Elecam ne représentait pas de manière plus large, la société camerounaise. Elle avait par ailleurs précisé qu'il revenait à Elecam de mener des actions claires et décisives pour prouver aux Camerounais sa capacité à agir en toute indépendance et en toute crédibilité. Des préoccupations adressées directement au gouvernement camerounais dans un premier temps, puis publiquement par la suite. Mme Garvey sera absente à la Cour suprême lors de la toute première cérémonie de prestation de serment des membres du Conseil électoral d'Elecam. Elle avouera que la préoccupation de son pays est de voir l'organisation d'élections libres, justes et transparentes au Cameroun. 

Le sujet favori de l'Ambassadeur Niels Marquardt, 2004 à 2007, était la lutte contre la corruption. Ce diplomate dénoncera publiquement la corruption sévissant au Cameroun, dans une déclaration en janvier 2006 rapportée par les confrères de Mutations: «Les actes de corruption sont devenus si communs et si banals que certains observateurs se demandent si le sens du mot corruption a une connotation différente au Cameroun». Niels Marquardt martelait que ce n'est pas assez de publier les noms de ceux qui sont accusés de corruption ni même de les relever de leurs fonctions. Ils doivent, poursuivaient-ils, être entendus et poursuivis en justice, jugés par les tribunaux et condamnés au cas où ils sont reconnus coupables. 


Caractère massif des fraudes électorales 

En octobre 1992, il y a eu ce rapport très critique du National Democratic Institute for International Affairs (Ndi) sur la dynamique des élections présidentielles du 11 octobre 1992, avec l'onction de Frances Cook, alors Ambassadeur des Etats-Unis au Cameroun (octobre 1989-janvier 1993). Ce rap¬port critiquait assez sévèrement les conditions d'organisation ainsi que le déroulement effectif du scrutin. Il insistait, par ailleurs, sur la "gravité des irrégularités et le caractère massif des fraudes". C'était un revers pour le Chef de l'Etat Paul Biya, déclaré élu dans un concert de dénonciations de fraude massive. L'investissement de Frances Cook dans la promotion de la démocratie, en poste lorsque le Président annonçait le retour au multipartisme, lui valut une convocation, le 19 octobre 1992, au Ministère des Relations extérieures. 

George Staples, lui aussi ancien Ambassadeur des Etats-Unis au Cameroun (2001 à 2004), indiquera sa perception des rapports entre les deux pays: 

« En général nos rapports avec le Cameroun comme avec les autres pays de cette région, c'est le renforcement de la bonne gouvernance, du processus de démocratisation, d'une société civile forte (...) Nous voulons nous assurer que tous les pays de cette région et particulièrement le Cameroun expérimentent ce genre de progrès et de développement humain». Selon le politologue Njoya Moussa (lire l'intégralité de l'interview ci-des¬sous) une ligne directrice guide les relations des Etats-Unis avec le Cameroun, quels qu'en soient les personnages, les partis ou les temps: «étendre aux confins de la terre leur domination».



27/08/2013
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