Des détenus font la loi en prison, le gouvernement des forts sur les faibles

Cameroun : Des détenus font la loi en prison, le gouvernement des forts sur les faiblesIls bastonnent, extorquent de l’argent pour une place à coucher ou l’accès à certaines facilités. Dans les prisons camerounaises, des détenus imposent une loi d’airain. Handicapés ou pas, personne n’est épargné.

Il a le bras droit immobilisé à 45 degrés; il boîte, en quête permanente d’équilibre. De retour de corvée libre, ce dimanche-là, Blériot Talla, 18 ans et incarcéré depuis 18 mois, mange devant l’entrée de la prison centrale de Bafoussam. "Je dois achever de manger mon gâteau avant d’intégrer ma cellule. Car si je commets la maladresse de rentrer avec, les plus forts vont me l’arracher. Mon handicap ne leur inspire aucune pitié. Pour ne pas être puni ou bastonné, je leur fais souvent de petits cadeaux", raconte Blériot, qui trouve le temps long en prison. Encore six mois à tirer, six mois de calvaire.

La même scène est régulièrement vécue à la prison surpeuplée de Douala où de nombreux détenus préfèrent consommer sur place une partie des repas amenés par leurs parents. "Une fois dans la cellule, on est obligé de partager avec nos protecteurs, notamment les chefs de cellules ou les plus forts qui vous protègent en cas d’incident. Le cas échéant, vous courez de gros risques", fait remarquer Jean Vincent, un pensionnaire. Il n’y a pas que la nourriture à partager avec ces caïds. Vêtements, chaussures, et surtout argent de poche y passent pour acheter de nombreux droits.

Droit au coucher, à la sécurité…

Les brimades commencent dès le franchissement du portail du pénitencier et l’affectation d’une cellule. Le nouveau pensionnaire est invité par le chef de la cellule - un détenu baraqué, plus ancien ou condamné à de lourdes peines -  à payer des droits. Le montant n’est pas fixé à l’avance, mais il conditionne les avantages auxquels aura droit le nouvel arrivant. Gare à ceux qui ne peuvent pas payer : ils n’ont pas d’espace pour dormir, ou ils sont fouettés, jetés dehors ou dans des cellules infectes. "Le premier jour de mon arrivée à la prison de Bafoussam, on m’a fait passer la nuit dans les cachots infestés de chiques et de puces parce que je n’avais pas d’argent pour payer le droit de cellule. C’était pénible", raconte Blériot Talla. A Douala, cette catégorie de détenus va grossir le rang des pingouins, constitués de détenus pauvres, abandonnés par leurs familles, qui dorment à la belle étoile.

Il faut aussi payer pour regarder la télévision, les films et même avoir la parole, surtout dans les grandes prisons. Le non respect de cette clause prive le détenu des programmes de radio et de télévision. Les détenus pauvres sont aussi souvent fouettés ou contraints à la "corvée caca". Ils doivent transporter les excréments de leurs codétenus dans des seaux pour les déverser dans des canalisations qui les orientent à l’extérieur de la prison, comme c’est le cas à Douala.

Autorités insensibles

Les bourreaux de ces détenus faibles ou démunis sont le plus souvent connus des autorités pénitentiaires. Ils font partie du gouvernement de la prison. Ils sont le relais de l’administration auprès de leurs codétenus, veillent au respect de la discipline, de la propreté en usant des manières fortes. Du coup, cette administration ferme les yeux sur leurs exactions ou les relativise. "Il y a souvent des débordements et des cas de violence. Des gardiens commis à la tâche sont là et veillent sur les détenus. Un service de discipline s’occupe par ailleurs des délinquants et punit les plus récalcitrants qui sont enfermés dans des cellules disciplinaires", prétend, sous anonymat, un responsable de la prison de Bafoussam.

Les règles minima des Nations unies pour le traitement des détenus reconnaissent certes la possibilité de confier certaines tâches à des détenus, mais proscrivent toute atteinte à l’intégrité physique des pensionnaires des prisons." Les peines corporelles, la mise au cachot obscur ainsi que toute sanction cruelle, inhumaine ou dégradante doivent être complètement interdites comme sanctions disciplinaires ", précise son article 31. Défenseur des droits humains à Research Institute for Development (RIDEV), une ONG basée à Bafoussam, Ntiecheu Mama estime que les conventions internationales ratifiées par le Cameroun prohibent les violences dans les pénitenciers. Pour lui, il est de la responsabilité de l’administration pénitentiaire de veiller à la sécurité des détenus.

© Source : JADE


21/11/2012
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