Diversion: Ze Meka contre Bibi Ngota, avec la bénédiction de Issa Tchiroma

YAOUNDE - 30 AVRIL 2010
© DALLE NGOK PIERRE | Aurore Plus

Issa Tchiroma Bakary


Au Cameroun, la diversion est érigée en système de gouvernement. Pour atténuer l'effet Bibi Ngota auprès de l'opinion publique nationale et internationale, le pouvoir a voulu donner un os à ronger à la presse en sortant des placards l'affaire Ze Meka du nom de l'ex-ministre de la défense, qui a été entendu par la justice dans le cadre d'une instruction qui n'a pas été révélé.


La presse a-t-elle mordu à l'hameçon en fonçant tête baissée sur cet ancien ministre que l'on sait depuis longtemps dans le viseur de l'opération épervier ? Rien n'est moins sur. L'affaire BIBI Ngota, autrement plus dramatique n'est pas prête de quitter les avants scènes de l'actualité et cela pour plusieurs raisons.


Elle permet à l'opinion et aux différents organismes intéressés de s'occuper des nombreux cas de violation des droits de l'homme et d'arrestations arbitraires pendantes dans les placards du pouvoir. Mais surtout elle va contribuer à l'exigence fondamentale de la dépénalisation des délits de presse au Cameroun, tant souhaitée et revendiquée dans diverses tribunes. C'est l'occasion ou jamais pour le législateur de saisir l'occasion pour interpeller le gouvernement là dessus quand on sait que plusieurs journalistes croupissent en prison pour des motifs plus ou moins liés à l'ego de quelques autorités en mal de répression.


Rencontre avec l'un des codétenus de Bibi Ngota


L'un des compagnons de misère de Bibi Ngota témoigne des mauvais traitements subi au Cener : «J'ai les séquelles, les conséquences du mauvais traitement que j'ai subi à la Direction de la recherche extérieure (la Dgre). Le dos me fait atrocement mal, de temps en temps j'ai des palpitations au niveau du cour». A la Dgre a-t-il confié à la presse, «c'était la bastonnade à tout moment et on dormait à même le sol». Sans mandat d'arrêt, sans plainte, parlant de Laurent Esso, le journaliste ajoute : «j'ai comme l'impression que c'est lui qui a demandé qu'on nous déferre. C'est ça le rôle qu’il joue. Il se trouve en même temps juge et arbitre. On a même comme l’impression que les juges attendent son signal pour faire quoi que ce soit. Nous subissons trop d'atrocités. J'ai comme l'impression que tout le monde veut prendre des décisions sans que le régime en place ne fasse quelque chose. On a comme l'impression que la solidarité gouvernementale prime sur la vie humaine. Tout le monde veut se défendre dans le gouvernement. Il y a tellement de contre vérités dans ce que Issa Tchiroma raconte. Quand Issa Tchiroma raconte que le ministre Laurent Esso a porté plainte vendredi le 5 mars, je me demande ce que je faisais à la Dgre entre le 6 et le 12 février ? Qui m'a fait venir là-bas». Questions sans réponses hélas.


La victime devenu bourreau


Il est tout de même curieux que ce soit Issa Tchiroma Bakary qui défende avec autant de vigueur l'univers répressif qu'il connaît mieux que quiconque, parce qu'il a été embastillé sans rime ni raison au lendemain du putsch du 6 avril. Issa Tchiroma Bakary aura en effet tout connu ou presque dans sa vie. Les délices d'une vie de famille aisée du Nord Cameroun, un passage à la Régie nationale des chemins de fer après une brillante scolarité en France sous l'aile protectrice du premier président Ahmadou Ahidjo. Mais aussi, les affres de la prison après le coup d'Etat manqué du 06 avril 1984 dont il sortira meurtri pour mieux rebondir comme ministre des Transports huit ans plus tard... De cette période il s'est expliqué: "Pourquoi m'a-t-on arrêté ? Ecoutez, pour la petite histoire : il y a eu des enquêtes. On a fouillé mon domicile et mon bureau neuf fois. J'ai été arrêté le 16 mai à Douala. Je n'ai pas eu la chance de rencontrer les autres protagonistes. Ils étaient déjà exécutés."


"Lorsque l'on m'a libéré je me suis dit: je sors et je me battrai pour que ce qui m'est arrivé n'arrive plus jamais à personne… ". Le prisonnier d’hier devenu ministre a-t-il tout oublie ?


«Lorsque l'on m'a libéré, certains d'entre nous étaient restés en détention. Je souhaitais porter à la connaissance de ceux qui gouvernent que la loi d'amnistie n'était pas entièrement respectée».


C'est le 16 avril 1984 que les éléments de la gendarmerie et police, après l'avoir pris en filature, l'interceptent à l'entrée de son bureau, sur ordre du délégué provincial à la Sûreté, le Commissaire Pierre Minlo Medjo. «Entre le 9 avril et le jour de mon interpellation, soit exactement 6 jours, mon bureau avait été fouillé 9 fois et ma résidence autant de fois. Tous les matelas de la maison avaient été éventrés, le plafond lacéré. Mes enfants étaient traumatisés. Il aura fallu beaucoup de temps pour que ces enfants s'en remettent de leur traumatisme ».


Je garde de cette cellule le souvenir le plus exécrable de ma vie


«Je fus conduit directement à l'aéroport de Douala pour Yaoundé. A la passerelle, les militaires m'attendaient armes au poing. Les instructions leur avaient été données que j'étais un élément très dangereux qu'il fallait surveiller de près».


A la direction de la police judiciaire où il est conduit, on avait pris le soin d'évacuer une cellule de malfrats pour l'y loger seul parce que, «disait-on, j'étais dangereux ! Je garde de cette cellule le souvenir le plus exécrable de ma vie : une pièce de 3 mètres carrés sans lumière et sans aération. Il n'y avait pas de toilettes. Les détenus, faisaient tout sur place ; ils s'asseyaient ou se couchaient sur leurs excréments et sur leurs urines. J'avais passé 3 jours dans cette cellule, dans ces mêmes conditions, qu'on ne souhaiterait pas à son pire ennemi».


Ensuite on l'envoie à la prison de Yoko. «J'y passerai plus de 6 ans de ma vie, jusqu'à mon élargissement en fin 1990. Tout commence au tribunal militaire de Yaoundé, où je suis présenté pour répondre aux chefs d'accusation suivants: assassinat, tentative d'assassinat, destruction des biens publics, apologie du crime. Mon avocat, Me Yondo Black tentera de démonter tout cela en vain. Le verdict était dit d'avance. Le reste n'était que des formalités qu'il fallait remplir. Le colonel Valdès, en sa qualité de commissaire du gouvernement, devait assumer ce rôle pas plaisant de prouver ma culpabilité. Sa tâche ne fut pas aisée. Lorsque je suis présenté au colonel Enanga, président du tribunal militaire, il eu cette réaction exclamative: "Pourquoi vous m'amenez ce monsieur ?".


Aujourd'hui le prisonnier sans crime d'hier explique les crimes de ses maîtres d'aujourd’hui. Ainsi va la vie…




02/05/2010
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