Déclaration de la COMICODI sur le transfert de trois détenus d’exception

Déclaration de la COMICODI sur le transfert de trois détenus d’exception

Shanda Tonme:Camer.beLe vendredi 26 mai 2012, messieurs Yves Michel Fotso, ancien administrateur Directeur Général de la défunte compagnie nationale de transport aérien CAMAIR, Abbah Abbah Polycarpe, ancien ministre des finances, et Marafa Hamidou Yaya, ancien Ministre d’Etat secrétaire général de la présidence de la république, jusque-là en détention préventive à la prison centrale de Kondengui, ont été transférés dans des locaux spécialement aménagés du secrétariat d’Etat à la défense distant d’une dizaine de kilomètres.

La Commission observe, que ce transfert, annoncée depuis une semaine par les médias locaux, et qui procède de la volonté du gouvernement et plus précisément du ministre de la justice obéissant aux inévitables hautes instructions du président de la république, a donné lieu à des mouvements d’humeur très importants dans l’opinion.

Sur le fond, la Commission note une condamnation presque unanime pour cause d’illégalité, formulée sans équivoque tant par les érudits du droit que par des citoyens ordinaires, et ce en dépit de quelques voix complaisantes habituées à entretenir la diversion, des préférences partisanes, des considérations sectaires voire subjectives. C’est de bonne guerre, et cela participe d’une liberté d’opinion et d’appréciation subséquentes par rapport aux événements qui meublent le débat national. C’est une preuve de vitalité sociale et de démocratie somme toute très relative.

Sur la forme, les conditions dans lesquelles a été mené ce transfert des détenus, créent un véritable problème de conscience, au-delà de l’interrogation pertinente sur le respect de la dignité humaine, de l’intégrité physique des concernés, et de la morale de notre système judiciaire dans le cadre de l’opération dénommée “Epervier”.

La Commission indépendante contre la corruption et la discrimination regrette profondément, que des brutalités, des violences physiques, des actes d’humiliation et de maltraitance assimilables selon les conventions internationales à de la torture, aient accompagné l’opération.

La Commission regrette particulièrement, les violences dont a été victime monsieur Yves Michel Fotso, lesquelles lui auraient selon certaines sources, occasionné des traumatismes visibles, des blessures et de toute façon des dégradations physiques.

La Commission s’interroge sur l’existence éventuelle, de comptes quelconques à régler avec l’homme d’affaires, ancien ADG de la CAMAIR et ancien PCA de la CBC, de la part des agents des forces spéciales chargés de l’opération, eu égard aux violences précitées et la volonté affichée de le soumettre à ce moment là, à des traitements dégradants au propre comme au figuré, moralement et physiquement.

La Commission s’étonne d’ailleurs, que les autorités judiciaires qui disposent de la plénitude de compétence dans le traitement, l’orientation, le jugement, la sanction et la destination éventuelle des détenus, aient choisi d’user des méthodes et des personnels sécuritaires qui font penser à une opération clandestine teintée d’illégalités ou d’intentions autres que la recherche de la manifestation de la vérité, le souci du triomphe de la justice, la sécurité des mis en cause, et le respect scrupuleux des prescriptions conventionnelles internationales.

La Commission rappelle, que toute personne humaine, quelle que soit sa condition, son statut et ses fautes, a droit à la dignité, au respect d’un minimum de code de conduite à son égard, de même qu’à l’écoute de ses revendications, récriminations, plaintes, demandes, souhaits et testament. Toute personne a ainsi le droit de savoir pourquoi il est privé de liberté, pourquoi il est emmené d’un lieu vers un autre, détenu dans telle ou telle condition, dans tel ou tel lieu.

La Commission rappelle que les prévenus, détenus et prisonniers de l’opération Epervier, ne sont pas des êtres humains exceptionnels ou extraordinaires, et que ceux-ci jouissent par conséquent des dispositions pertinentes de tous les instruments conventionnels internationaux relatifs à la protection des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, ainsi que des deux protocoles additifs y relatifs.

La Commission tient à éveiller solennellement, l’attention des autorités judiciaires et politiques, sur les implications directes et indirectes, immédiates et lointaines, du recours à des forces de sécurité spéciales, pour gérer des prisonniers de droit commun. Il existe en effet un corps de gardiens de prison qui dispose sur tous les lieux de détention, d’agents suffisamment entrainés, compétents et logiquement informés tant sur la situation de tous les détenus, leur éventuel statut spécifique et la politique du gouvernement, que tant sur leur cause devant les tribunaux de la république.

La Commission regrette, que certains commentateurs, pourtant suffisamment avertis et éduqués sur les questions touchant à la dignité humaine et aux droits et libertés, s’évertuent à trouver des justifications à un traitement humiliant de ces détenus, laissant transparaître ainsi des aspirations malsaines de jalousie, de haine orientée, de volonté de règlement des comptes, et enfin de ruine de toute attitude compassionnelle face à la douleur humaine. En effet on ne saurait encourager ou se réjouir des brutalités, des privations et des mauvais traitements subis par un citoyen quel qu’il soit, sur la base du discours vengeur qui veut les faire payer pour avoir connu dans leur vie une élévation sociale, une notoriété politique ou économique et financière. Il est impropre, inhumain et malsain de se réjouir des malheurs des gens, quoi qu’ils aient fait et qui qu’ils soient.

La Commission rappelle à souhait, qu’elle demeure engagée à lutter et à aider à lutter contre la corruption et les détournements des deniers publics, mais sans toutefois avaliser des actions discriminatoires notoires qui pourraient par une pure extension incontrôlée, mettre gravement en péril la cohésion nationale, la sécurité des biens et des personnes.

La Commission insiste encore et encore, pour que les conditions de dignité, de respectabilité de leur intégrité physique et de leur équilibre moral, soient garanties pour tous les détenus, que ces derniers résultent de l’opération Epervier ou des affaires judiciaires courantes, ordinaires.

La Commission craint à ce propos, que les nouvelles conditions de détention imposées aux trois personnalités transférées, n’interfèrent négativement dans le respect par notre pays, de ses obligations pertinentes et incontournables, prescrites par les instruments conventionnels internationaux dont il est signataire. D’ores et déjà, il est essentiel de rappeler que le confinement absolu d’un détenu est incompatible avec le droit international carcéral, à moins de prouver la dangerosité incontestable pour la société.

La Commission exhorte le président de la république, chef de l’Etat, chef des armées, chef de la diplomatie et président du conseil supérieur de la magistrature, et à ce titre premier garant et protecteur suprême de l’image, de la crédibilité et des intérêts nationaux du pays, à prendre les meilleures dispositions de prudence, de retenue et de dextérité, pour éviter qu’un dérapage des opérations de lutte contre la corruption et les détournements des deniers publics en cours, ne débouchent sur des fractures inattendues et profondément dommageables.

La Commission rappelle pour mémoire que le traitement trop dégradant infligé à plusieurs anciens collaborateurs et anciens hauts commis de l’Etat de même qu’à des capitaines d’industrie ayant longuement et profondément œuvré de diverses manières dans les processus politiques, administratifs et financiers du pays, autant que dans la longévité et la sécurité du régime, n’entame la crédibilité de toute la classe politique aux yeux de l’opinion nationale et internationale.

La Commission rappelle que ce n’est pas le principe de mise en cause de ces personnalités et les procès subséquents qui s’en suivent qui sont questionnés. Plutôt ce sont les mécanismes, les organes habilités, les méthodes, les moments choisis et la conduite des opérations tant au plan administratif qu’au plan judiciaire et sécuritaire, qui sont décriés car inappropriés et entachés de doutes, de soupçons de partialité et d’agenda caché.

La Commission exprime des craintes sérieuses, que la généralisation de l’usage des cagoules par les forces de sécurité, n’aboutisse à la récupération des mêmes techniques et des mêmes outils par des milices privées sanguinaires, pour l’orchestration des crimes politiques, particulièrement contre des membres actifs de la société civile et contre quelques rivaux. Cela s’est vu en Amérique Latine, en Amérique Centrale, en Irak, récemment en Côte d’Ivoire, et même dans les grandes démocraties.

La Commission souhaite enfin, que les personnalités mises en cause, de même que tous les détenus de droit commun dans le pays, soient jugés promptement, qu’ils soient entendus en présence de leur conseil, examinés et contredits publiquement, puis fixés sur leur sort. En outre, les conseils devraient être toujours tenus préalablement informés de tous les actes judiciaires, administratifs, civils et sécuritaires touchant à leur client, y compris le changement du lieu de détention, les conditions de détention, les formalités de visite ainsi que toute restriction légalement justifiée.

La Commission appelle les autorités judiciaires et sécuritaires du pays, à privilégier dans tous les cas, des lieux de détention conformes aux pratiques internationalement reconnues, consacrées et acceptables. En effet le recours à des méthodes d’exception pourraient regrettablement raviver dans les mémoires, les moments troubles, honteux, sanglants et peu glorieux des lendemains immédiats de l’indépendance où la détention supposait la mort, la destruction physique et morale explicite du détenu./.

Fait à Yaoundé, le 29 Mai 2012

Le Président de la Commission

© Correspondance : SHANDA TONME,Médiateur universel


31/05/2012
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