Différents points de vue sur ce qui se passe en Côte d'Ivoire

Présidentielle : la Côte d`Ivoire sans vainqueur à l`expiration du délai

L'élection présidentielle qui vient de se terminer avec la proclamation de deux présidents-élus, l’un par la CEI, et l’autre par le Conseil Constitutionnel, va accroitre la division de la Côte-d’Ivoire, au lieu de contribuer à la résorber.

De toute façon, cette situation ne nous surprend guère. C'était tout à fait prévisible, à 99%. Et accuser l'un ou l'autre camp me paraît une attitude trop simpliste et non basée sur une connaissance des réalités spécifiques du ce pays.

Beaucoup s'empressent de s'en prendre à Laurent Gbagbo qui chercherait à s'accrocher au pouvoir. A ces rêveurs, je répondrai froidement que c'est là la seule attitude que peut adopter le Président sortant d'un pays encore déchiré par la guerre civile où les rancunes sont énormes, et qui tient donc, la plus naturellement du monde, à préserver sa peau et celle de son entourage. Et nous devons tous comprendre que, quelles que soient les menaces de l'ONU, Gbagbo et ses proches cèderont difficilement à la pression. C'est une question de vie ou de mort. Et ils préfèrent la furie 'civilisée' de l'ONU à celle, qu’ils savent 'sauvage', de leurs adversaires en cas de sortie du pouvoir.

A qui la faute alors ? A la communauté internationale - aux pays occidentaux, en fait - et à l'ONU, elles qui ont forcé les Ivoiriens à aller à l'élection présidentielle. Comment peut-on seulement songer à organiser des élections normales, aux résultats acceptés de tous les protagonistes, dans un pays non pacifié et non réunifié où la fracture sociale entre le Nord et le Sud est béante ? Il fallait plutôt aider les Ivoiriens à parfaire progressivement la réconciliation nationale pendant une période de transition d'au moins quinze ans avec un gouvernement d'union nationale dotée d’une direction collégiale ou de toute autre structure acceptée par les forces vives du pays.

Non seulement l’élection était prématurée, mais elle a été hypothéquée avant même sa tenue. Parce que placée entre les mains de deux personnages-clés visiblement partisans : le président de la CEI, un Nordiste, donc probablement un pro-Ouatara, et le Président du Conseil constitutionnel, un Sudiste bon teint apparenté au président sortant.

IL faut aussi avoir le courage et l’honnêteté de reconnaitre que l’ONU elle-même se trouve dans une situation extrêmement inconfortable. La CEI proclame des résultats au-delà des soixante douze heures légalement imparties par la loi. D’un point de vue strictement juridique, ces résultats sont, quelle que soit par ailleurs leur crédibilité, nuls et non avenus. Cela, personne ne peut le contester. Et pourtant, l’ONU a décidé de reconnaitre ces résultats-là pour rejeter ceux, plus légaux – même falsifiés ou fabriqués de toutes pièces -, livrés par Conseil constitutionnel. C’est un précédent dangereux en manière de droit, car il place la légitimité au-dessus de la légalité.

Il est grand temps que les Africains se penchent sur leurs problèmes pour leur trouver des solutions africaines. Une situation comme celle prévalant en Côte d’Ivoire ne peut pas être réglée par l’organisation d’élections. Ce pays a besoin d’un long processus de réconciliation nationale.

C’est seulement quand il aura retrouvé son unité que l’on pourra parler d’élection. Même les pays très stables socialement et ayant une longue expérience démocratique comme les Etats unis et la France, sont souvent ébranlés par la tenue d’élections qui constitue, non pas un facteur unificateur, mais plutôt un facteur de division sociale. Et cela est encore plus valable pour les sociétés africaines où le sens du partage est encore bien vivace.

C’est là une leçon que l’ONU et la communauté internationale doivent apprendre. Pour éviter des déconvenues comme celle qu’elles viennent d’enregistrer en Côte-d’Ivoire.



Pr. Gorgui Dieng
Laboratoire d’Etudes africaines et postcoloniales
Département d’Anglais
UCAD

 Sud Quotidien, Sénégal, édition du 4 décembre 2010

_____________________________

COTE D'IVOIRE
Mane Aly


Quand Gbagbo se prend pour Houphouët


Les Ivoiriens sont-ils comme nous ou encore sommes-nous comme les Ivoiriens ? Les leaders, pour ne pas les nommer. Depuis dix ans que ça dure, la difficulté d’organiser des élections correctes dans ce pays devenait quasiment la règle. Et, depuis l’annonce des résultats partiels de la dernière présidentielle en Côte d’Ivoire mercredi dernier, une seule et même idée trotte dans l’esprit des observateurs et démocrates du monde, mais où va le pays ? Jugez-en vous-même. Presque à part en Afrique depuis la fin des années 1990, la Côte d’Ivoire a oublié son mirage et vit l’enfer.

1990, malade, Félix Houphouët-Boigny, sait qu’il n’a plus longtemps à vivre. Le président ivoirien fait des va-et vient entre l’Afrique et l’Europe pour se soigner, sans songer un seul instant, à se retirer du pouvoir pour sauver tout ce qu’il a construit dans son pays. Pendant ce temps, son parti le Pdci-Rda n’a pas osé lui demander de préparer son départ au même moment où des velléités de positionnement commencent à se faire sentir entre le riche Henry Konan Bédié et le premier ministre Alassane Dramane Ouattara, ancien gouverneur de la Banque Centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest. Et/ou encore Laurent Dona Fologo, ancien Président de l’Assemblée nationale. Rien ne se sera préparé jusqu’à la mort du président fondateur. Le premier de la République indépendante de Côte d’Ivoire. Le père de la nation. Nous sommes en 1993.

 A partir de là, le Pdci essaie de se réorganiser et pousse le bouchon jusqu’à vouloir exclure en son sein tous ceux dont soi-disant la nationalité d’Ivoiriens était douteuse. Après être enseveli dans sa tombe, le roi baoulé « qui ne voulait quitter le pouvoir que sur un cercueil », venait d’être poignardé et assassiné. Nous voici dans l’Ivoirité. Le temps des sorciers est arrivé. Tous les Mossis installés en Côte d’Ivoire depuis plusieurs générations, et même les Akans, proches du Ghana voisin sont devenus des étrangers dans le pays qui les a vus naître. Tout comme les Sénoufo, placés en sandwich entre les deux groupes Malinké, les Koulango et les Lobi. 

Les Malinkés et Dioula (Dan, Yacouba, Gouro, Koueni et Gagou),  du nord aussi sont dans le lot. Tous honnis tout d’un coup comme si les localités d’Odienné, de Ferkessédougou, Niakaramandougou jusqu’au sud vers Bouaké n’était inscrites dans la République indépendante. Alors, survient assez justement la rébellion du nord. Et le pays est déchiré quasiment quand Robert Gueï le reprend pour « balayer la maison » et avant que Gbagbo n’arrive à l’improviste pour se saisir de la caisse du magot et le partager avec ses gars. Comme dans un western. La Côte d’Ivoire risque de ne pas survivre à son premier président.

10 ans de tergiversations. 15 ans de mépris et de mensonges au sein même du Pdci qui voit aussi naître en son sein, une frange de contestataires, avec l’arrivée du Rassemblement des Républicains (Rdr) d’Alassane Ouattara à l’époque Directeur Général adjoint du Fonds monétaire international (Fmi). Les années passent. Gbagbo et son clan jouent la durée valsant au gré des vents avec les vrais et les faux ivoiriens. Ils reprennent eux aussi, le thème de l’ivoirité chère à Bédié et son groupe. Qui est fou ? Tous les moyens sont bons pour écarter l’adversaire le plus crédible au nom des querelles ethniques. Les années passent encore jusqu’à ces deux derniers mois, où l’on se décide à faire un premier tour d’élection présidentielle.  

Comme si une partie des 14 millions d’Ivoiriens n’y voyaient finalement rien, un hold up électoral est à la clé de cet évènement qui installe le mal élu, Gbagbo dans un salon du pouvoir, devant l’élu du peuple, un homme du nord, dioula, à l’accent burkinabé qui n’irrite plus toutes les personnes (hommes et femmes) à qui on avait fait croire que pour être du pays, faut parler comme Gbagbo ou Houphouët. Et de quel droit, serait-on tenté de dire ? Un véritable syndrome est entrain de prendre forme dans ce pays, c’est la xénophobie comme norme de régulation sociale et cela commence au sommet de l’Etat.

Le maître du bluff


Avec au départ, un principal animateur, à l’époque qui s’appelait Konan Bédié imité par la suite par un comédien de talent, malgré ses beaux mots du débat télévisé, le président Laurent Gbagbo lui-même. Lui qui disait à une certaine époque d’alliance avec Robert Gueï que si Alassane est ivoirien qu’on le dise, s’il ne l’est pas aussi qu’on le dise », montrant ses doutes sur la nationalité du candidat. Et pendant la campagne présidentielle combien de fois ne l’a-t-on pas entendu, traiter son adversaire de menteur, d’étrangers etc. Avant qu’il se justifie sur les ondes de la télé en voulant tout de suite en faire un frère. La Côte d’Ivoire est ainsi faite. Terre d’immigrants, on se demande d’ailleurs qui est vraiment ivoirien dans un pays au nom assez bizarre, côte d’Ivoire assimilable à une ligne ouverte sur l’océan.

Oui ! Le nom de Côte d’Ivoire pour le géographe est une anomalie de l’histoire. Parce que dans la conception des anthropologues culturels, tout cela rappelle le carnage qu’il y a eu à une certaine époque sur les populations d’éléphants d’Afrique de l’ouest par des braconniers et des explorateurs en mal de sensations suivis en cela par les colons. Le commerce de l’ivoire comme du côté de la Gold Coast devenu Ghana, où proliférait le commerce de l’or, rappelle bien des points noirs de l’Afrique : l’esclavage et le calvaire des animaux sauvages du continent. Donc, terre d’immigrations avec aujourd’hui la présence sur le territoire d’une soixantaine d’ethnies appelées à cohabiter ensemble quoiqu’il arrive. Mais que signifie tout cela d’ailleurs pour la jeunesse, les hommes et femmes de ce pays épris de liberté qui ne demande qu’une terre pacifiée ? Alors de là à penser que 50 ans d’indépendance peuvent renvoyer tous ces gens dans leur soi-disant pays d’origine, serait une erreur.

Terre de prospérité, parce que terre de rencontres, la Côte d’ivoire, reste terre d’Afrique et des Africains où Wolof comme baoulé vivent ensemble depuis des années. Comme les Mossi et les Bété. Les Akans et les Sénoufos. Ni peuple de sorciers, ni pays de sorcellerie, la Côte d’Ivoire ne peut tomber au chantage des jusqu’aux boutistes du Front Populaire ivoirien, même si le leader du nom de Laurent Gbagbo, se réclame d’un certain courage ; pour avoir été le principal adversaire du président Houphouët-Boigny. Cela c’est pour l’histoire. Même les héros voient un jour, se terminer d’une certaine façon leur histoire. Pour Gbagbo, ce fut ce mois de novembre 2010. Il faut simplement avoir l’humilité de le reconnaître.

Ces nostalgiques de la présidence à vie


Au nom d’un égo surdimensionné, certains devenus présidents en Afrique se croient investis de don divin. Gbagbo comme Kadhafi, Moubarak, Ben Ali, et le clan des gars du Nepad en sont. Au-delà l’aspect symbolique de sa soi-disante résistance contre les occidentaux, l’Onu et le reste du monde, c’est son attitude de pyromane qui ne se justifie plus. Parce que dans la compréhension de Gbagbo, son clan encore d’autres groupuscules, le concept d’ivoiriens comme ils le pensent, se résume à une manière d’articuler le français dans ce pays qu’est la Côte d’Ivoire. Tous les autres comme Ouattara (avec son accent burkinabé), sont des « métèques » des temps modernes qui devraient retourner dans leur pays. Mais dans quelle histoire sommes-nous ?

Ainsi, après les fastes du cinquantenaire des indépendances, 2010 se termine pour tous cette clique par cette terrible conclusion que finalement la seule vérité qui vaille dans ce pays comme dans d’autres est celle des clans, des groupes d’intérêts et des idioties politiques au nom du mépris de la démocratie. Mais, aujourd’hui honni par les partenaires au développement, quel avenir s’offre demain à la Côte d’Ivoire. Aucun, sans doute, si le président battu persiste. Parce que ce n’est pas l’Angola en guerre, malgré son soutien, le Brésil qui n’en finit pas avec la drogue, qui aideront le pays à se relever sous Laurent Gbagbo. Dans la guerre des clans, le président et sa clique n’ont pas d’avenir. S’ils imitent Houphouët, ils n’ont ni la chance de son époque, ni ses capacités à convaincre encore moins les avantages d’une conjoncture économique favorable. Alors que reste-t-il au président mal élu ? Sans doute se démettre, ce qu’il ne fera pas de sitôt malgré l’arrivée du controversé négociateur, d’il y a quelques années Thabo Mbeki.

Où est alors Blaise Compaoré qui a suivi tout le processus de réconciliation depuis le début ? Pour passer à côté des vraies solutions de ce genre de conflit devenu la règle en Afrique, l’Union Afrique et ses faucons ont montré leurs limites depuis longtemps. Tous des hommes du passé. Il y a peu de femmes parmi eux. Dans un continent qui ne compte que peu de présidents crédibles et bien élus, il est à croire que le cas de Gbagbo n’est qu’un autre parmi tant d’autres. Sans doute qu’il ne reste que peu de chances de trouver des négociateurs crédibles : Amadou Toumani Touré et qui sait, le président ghanéen, John Evans Atta Mills sinon son prédécesseur, John Kuffor.

Sud Quotidien, Sénégal, édition du 6 décembre 2010



07/12/2010
0 Poster un commentaire

Inscrivez-vous au blog

Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour

Rejoignez les 299 autres membres