Depuis la prison de Douala, Nguini Effa déballe tout sur l'opération Épervier

Le Messager


Depuis la prison de Douala, Nguini Effa déballe tout sur l'opération Épervier

« Les arrestations spectaculaires et séquentielles, les condamnations lourdes à fort relent, à tort ou à raison, qualifiées d’opérations à tête chercheuse, ne résolvent pas le problème de corruption »


Dans un ouvrage fort didactique de 252 pages paru aux éditions « L’Harmattan » et intitulé « De la tour Elf à la prison centrale de New-Bell ; Histoire d’une déchéance sociale injuste et réflexions sur la gouvernance au Cameroun », l’ex-dg de la Scdp , écroué à la prison centrale de Douala  depuis 2009, sort de sa réserve, s’indigne et dit  sa « part » de vérité.
 
Arrestations spectaculaires, enlisement des procédures, violation du droit à la présomption d’innocence, procès sans « fin » … Il n’en faut pas plus à un pétrochimiste pour manifester son ras-le-bol. Dès l’entame de son ouvrage, Nguini Effa Jean Baptiste de la Salle , ne met pas les gants pour parler de sa déchéance : « … une chute sociale surprenante et injuste d’un individu qui consiste à dégringoler de la salle du conseil d’administration du siège parisien au quartier de la Défense d’un  des plus grands groupes pétroliers mondiaux, Elf Aquitaine, devenu Total, à une cellule infecte de la prison centrale de Douala qui abrite les plus grands criminels que compte la capitale économique du Cameroun, Douala ».

L’auteur s’étonne qu’après dix-sept années de splendeur et d’occupation de prestigieux postes dans la haute administration, et dans une société pétrolière, qu’il se trouve en détention préventive depuis plusieurs mois, à la prison, en attente de jugement, pour « détournements de fonds publics » dans une « société anonyme » ayant 49% du capital détenu par des sociétés privées multinationales dont Total Cameroun et Total Afrique.

« Comment se fait-il que mon quotidien, après avoir côtoyé les grands de ce monde économique et pétrolier, se réduise à fréquenter aujourd’hui des assassins, des voleurs de portables, des jeunes sans domicile fixe, qui ne se privent pas de m’insulter quotidiennement, de me cracher parfois dessus ou de me traiter de « déchet »… ». Jean Baptiste Nguini Effa pose dans son ouvrage, la problématique de l’Opération épervier lancée par Paul Biya, dans sa volonté manifeste de lutter contre la corruption et les détournements des fonds publics dans les sociétés d’Etat, en particulier et les administrations publiques en général. Les sévices et le supplice que vit Jean Baptiste Nguini Effa fondent la nécessité d’écrire sur « les travers » de cette Opération épervier. Un impératif pressant pour le concerné qui a mis au vestiaire son devoir de réserve pour déballer ses vérités.

Dans un exercice qui se veut critique, l’auteur fait une première évaluation des méthodes, des anachronismes, des incongruités, des « stupidités », des incohérences, et des limites de ladite opération. Mais davantage, il pose le problème de l’indépendance de la justice camerounaise et de ses magistrats au regard des nombreuses violations de la constitution, de l’Acte uniforme Ohada, et du non respect des lois pénales camerounaises, applicables dans les cas d’infractions commises par les dirigeants des sociétés parapubliques.

L’auteur qui accuse le coup, dénonce cette forme d’enlisement des affaires pour lesquelles sont poursuivis les ex-dirigeants des sociétés parapubliques.  Même s’il n’affirme pas de façon péremptoire que tout est organisé pour que l’on maintienne de nombreuses victimes de l’Opération épervier le plus longtemps possible en détention, en violation flagrante de la loi, Jean Baptiste Nguini Effa s’insurge contre l’irrespect des dispositions du code de procédure pénale, doute de la compétence du tribunal à rendre des jugements équitables ; du moment que les procédures dans leur majorité sont viciées et plombées. Il s’indigne contre les arrestations, la garde à vue, la détention dans les maisons d’arrêt et l’information judiciaire… 

« Le Cameroun, dans le procès du port autonome de Douala (Pad), du Chantier naval et industriel du Cameroun (Cnic), de la Société immobilière du Cameroun (Sic), et bientôt de la Camair et de la Scdp a-t-il respecté le traité Ohada et ses propres lois pénales pourtant toutes promulguées et ratifiées par le président de la République  ? La justice est-elle indépendante au Cameroun ? Mesure-t-on véritablement les potentielles et violentes conséquences sociales et politiques que pourrait entraîner cette situation ? » Des questions et bien d’autres que l’auteur pose dans son livre.
 
« Parodies de procès »

Prenant le contre-pied des condamnations prononcées par la justice, Jean Baptiste Nguini Effa pense qu’il s’agit d’une vaste opération sans base légale et juridique ; des procès pendant lesquels on appréhende les « présumés coupables » avant de chercher des chefs d’accusation. Selon lui, l’opération d’assainissement cache quelques règlements de compte, à travers lesquels on jette en pâture et à la vindicte populaire des boucs émissaires désignés coupables de l’incurie et de la décrépitude d’un système de gouvernance qui croule sous le poids de sa propre déchéance.

Livre-vérité s’il en est, ou la part de vérité de l’auteur dans un livre, « De la tour Elf à la prison centrale de New-Bell, Histoire d’une déchéance sociale injuste et réflexions sur la gouvernance au Cameroun », se décline tel l’holocauste individuel de Jean Baptiste Nguini Effa. A travers cette « sortie du bois », on comprend que l’ex-dg de la Scdp tire la sonnette d’alarme afin que s’arrêtent toutes les parodies judiciaires liées à l’oiseau rapace. Selon lui, la plupart de ces ex-gestionnaires de crédits publics, interpellés dans le cadre de l’opération épervier, sont des victimes expiatoires qui font l’objet d’une instrumentalisation de l’institution judiciaire dans le but d’obtenir leur condamnation.

L’ouvrage qui se lit d’un trait est d’une esthétique langagière simple et fouillée. La première partie promène le lecteur sur la naissance, la vie active, la formation scolaire et universitaire de l’auteur, son enfance sereine au sein d’une famille nombreuse et modeste, une formation supérieure et universitaire rectiligne et brillante, sa vie professionnelle et associative… On y découvre « tout sur l’auteur » ; car il ne lésine ni sur les mots, ni sur les qualificatifs, pour parler de sa famille, son mariage avec Marie Rose Nguini Effa, ses enfants, ses rapports avec le professeur Joseph Owona, sa percée dans l’administration centrale, la densité d’une carrière riche et fulgurante.
Outre l’escale qu’il fait à la Scdp dans ce qu’il considère comme « rappels historiques et les grandes dates », la 2ème partie portée sur « les temps orageux et leurs conséquences dévastatrices » est celle où, l’auteur jette un regard inquisiteur et révolté sur ses misères et les malheurs de sa vie qui ont commencé au petit matin du 26 août 2009, lorsqu’il est arrêté par les éléments de la police judiciaire de Yaoundé dans sa résidence d’Odza. Jean Baptiste Nguini Effa explique comment le coup de massue qui s’est abattu sur lui est consécutif à une machination ayant les élans d’une chute programmée et bien orchestrée.

Dans la partie consacrée à « L’opération Epervier : cas des sociétés anonymes, perception sociale du phénomène et conséquences familiales », l’auteur critique le cadre juridique et appelle au respect  des dispositions du traité de base de l’Ohada. S’agissant de la partie consacrée à la « gouvernance et justice camerounaise », Jean Baptiste Nguini Effa fait observer qu’il y a encore plusieurs lacunes et insuffisances qu’il faut corriger. Aussi en propose-t-il in fine, des esquisses de solutions pour l’amélioration de cette gouvernance.

Souley ONOHIOLO

Jean Baptiste Nguini Effa, « De la tour Elf à la prison centrale de New-Bell, Histoire d’une déchéance sociale injuste et réflexions sur la gouvernance au Cameroun », Essai, Editions l’Harmattan, 2011, 252 pages. Collection, « Points de vue concrets »




02/11/2011
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