Devoir de réserve: Et si le cas Marafa faisait tache d’huile

YAOUNDÉ, 09 mai 2012
© Dominique Mbassi | Repères

Sans avoir fait de révélations fracassantes dans sa lettre ouverte au président de la République, l'ancien SG/PR a pourtant suscité une fièvre au sein du sérail. Une fébrilité qui prendrait plus d'ampleur si d'autres personnalités ayant occupé ce poste névralgique et aujourd'hui emprisonnées décidaient de sortir de leur réserve.

La sortie de M. Marafa Hamidou Yaya embarrasse le sérail. La lettre ouverte de l’ancien ministre d’Etat, secrétaire général de la présidence de la République (SG/PR), destinée au chef de l'Etat mais rendue publique par les médias le 2 mai gêne même jusqu'aux entournures. En témoigne cette fébrilité que l'ébruitement autour de son existence a suscitée au sein des services de renseignements.

Alertés par quelques-unes parmi les multiples taupes qui peuplent les salles de rédaction, ils chercheront tantôt à dissuader les responsables à publier la correspondance, tantôt à obtenir ne serait-ce que copie du document. Pour ce faire, les responsables de la direction générale de la Recherche extérieure (Dgre) jusqu'à un niveau élevé de la hiérarchie, multiplient des manœuvres et recourent même aux menaces jusqu'aux premières heures du mercredi 2 mai. En vain.

Autre signe qui trahit la frilosité: selon des sources bien informées, le ministre de la Communication a été dépêché en fin de semaine pour une mission commandée à Garoua, le fief de M. Marafa Hamidou Yaya. Bénéficiant pour la circonstance d'un appui financier, il est, en dépit des dénégations de son entourage, chargé de ramener la sérénité dans cette région que certains disent en ébullition depuis l'incarcération à la prison centrale de Yaoundé de l'ex-ministre d'Etat en charge de l'Administration territoriale et de la décentralisation (Minatd).


RÉVÉLATIONS FRACASSANTES

Le branle-bas du sérail s'explique moins par l'incarcération de M. Marafa que par son option de ne plus observer la réserve imposée aux tenants des hautes fonctions de l'Etat. «Monsieur le président de la République, écrit-il, vous me connaissez bien. Je ne cache ni mes opinions ni mes agissements. Vous comprendrez donc qu'ayant recouvré ma liberté de parole car n'étant plus tenu par une quelconque obligation de solidarité ou de réserve, je puisse exposer, échanger et partager avec tous nos compatriotes mes idées et mes réflexions que je vous réservais en toute exclusivité ou que je ne développais qu'au cours des réunions à huis clos».

Mais pour sa première sortie, l'ancien SG/PR ne s'est pas fendu en révélations fracassantes touchant au cœur des affaires de l'Etat. Tout au plus, a-t-il permis à la frange de Camerounais éloignés des arcanes du haut pouvoir de se faire une idée de l'opinion de M. Paul Biya sur ses ministres du pléthorique gouvernement post-élection présidentielle de 2004: «Monsieur le ministre d'Etat, confie le président de la République, vous êtes combien de ministres dans ce gouvernement ? Peut-être dix (10) ou quinze (15) tout au plus. Le reste, ce sont des fonctionnaires à qui j'ai donné un titre». Rien qui relève du secret d'Etat ou d'un dossier délicat qu'aurait géré ou eu connaissance M. Marafa lorsqu'il trônait comme SG/PR ou Minatd. En tout cas pas de quoi paniquer le chef de l'Etat.

Ce ne sont pourtant pas des cartouches qui manquent à celui qui rappelle peut-être en guise d'avertissement au Président que pendant 17 ans sans discontinuité, il a été son proche collaborateur d'abord comme conseiller spécial, puis SG/PR et enfin Minatd pendant près de 10 ans. Une manière de dire qu'une telle proximité remplit forcément le ventre de confidences et de secrets sur la gestion des élections à l'instar de la présidentielle de 1992, des contrats d'achat d'armes, les accords avec les puissances étrangères, la gestion du pétrole, etc. Mais pour l'instant le Rubicon n'a pas encore été franchi.

Pourquoi donc cette panique? Que se passerait-il alors si d'autres anciens proches collaborateurs du président de la République optaient de rompre l'obligation de réserve. MM. Titus Edzoa et Jean-Marie Atangana Mebara ont occupé le névralgique poste de SG/PR et ont en commun aujourd'hui d'être en prison. En 2011, M. Edzoa, détenu au secrétariat d'Etat à la Défense (SED) depuis 1997, adresse une lettre à son ancien mentor au titre suffisamment évocateur : «14 ans de torture, ça suffit!». «Monsieur le Président, il est fort possible, même si je n'ose y croire, que ma lettre, tel un alizé tumultueux et capricieux, vienne de quelque manière ébranler, ou tout au moins perturber la quiétude des flots aux doux embruns de votre «démocratie apaisée», ambition pour laquelle vous avez tant œuvré depuis 29 ans.» D'aucuns s'attendent alors à voir le professeur de médecine perdre la maîtrise dont il a jusque-là fait montre. Leur déception sera à la mesure de l'attachement de l'ancien conseiller spécial à la pensée. «De cette énergie potentielle, je me suis fait une arme redoutable, mais exclusivement bienfaisante, en la subjuguant au service d'une noble cause, au service d'une société exsangue, en permanence terrorisée, à moitié ensevelie dans un ténébreux et profond hypogée glacial, après qu'elle ait été meurtrie d'une déliquescence cyniquement programmée, de la part d'un système primaire et rétrograde.»

Dans son livre «Méditations de prison» publié il y a quelques semaines chez Karthala, les révélations se nichent peut-être dans les multiples sous-entendus propres aux dénonciations communes, mais elles ne concernent nullement les affaires sensibles de la République. Et ce n'est pas faute d'avoir été dans les confidences du chef de l'Etat. «De tous les SG/PR, il est sans doute celui qui a bénéficié le plus de la confiance présidentielle». Sans doute pour avoir été le médecin personnel de la famille Biya.


UN HOMME D'ETAT EST MESURÉ

Même harcelé judiciairement, celui qui a une connaissance intime et philosophique du président de la République ne parlera pas. Il confesse qu'un homme d'Etat, pour avoir été associé à la gestion des dossiers sensibles de la République, ne doit pas parler comme le commun des citoyens. Le Pr. Joseph Owona, contacté pour réagir sur les vagues suscitées par la sortie de M. Marafa, adopte une posture similaire. «Je ne parlerai pas de leurs bêtises-là, et encore moins de moi-même, peut-être dans mes mémoires», assène rageusement l'ancien SG/PR au moment de l'élection controversée d'octobre 1992.

Si en filigrane M. Edzoa ne semble pas disposé à exposer aujourd'hui ou demain les secrets d'Etat, M. Jean Marie Atangana Mebara, lui, ne se veut peut-être pas aussi péremptoire. Dans son livre «Lettres d'ailleurs» écrit durant son séjour carcéral à Kondengui, tout juste se réserve-t-il le droit d'aborder sa collaboration avec le Président. Au risque de décevoir les amateurs de révélations croustillantes, l'ancien ministre de l'Enseignement supérieur préfère lever un pan de voile sur ses péripéties judiciaires, son parcours professionnel et sa vie familiale autour de laquelle il cultive un pudique mystère.

Mais l'on devine qu'il a tant de choses à révéler autour de l'affaire «Albatros» qui l'a pourtant conduit en prison, la gestion des revenus du pétrole dont la budgétisation date à peu près de son départ du secrétariat général de la présidence de la République, qui confère de facto à son titulaire le poste de président du conseil d'administration de la Société nationale des hydrocarbures (SNH). Avant l'avènement de l'Initiative pour la transparence dans les industries extractives (Itie) qui oblige les Etats à publier ce que leur reversent les compagnies, tous les revenus du pétrole camerounais restaient dans les caisses de la SNH. Et il suffisait qu'une instruction verbale du président de la République soit transmise à son administrateur directeur général pour que 31 millions de dollars soient débloqués.


BUDGÉTISATION DES RECETTES PÉTROLIÈRES

«Encore qu'un tel déblocage de fonds, même s'il ne respecte pas la trajectoire que doit emprunter toute dépense publique, était au moins destiné à la satisfaction d'un besoin de l'Etat. Imaginez donc quand l'argent du pétrole devait servir des desseins occultes n'ayant rien à voir avec l'intérêt républicain», observe une source, qui souligne que malgré la budgétisation des recettes pétrolières, la transparence est encore loin d'être totale.

Reste que pour beaucoup, même s'il n'avait pas épargné le Cameroun, la révélation d'un scandale comme celui des mallettes bourrées de billets de banque expédiées depuis l'Afrique au bénéfice des hommes politiques français ou de financement des campagnes électorales en France par l'argent public africain n'aura jamais le même retentissement en Hexagone qu'au Cameroun. «Le mode de fonctionnement de l'Etat fait que même si un ancien proche collaborateur décidait de livrer des secrets d'Etat au grand public, tout au plus une telle démarche pourrait heurter la conscience du chef de l'Etat sans jamais ébranler son pouvoir. Moins que lui, ce sont davantage des collaborateurs du chef de l'Etat qui peuvent redouter que Marafa délie sa langue», souffle une source.

Au-delà de la réserve qu'impose la stature d'hommes d'Etat, une source croit tenir une explication sur leur faible inclination au déballage: «La plupart d'entre eux ne sont pas irréprochables. Ce qui les expose à des représailles. En plus, chez nous peu importe l'âge ou le nombre d'années passées en réserve de la République, on espère toujours rebondir ».



10/05/2012
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