Droit et sécurité des citoyens

Droit et sécurité des citoyens

Le président Paul Biya, dans un sursaut que certains ont trouvé tardif, a décidé de lancer une opération contre les prévaricateurs de la fortune publique à qui il a demandé, désormais, de «rendre gorge». On ne peut que l’encourager dans cette voie. Les premières actions ont été entreprises. Et le chef de l’Etat, que ce soit lors du tout dernier congrès du Rdpc, sa formation politique, de ses divers discours de campagne ou lors de sa prestation de serment, a réaffirmé sa volonté d’aller plus loin. Il mérite sans doute d’être soutenu, pour créer à nouveau des conditions d’égale chance d’épanouissement de tous les Camerounais.
Mais le soutien ne saurait être aveugle. Car dans un Etat qui se veut de droit, tous les citoyens ont droit à la présomption d’innocence, à l’égale et stricte application de la loi, soit qu’elle punit, soit qu’elle protège. Autant les anglo-saxons ont coutume de dire «justice must be done ; but justice should be seen to be done», la mise en oeuvre de la justice doit être soucieuse de sa perception : elle doit être juste et équitable, au risque de perdre de la légitimité.

A l’aune de ces considérations, il est à craindre que la manière dont les procédures des principales têtes de proue de ce qu’on appelle l’opération Epervier sont conduites, soit de nature à susciter à la fois trouble et perplexité quant à l’usage qui est fait du droit et de la procédure pénale. Les comptes rendus d’audience régulièrement servis par votre journal ont semblé indiquer un malaise depuis quelques mois, les chefs d’accusation retenus indifféremment contre Urbain Olanguena Awono et ses co-accusés, Jean Marie Atangana Mebara et ses co-accusés, Polycarpe Abah Abah et ses co-accusés et même Titus Edzoa et Michel Thierry Atangana dans leur nouveau procès ont été pratiquement tous abandonnés les uns après les autres, généralement à la faveur de témoignages de personnes pourtant appelés par l’accusation pour les enfoncer davantage.

Comme par coïncidence, un ouvrage collectif conduit par le chercheur Charly Gabriel Mbock vient de paraître sous le titre évocateur : «L’opértation Epervier au Cameroun : un devoir d’injustice ?». Et dans l’un de ses premiers chapitres, Charly Gabriel Mbock plante le décor : «Pourquoi annoncer des procès équitables et organiser plutôt un circuit d’élevage de boucs émissaires ? «Quand on lui crache au visage, l’aveugle croit qu’il pleut». Le peuple camerounais s’est sans doute aveuglé de ses multiples frustrations ; mais il ne tardera pas à s’apercevoir que l’option était sans doute de faire des exemples sur quelques emblèmes et, à quelques exceptions confirmées près, de présenter des gages commodes et de donner le change à ceux des partenaires qui n’arrêtent plus d’exiger l’avènement d’un véritable Etat de droit, en dépassement de l’Etat actuel de lois. Un Etat de lois n’est pas spontanément un Etat de droit : le droit suppose de réelles possibilités de recours à un pouvoir judiciaire aussi indépendant que soucieux de justice. Un Etat de droit vit de justice et prospère par la justice ; qui donc croyons nous pouvoir convaincre de la sincérité de nos indignations tardives lorsque nous avons pu, pendant plus de 25 ans, nous accommoder de pratiques que nous prétendons aujourd’hui ?

Il n’est certes jamais trop tard pour bien faire ; mais au vu de nos silences complices, des onctions administratives et des promotions spectaculaires que le Pouvoir a régulièrement opposées aux dénonciations les plus justifiées, comment aujourd’hui réfuter l’impression que ceux-là mêmes qui devraient se retrouver dans l’ombre des geôles se hâtent d’y expédier les autres pour se réserver le soleil ?»
Les questions ne manquent pas de pertinence, et amènent à en poser une autre : que faut-il comprendre dans l’Etat de droit que veut construire le chef de l’Etat ? Faut-il faire preuve d’acharnement juridique et judiciaire pour montrer qu’on est dans un Etat de droit ? Ne faut-il pas avoir le courage de desserrer l’élixir répressif en attendant des preuves judiciaires accablantes et irréfutables contre les prévenus ? Il n’est pas question de prendre partie. Mais on peut humblement envisager de faire désormais comparaitre libres ; les premiers éléments indiquant clairement, sur la base des dossiers confectionnés par les représentants de l’Etat, qu’en comparaissant libres, ils constituent de moins en moins des menaces pour la manifestation de la vérité.

Cela donnerait plus de sens à cette autre réflexion de Charly Gabriel Mbock, contenue dans le même ouvrage cité plus haut : «Le refus de l’impunité fait honneur à la République quand il n’est pas simplement rhétorique. Et toute détermination à sanctionner la délinquance grandit les corps chargés de la recherche des infractions et de l’application des sanctions y afférentes. Mais ni l’honneur de la République, ni la détermination à sanctionner ne justifient des injustices, parce qu’il suffit d’une seule injustice pour que la république se coiffe du déshonneur. Et le recours à la raison d’Etat n’est plus un argument rationnel, mais une argutie qui révèle que l’Etat, faute d’avoir raison, agit avec autorité, trahissant ainsi qu’il est dans un Etat de déraison. Ce ne sont donc pas les sanctions qui doivent être exemplaires, mais les procès, mais les investigations, mais la qualité des preuves à charge. Les sanctions qui visent l’exemplarité s’exposent au soupçon d’ostentation publicitaire. Or, la vérité judiciaire se passe d’exhibition. Elle s’élabore patiemment, en secret, dans l’intimité d’une âme et d’une conscience, deux valeurs réputés hautement morales. La vérité judiciaire vit de rigoureuse compétence et d’austère discrétion. Toute justice de caméra risque donc de desservir la morale judiciaire, de la même manière qu’une prière «pour la télé» rendrait coupable de pharisaïsme.»

Par Alain B. Batongué



29/11/2011
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