Délibération aux examens: Les funérailles de l'éducation proclamées

Douala, 11 Juillet 2013
© PONUS | Ouest Littoral

Décidément les années se suivent et se ressemblent, et la descente aux enfers de notre système éducatif se poursuit à grands pas avec des diplômes politisés. Ailleurs, la moyenne est de 10 sur 20. Au Cameroun, elle peut aller jusqu'à 07 sur 20, voire moins, selon la météo politico-sociale. Et vous parlez d'un Cameroun émergent en deux mille quoi?

II y a un an, le Premier Ministre tchadien annulait partiellement les résultats du baccalauréat 2012 à cause d'un niveau d'admissibilité jugé trop bas. Le jury était appelé à revoir les listes des reçus pour ne retenir comme étant définitivement admis que les candidats ayant obtenu une moyenne supérieure, ou égale à 10/20, «conformément aux textes en vigueur». Pour des besoins d'équité, il avait à cette occasion annoncé que les repêchés repasseront les épreuves du bac en octobre 2012 parce que leur admission avec une moyenne inférieure à 10 sur 20 était contraire à la loi.

Pour montrer sa détermination, son Ministre de l'Enseignement supérieur avait été aussitôt révoqué. Selon les raisons avancées par le gouvernement, ce genre de manœuvre se justifiait auparavant par l'instabilité qu'avait connue le pays et qui ne permettait pas aux élèves de suivre normalement leur scolarité. Maintenant qu'il y a la paix, l'heure est revenue au travail et au mérite.

Face à cet exemple venu du Tchad que les Camerounais qualifient avec condescendance de petit pays, Paul Biya et ses supporters ont une rhétorique pour contrecarrer l'excellence, à savoir «le Cameroun c'est le Cameroun». Effectivement notre pays n'est ni le Tchad, ni la Guinée équatoriale. Mais seulement, le bac étant un parchemin qui ouvre les portes de la concurrence, de la compétitivité et de la sélection, on se demande bien comment à l'heure de la mondialisation notamment en ce qui concerne les équivalences, un diplôme obtenu avec 8,5 sur 20 pourrait avoir les mêmes chances que celui obtenu avec succès selon les normes internationales. Comme le disait le syndicaliste Jean Marc Bikoko l'an dernier «pendant qu'on laisse expressément nos enfants réussir avec ce genre de notes, on ne fait que les retarder, les abrutir. Parce qu'avec ce genre de bac, les jeunes ne pourront pas tenir le coup de la concurrence internationale».

Pour la gouverne des choristes du régime du Renouveau qui brandissent chaque fois le mot paix pour masquer l'incapacité de sa politique à résoudre les problèmes de la nation, la décision du gouvernement tchadien évoquée ci-dessus a plutôt renforcer la paix publique dans un pays qui se veut émergent et qui croit au mérite. Bien évidemment, l'effet peut être contraire dans un Cameroun qui a toujours connu la paix (curieusement sans développement) et qui a fait de la médiocratie une méthode de gouvernement. A l'évidence, notre voisin sorti fraîchement de la guerre, rattrape son retard pendant que nous nous contentons d'une paix à laquelle personne ne croit pour rétro-pédaler.

Une agonie désespérée

En cette période de proclamation des résultats des examens, la forte rumeur qui généralement précède l'information au Cameroun fait état du baccalauréat qui est en train d'être délibéré à 8,5 sur 20, pendant que le Bepc l'aurait été à 7,5 sur 20. C'était déjà prévisible si l'on s'en tient à la conférence de presse de Zacharie Mbatsogo, le Directeur général de l'Office du bac du Cameroun (Obc), tenue à la veille des examens scolaires pour l'année 2013. Selon ses propos, chaque élève devait s'assurer d'avoir au moins 8,50/20: «à partir de 8,50, 8,60, on peut essayer de voir votre cas après avoir consulté le livret scolaire» précisait-il. Comme quoi, tout ce qui se dit actuellement est conforme à ce qui avait été prévu, même si aujourd'hui le même Directeur général, utilise plutôt des termes ambigus pour dire sans dire ce qu'il avait pourtant déjà dit: «aucun élève ne peut être admissible s'il ne mérite pas. En ce qui concerne la moyenne retenue, le système de jury admet que tous les candidats qui ont 10/20 sans note éliminatoire soient admissibles (...) Après avoir répertorié les admis qui ont eu une moyenne de 10/20, on recherche des candidats qui répondent aux critères de délibérations retenus par l'Obc en faisant intervenir le livret scolaire».

En réalité, ce n'est pas une information pour ceux qui ont côtoyé le milieu éducatif au cours des 15 dernières années. Ce genre de notes pour délivrer les diplômes n'est plus une nouveauté au Cameroun. Pour les habitués, on devrait d'ailleurs se réjouir cette année de l'amélioration du niveau quand on se souvient qu'en 2011, des informations faisaient état de ce que le baccalauréat de l'enseignement général avait été délibéré à 6 sur 20. Ce n'est qu'une succession de situations bien connues qui n'est autre que la conséquence d'un système éducatif, qui va vers un nulle part inquiétant, dans un conteste de médiocratie généralisée.

Pour en arriver là, un lexique a été mis en place par les instigateurs pour le célébrer cette initiative mortelle. A l'origine, on parle de la pratique de «modulation» des résultats, du concept d'«harmonisation des résultats», pour baptiser ces marques déposées made in Cameroon. Il y a aussi la «promotion collective» qui consiste à réajuster les notes pour qu'une génération progresse ensemble (les brillants et les cancres confondus) indépendamment de leurs performances. Une opération purement politique qui vise d'une part à conforter les responsables en place dans leur poste dans l'illusion qu'ils font bien leur travail, et permet d'autre part, au Renouveau de montrer que la politique de l'éducation de la jeunesse se porte bien. En effet, gonfler les taux de réussite pour relever le niveau des incapables (qui sont les plus nombreux) contente les jeunes et trop de diplômes peuvent constituer un bon slogan pendant les campagnes électorales. Ce n'est pas à tort que certains diplômes ont été qualifiés à un moment donné de diplômes des années électorales.


«La politique aux politiciens, l'école aux écoliers»

Le résultat de ces pratiques malsaines est qu'une fois le médiocre bac obtenu, ces «fers de lance de la nation» sans niveau vont envahir les universités et enchaîner des diplômes au rabais pour un Cameroun de demain qu'on dit émergent. Certains d'entre eux iront à l'école normale supérieure pour former les médiocres de demain. Et c'est le cycle infernal qui s'installe ainsi pour contribuer au pourrissement de notre système éducatif et à l'affaiblissement du niveau général pour les siècles des siècles.

Pouvait-il en être autrement lorsque des enseignants parquent 120 élèves dans une salle de classe prévue pour 60? C'est ce que notre gouvernement a choisi d'appeler «école de masse», une autre marque déposée qui signifie en réalité «école au rabais». C'est une situation où les élèves sont appelés à évoluer dans un cadre où se côtoient indiscipline, promiscuité et déviances de toutes sortes.

Comme pour narguer les Camerounais, Paul Biya a, dans son discours à la jeunesse, le 10 février 2012, laissé croire qu'il était conscient de tout ce crime. Et comme toujours, les mots étaient bien choisis pour signifier la provocation: «Les pays émergents ont commencé par mettre en place un système éducatif performant et ont exhorté leur jeunesse à acquérir les connaissances indispensables pour se hisser au niveau des meilleurs. Nous devons suivre leur exemple...Nous devons, dès que possible, engager une réflexion d'ensemble sur l'avenir de notre système éducatif et envisager l'élaboration d'une vaste réforme...». Une véritable moquerie! La preuve?

C'est à se demander pourquoi a-t-il créé une école au Palais pour ces enfants; lesquels poursuivent leurs études en Suisse au prix fort. Il sait que dans son pays, l'enseignement n'est pas sa priorité. Pour ceux qui doutent encore, on ferait mieux de leur proposer cette devinette: en plus des sportifs et artistes, généralement présentés à tort, comme les seuls modèles, combien de meilleurs bacheliers, de meilleurs enseignants Biya a-t-il déjà félicité ou reçu en trente années de pouvoir?



13/07/2013
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