Dérangeant Jean-Michel Nintcheu

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Député et président régional du Sdf pour le Littoral, cet élu, contestataire dans l’âme, est familier de prises de position sans fards et sans apprêts.

Question posée à Jean-Michel Nintcheu, député Sdf du Wouri-Est et président régional du parti de John Fru Ndi dans le Littoral : Comment un homme politique de votre trempe peut-il soutenir sans la moindre preuve que Pius Njawé a été tué ?

Réponse de l’intéressé : « C’est mon intime conviction. J’ai rencontré Pius Njawé quelque temps avant son départ pour les Etats-Unis. Il me disait qu’il était de nouveau l’objet de menaces de mort anonymes au téléphone. Je lui ai dit que c’était mon lot quotidien. Il m’a demandé de faire attention. Je lui ai retourné le conseil. Quelques jours après, j’apprends qu’il est mort de suites d’un accident de la circulation sur une autoroute à huit voies. Qu’est-ce que vous voulez que je pense ? Je suis convaincu à 100% qu’il s’agit d’un assassinat maquillé en accident. Et puis, de toutes les façons, le pouvoir de Yaoundé est responsable de cet accident. Njawé se retrouve quand même aux Etats-Unis pour un forum parce que les conditions ne sont pas réunies pour que ces assises se tiennent au Cameroun. »

Ainsi est Jean-Michel Nintcheu. Le verbe haut. La tournure caustique. La phrase assassine. Toujours à flirter avec une imaginaire ligne rouge. « Je ne dis rien pour plaire à qui que ce soit. Ce que je dis me vient du fond du cœur et je n’ai pas peur de déranger. Je dis ce que je pense de manière absolument libre. » Et on ne compte pas les prises de position de l’homme qui profite de la tribune de Ngoa Ekelle (voir acquis) d’une part et de sa casquette de patron du Social Democratic Front dans le Littoral. Tant et si bien que, souvent, on l’entend bien plus que le boss de Ntarikon. Jean-Michel Nintcheu est partout et parle de tout. Il a fait de la politique un métier et le pratique comme ailleurs. Au quotidien.

Le Rdpc célèbre-t-il son anniversaire ? Jean-Michel Nintcheu baille. Le gouvernement publie-t-il les résultats du recensement général de la population ? Jean-Michel Nintcheu éternue. Le président Biya souhaite-t-il modifier la Constitution ? Jean-Michel Nintcheu s’enflamme. Et marche. On se souvient des émeutes de février 2008. « Je n’ai jamais fait mystère de ma volonté de m’opposer à cette intention. Dire que je suis responsable de ces émeutes, c’est dire à la victime d’un vol que c’est son bien qui a attiré le voleur. » Mais, tient à préciser le député : « Nous devons nous opposer aux mauvaises initiatives du gouvernement, mais aussi faire des propositions. C’est très important. Il est également question de redonner de la crédibilité à la classe politique. Il y en a tellement qui ont capitulé en rase campagne et qui, aujourd’hui, défendent le régime de monsieur Biya. »

Tombeur de Foning
Casse-cou, brise-tout et risque tout, Jean-Michel Nintcheu n’avait pas hésité à braver les interdictions de manifester d’alors. De quoi conforter ses proches dans l’idée qu’il prend trop de risques et qu’il va trop loin. « Je reconnais que j’ai tout fait pour maîtriser le sentiment de la peur. La peur, c’est un sentiment qui a des effets paralysants et glaçants. Quand on a peur, on ne peut plus rien faire. Quand j’ai une action à mener, ce qui m’importe, c’est l’objectif que je veux atteindre à travers cette action. Je ne pense pas au danger. Ce qui m’obsède en revanche, c’est l’échec. Je ne pense pas aux conséquences éventuelles. »

Rien ne semble faire reculer l’homme qui a battu l’indéboulonnable Françoise Foning, lui arrachant son précieux siège à l’Assemblée nationale. Un exploit. Ce sont les tribunaux qui avaient tranché. Bon communicateur -l’homme s’est entouré d’une équipe pour ce faire- il occupe tous les espaces possibles. A l’époque, il avait même accepté un débat télévisé avec la mère Foning qui n’était pas venue. On ne sait pas si « Dalida » avait fui le match. Elle qui connaît bien la grande gueule de son tombeur, une sorte de paysan du Danube qui n’avait même pas la prévenance de ménager l’icône du « R ».

L’élu du Wouri-Est passe pour un radical. Ce qu’il ne nie pas. Pour bien comprendre, il faut remonter à l’année 1992. L’imprimerie dont Jean-Michel Nintcheu est le propriétaire est incendiée aux lendemains de l’élection présidentielle du 11 octobre. C’est là que l’opposition imprime ses tracts, ses mots d’ordre et ses fameux cartons rouges. 200 millions de francs Cfa d’investissements partent en fumée. Au premier rang des batailles de ces années de braise, Jean-Michel Nintcheu est assommé : « J’étais surpris, je ne l’ai pas pris avec philosophie. Je ne pensais pas que le pouvoir irait aussi loin. Au point de s’attaquer à un outil de production qui employait quand même une trentaine de Camerounais. Cela m’a radicalisé. Je me suis retrouvé au chômage et dans le dénuement total. Cet épisode m’a radicalisé et je n’ai jamais touché les 5 millions qu’une commission fantoche de dédommagement des victimes de la démocratisation me proposait. »

Bébé maquisard
Radical donc. Il y a comme une prédestination chez Nintcheu pour les extrêmes. Il n’est qu’un enfant lorsqu’il rejoint son père, guérillero de l’Upc, dans le maquis qui fait rage dans l’actuel département du Haut-Nkam, région contestataire s’il en est. Il ne garde que des souvenirs vagues de cette époque marquée par ce qu’on appelait, dans sa langue, « dipweu », « indépendance ». La vie en brousse était dure. On dormait à la belle étoile, sous les arbres et il valait mieux évoluer dans l’obscurité. A la faveur de l’amnistie décidée en 1965, la famille du jeune Nintcheu sort du maquis et le père, vivant aujourd’hui encore, échappe à la condamnation à mort qui avait été prononcée contre lui pour faits de rébellion. Ce n’est donc qu’à l’âge de six ans que Jean-Michel Nintcheu va à l’école.

La scolarité, normale, le mène au lycée polyvalent de Bonaberi où il obtient un baccalauréat C en 1978. Une alerte survient tout de même en 1975 lorsque l’élève est impliqué dans une affaire de distribution de tracts du Manidem. La jeunesse de Jean-Michel et de ses camarades plaide en leur faveur. Mais, rien à faire, ils sont fichés. En arriver là ne surprend pas le bébé maquisard de l’époque. Son père, on ne se refait pas, critique le gouvernement en privé. Jean-Michel lui-même lit « Les Mains sales » de Sartre ou « Ville cruelle » de Mongo Beti. Et pas seulement. Il dévore également de la littérature politique interdite, des samizdats que des proches, vivant à l’étranger, lui rapportent au pays. La formation politique remonte à cette époque et il n’y en aura pas vraiment d’autre.

Après avoir travaillé quelques années auprès de Marcellin Kameni, un oncle avocat et homme d’affaires, Jean-Michel Nintcheu se rend en France où il passe trois ans. Après des études dans une école de commerce, il revient à Douala pour y ouvrir une imprimerie. Celle qui flambera quelques années plus tard. Alors que les vents d’Est soufflent sur le continent africain, le Cameroun s’enrhume. Ce sont les années de braise et Jean-Michel Nintcheu est membre, puis responsable, de Cap Liberté, cette association factieuse qui, au départ, était un comité de libération de Pius Njawé et Célestin Monga poursuivis après une lettre ouverte au chef de l’Etat. Président du comité de suivi des actions de l’Union pour le changement, regroupement des partis de l’opposition, qui avait investi le candidat Fru Ndi à la présidentielle de 1992, Jean-Michel Nintcheu est responsable de la mobilisation des masses et des plans d’action. Le terrain.

Agitateur
Après la dissolution de Cap Liberté et des mois de détention administrative en 1993, Jean-Michel Nintcheu crée un parti politique, le Rassemblement pour la patrie (Rap). Ce n’est pas une formation politique ordinaire. Elle fonctionne davantage comme un groupe de pression et fusionne bientôt avec le Social democratic front. Comme pour, toujours, trouver du souffle et porter la contestation. « Je suis né dans la contestation. Dans ma famille, nous sommes des gens révoltés par l’injustice. Mon père est connu pour cela dans notre village à Banka. » Pour ses adversaires politiques, le président de l’ancien Rap n’est jamais qu’un agitateur. Là encore, monsieur assume. « Je ne rougis pas lorsqu’on me traite d’agitateur. Vous savez, l’agitateur, dans les machines à laver, est une pièce qu sert justement à enlever la saleté. Moi je joue le même rôle dans la société, celui de la débarrasser de ses impuretés. » Et Jean-Michel Nintcheu sourit de ce qui ressemble à une boutade.

Il ne faut pas s’y tromper et, surtout, ne pas se fier à son aspect un peu rondouillet. Jean-Michel Nintcheu ne sait pas arrondir les angles. Peu importe qu’ils soient aigus. C’est un homme entier, toujours près à la bagarre. Au propre comme au figuré. Alors employé à la Socada, après son baccalauréat, il avait « boxé » un supérieur hiérarchique européen. « Il m’avait manqué de respect et j’avais été licencié. » C’est le même qui, au début des années 90, s’évade du commissariat du 11è arrondissement de Douala après une énième arrestation. L’affaire tourne au tragique lorsque, se souvient-il, « pour m’obliger à me rendre, la police séquestre toute ma famille y compris un enfant de deux ans et mon chien pendant deux semaines. Ma femme était alors en début de grossesse et donnera plus tard naissance à un enfant mal formé. Malcom, qui a les membres atrophiés, a aujourd’hui 16 ans. Je le vois tous les jours et tous ces souvenirs remontent à la surface. Il vit très mal son handicap et sait qu’il en est là à cause du traumatisme que sa mère avait subi. C’est le prix le plus fort que j’ai payé dans la lutte que je mène ».

Malcom porte son nom en hommage à Malcom X dont le portrait trône sur l’un des murs du bureau du député Nintcheu, dans sa permanence parlementaire, au quartier Mbanya, près de Bonamoussadi, à Douala. Aux côtés d’autres figures telles que Che Guevara, Martin Luther King, Mohammed Ali, Bob Marley et Jimmy Hendrix, « le plus grand guitariste de tous les temps, celui qui m’a inspiré même si je n’ai pas pu mener une carrière musicale. » Il n’empêche, à ses heures, Jean-Michel Nintcheu s’amuse avec les deux guitares, une sèche et une électrique, qu’il conserve également dans son antre de Mbanya. Le souvenir de l’époque où il faisait de la musique au lycée polyvalent de Bonaberi. Finira-t-elle par adoucir ses mœurs ?

Stéphane Tchakam

 

Cv

15 janvier 1959 : naissance à Banka.
11 février 1990 : le jour où Nelson Mandela est sorti de prison. L’un de mes fils est né ce jour-là et je lui ai donné le nom de Mandela.
Le jour où j’ai battu madame Foning.    
4 novembre 2008 : le jour où Barack Obama est devenu président des Etats-Unis.
Ce que j’aime : le courage, l’engagement.
Ce que je n’aime pas : l’hypocrisie, la lâcheté, la malhonnêteté, l’infidélité.
Mes lectures : les biographies ou autobiographies (ici dans mon bureau, j’en ai de Churchill, De Gaulle, Martin Luther King, Gandhi, Kennedy, Obama), les récits sur les mouvements révolutionnaires cubains ou chinois (Che Guevara, Mao).
Mes musiques : je suis resté musicien et guitariste. Je pratique à mes heures perdues. Le Rnb, le reggae, le rock, je vous ai parlé de Jimmy Hendrix dont j’ai presque toute la production, j’ai beaucoup de vinyles. J’aime la musique acoustique, genre Henri Dikongue, Charlotte Dipanda…
Mes films : les documentaires.
Mes amis : Maître Augustin Mbami, Joshua Osih, Pr Assonganyi, je ne peux parler de Djeukam Tchameni qui est plutôt un cousin, Anicet Ekane…
 

mpressions

Pierre Abanda Kpama, président du Manidem et ami : « C’est un réaliste »
C’est un combattant et lui et moi, nous nous appelons « combattant ». Il a ça comme tempérament. Peut-être qu’il n’était pas prédestiné à faire de la politique, mais quand l’occasion s’est présentée, il y a mis de sa fougue et de son tempérament. Il est entré en politique à la faveur de la lutte pour la démocratisation. C’était l’imprimeur des cartons rouges. Il fallait quand même le faire à l’époque te prendre ce risque-là. Ça lui a coûté son business. Mais il a persisté, a créé un parti par réalisme. Avec son côté homme d’affaires, il a compris qu’il ne pouvait pas cheminer tout seul et est entré au Sdf. C’est un réaliste. C’est un pragmatique. Ce que j’apprécie, c’est que, sans complexe, il fait son chemin. Avec Joshua Osih, il représente l’aile progressiste du Sdf. Ils ne s’encombrent pas beaucoup de tout ce qui est téhorie et conception. Ils vont sur le terrain. Dans sa campagne pour être député, il est allé sur le terrain, maison après maison. Le Sdf est arrivé à un moment où il doit faire le choix de sa stratégie. Fru Ndi, c’est mon avis, a fait son époque. Il a été rattrapé par les limites liées à son histoire. Le populisme a fait son temps. Désormais, il faut faire le terrain, ce à quoi Fru Ndi a renoncé. Nintcheu et Osih, bien épaulés par Fopossi, ont compris qu’il fallait prendre les devants parce que le parti, même dans sa base régionale s’effritait. Je pense qu’ils représentent le Sdf de l’avenir. C’est quelqu’un qui regarde et s’appuie sur son bon sens et son tempérament, un tempérament de fonceur. C’est un homme politique un peu à l’anglo-saxonne. Des gens abandonnent leur carrière pour embrasser la politique. Mais il y a de la constance. Ça va faire vingt ans qu’il est là. Ce n’est pas seulement de l’opportunisme au sens positif du politique. Il doit y avoir de la conviction pour que ça dure aussi longtemps.

Me Augustin Mbami, avocat, trésorier général du Sdf et ami : « C’est l’homme du terrain »
Je l’ai d’abord connu comme homme d’affaires dans les années 86, puis comme homme politique à partir de 90 avec le mouvement des villes mortes. C’est l’homme du terrain. Ne lui parlez pas des stratégies dans les bureaux. C’est un homme d’action. Quand on dit qu’il va trop loin, je vous pose la question : dans ce pays, loin c’est où ? Ceux qui nous gouvernent aujourd’hui ont-ils des limites ? C’est tout à notre honneur que monsieur Nintcheu occupe, comme il le fait, l’espace. Nous sommes à Douala où se trouve la majorité des médias du pays. Douala, c’est la première ville du pays et c’est tout à notre honneur d’avoir un homme politique de cette trempe. Si nous avions un président régional moins charismatique, nous passerions presque inaperçus. Et si un parti comme le Sdf passe inaperçu à Douala, c’est un problème. C’est une chance pour nous et cela vient de nos statuts. Nous nous battons pour le fédéralisme. Si chaque région était un Etat dans notre pays et si on laissait aux élus comme monsieur Nintcheu exercer pleinement leurs pouvoirs, chaque Camerounais serait bien là où il se trouve. Nos statuts prévoient que chaque président régional du parti détient exactement les mêmes pouvoirs au niveau régional que le président national au niveau national. S’il y a des égarements, on peut recadrer. Mais il exerce pleinement ses pouvoirs. C’est clair. C’est pourquoi dans les autres régions, s’ils ne font rien, c’est parce qu’ils ne veulent rien faire. Ce n’est pas parce qu’on les en empêche.

Robert Wafo, secrétaire à la Communication Sdf Littoral et collaborateur : « Des positions courageuses »
C’est un homme à part. Sa principale caractéristique, c’est l’action. Il préfère aller sur le terrain plutôt que discourir. On se souvient des émeutes de février 2008 au cours desquelles il a fait preuve de son courage. C’est aussi un homme politique assez fin qui dirige le Sdf dans une région comme le Littoral. Il gère des équilibres et des contradictions en interne et c’est pourquoi il est régulièrement réélu avec des scores écrasants. Ceux qui estiment qu’il va plus loin que le président du Sdf sont ceux qui préfèrent se taire face à des situations graves ou ont peur de s’exprimer eux-mêmes. Il est dans son rôle. N’oublions pas qu’il est député. il a un amour viscéral pour son pays et cela se traduit par le travail qu’il fait à l’Assemblée.

Propos recueillis par S. T.


Acquis : Un hémicycle animé

Avec le député Jean-Michel Nintcheu, on ne s’ennuie pas à l’Assemblée nationale.

De retour de la Coupe du monde en Afrique du Sud, le ministre des Sports et de l’Education physique, malgré son indéniable bonne volonté, a passé un mauvais moment à l’Assemblée nationale. Canardé par les questions de quelques députés dont celles de l’incontournable Jean-Michel Nintcheu, animateur d’une énième bronca qui est partie en huées impitoyables contre Michel Zoah. Notre bonne vieille Assemblée nationale a changé. Ce n’est plus la tribune où l’on s’ennuyait à cent sous de l’heure et où les élus du peuple, eux-mêmes, s’endormaient, comme bercés par les soporifiques laïus prononcés ex cathedra par l’occupant du perchoir. Désormais, à la faveur des sessions et des questions orales au gouvernement, le palais des Verres ressemble au Palais-Bourbon ou aux Communes anglaises. Ça chauffe sur les bancs et aucun ministre ne vient ici comme en pays de connaissance ou en terrain conquis.

Jean-Michel Nintcheu y est pour quelque chose qui est sans doute le député qui s’exprime le plus au cours des questions orales au gouvernement. Interrogé sur la manière dont il conçoit son travail de parlementaire, l’élu rappelle qu’il a « obtenu [son] siège de haute lutte. Je sais comment je suis arrivé à l’Assemblée : par la volonté du peuple et grâce à ma détermination. Donc, toute complaisance serait criminelle de ma part. Je me sens investi d’une mission. Je ne suis pas seul, même si mes autres camarades ne se battent pas avec la même verve. Mais je considère que, même minoritaire du fait d’un système électoral perverti, je me bats, j’utilise l’Assemblée comme une tribune, pour parler aux Camerounais, pour leur dire ce qui ne va pas, pour dénoncer l’état du régime. Ayant la légitimité d’un élu, c’est beaucoup plus porteur et les réactions qui me reviennent me prouvent que je suis sur la bonne voie. »

L’on entend donc le député « récalcitrant » sur tous les sujets, même les plus délicats ou carrément tabous : le recensement général de la population, la restauration des bourses à l’université, les excédents budgétaires, la dépénalisation des délits de presse, la retraite des généraux (aïe !). Et les propositions, un brin audacieuses ou provocatrices, ne manquent pas comme la camerounisation systématique des postes de directeurs généraux des sociétés d’Etat. Le député réagit à tous les sujets d’intérêt national et s’exprime systématiquement. Le temps de la pusillanimité des députés que l’on enseignait plus bas, à Ngoa Ekelle, en faculté de Droit, est révolu. Dans tous les cas, la démocratie y gagne en vitalité. Les chroniqueurs politiques se délectent qui boivent alors du petit-lait.

Mais il faut croire, soutient le député du Wouri-Est, que cela ne va pas sans désagréments. Le 18 mars 2010, Jean-Michel Nintcheu a adressé une correspondance à Cavaye Yéguié Djibril, le président de la Chambre, pour attirer son attention sur ce qu’il considère comme des vexations et des discriminations : toujours pas de passeport de service en tant que député, pas de garde du corps en tant que vice-président de groupe parlementaire, privation de voyage à l’étranger dans le cadre de groupes d’amitié… Et fidèle à lui-même, « l’honorable » terminait sa lettre ainsi : « Qu’il vous plaise, Monsieur le Président, de ne pas considérer cette correspondance comme une demande de faveurs. Je n’en ai pas besoin. En retour, je n’accepterai pas que vous portiez atteinte à mes droits qui sont contenus dans le Règlement intérieur de l’Assemblée. Nous sommes tous des élus et à ce titre nous avons des droits et des obligations. Nous devons tous nous incliner devant de Règlement intérieur. Les règles doivent s’appliquer à tous sans partialité aucune. Vous n’avez pas le droit de personnifier cette institution encore moins la transformer en territoire libéré ou en bantoustan. » Ambiance.

S.T.



Libres propos

L’ombre de la mort rôde autour des gens aussi engagés que moi. J’ai intégré cela. Je ne m’en préoccupe pas beaucoup. Si je devais mourir pour une cause juste, cela ne me gênerait pas. Je l’ai dit à mon épouse à qui j’ai demandé de me pardonner par avance. Je n’exclus rien. Ce pays a atteint un tel niveau de délabrement qu’il faut que les gens se sacrifient. Je pense qu’il faut que les Camerounais acceptent de se sacrifier pour que les choses changent dans leur pays. Il faudrait que l’histoire retienne que pendant que le Cameroun allait à la dérive, des fils de ce pays se sont levés pour sauver ce qui pouvait encore l’être et tel est le sens de mon engagement. Heureusement, je ne suis pas le seul. D’autres sont moins médiatisés que moi. Il y a des Camerounais, aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur, qui sont prêts au sacrifice pour leur pays. Je considère que je suis allé trop loin pour faire marche arrière. Je ne suis pas rancunier…

La seule chose que je demande à monsieur Biya, c’est de comprendre qu’il a échoué. Dans une interview à Yves Mourousi, il disait qu’il voulait qu’on retienne de lui l’image de l’homme qui a apporté la prospérité et la démocratie à son pays. Pour la prospérité, tous les observateurs disent que le Cameroun a reculé de 40 ans au moins. Qu’il nous laisse au moins la démocratie. Sachant qu’il a échoué, qu’il se retire. Quand il succédait à Ahidjo, un dictateur certes mais un nationaliste et un patriote qui avait une haute idée de l’Etat, il avait hérité d’un Cameroun prospère et en paix. Les thuriféraires du Rdpc semblent récupérer cette situation dans le bilan de monsieur Biya. Il n’avait pas trouvé un pays à pacifier. Il ne peut pas revendiquer la paix dans son bilan. Qu’il laisse un Cameroun réconcilié avec lui-même, qu’il laisse les Camerounais choisir les dirigeants qu’ils désirent. C’est le seul service qu’il peut nous rendre et je pense que s’il le fait, nous sommes prêts à lui pardonner tous ses crimes… L’histoire du Cameroun est un éternel recommencement. Nos parents se sont battus pour l’indépendance mais celle-ci a été donnée à des gens qui ne voulaient pas d’elle. Nous sommes, avec l’Algérie, le seul pays à s’être battu militairement pour l’indépendance. Alors qu’en Algérie, ce sont les héros de la lutte qui ont pris les rênes, au Cameroun, c’est monsieur Ahidjo qui a été intronisé… En 1990, les mouvements de contestation à travers l’Afrique n’ont pas atteint la même ampleur qu’au Cameroun. Nous avons la malchance d’avoir un chef d’Etat imbu de lui-même et prêt à tout pour préserver son pouvoir.

Ailleurs, les mouvements de contestation ont débouché sur des tables rondes, des conférences nationales souveraines même si les dictateurs ont réussi à reprendre la main. Partout, il y a eu fléchissement des pouvoirs, sauf au Cameroun. Alors qu’il avait fait une concession de taille en inscrivant dans la Constitution la limitation des mandats présidentiels qui débouchait sur l’alternance automatique, monsieur Biya est revenu dessus. C’était une avancée majeure qu’il a remis en cause avec les conséquenecs que l’on sait. C’est une malchance pour le Cameroun. C’est la malédiction aujoulatiste qui se poursuit. »

Propos recueillis par S.T.








25/08/2010
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