Débat: Qui a peur de l'élection présidentielle à deux tours au Cameroun?

YAOUNDÉ - 18 Avril 2012
© Benoit Dubois Onana | Repères

Le mode de scrutin de l'élection du président de la République divise autant que le code électoral lui-même.

La question ressemble au protestantisme en Amérique: il y en a pour tous les goûts. Jeudi 12 avril, l'amphi 700 de l'Université de Yaoundé I est paré aux couleurs de deuil. En attendant la dépouille du Pr. Mathieu-François Minyono-Nkodo, décédé quelques jours plus tôt, pour l'ultime hommage organise par la Faculté des Arts, lettres et sciences humaines. Alors que la communauté universitaire nationale se vide de ses larmes, des étudiants, à un coin de l'antre, ne ménagent ni leur peine ni leurs «missiles» sur le nombre de tours de l'élection présidentielle. D'un ton presque badin, Mlle S. Ewondo, étudiante en littératures et civilisations africaines, pourtant silencieuse jusque-là comme une ombre, lance: «Ne nous bourrez pas le citron. Faites un code comme au Sénégal. Un point, c'est tout!»

La discussion s'est donc déportée hors de l'hémicycle de Ngoa Ekellé. Dans les tabloïds comme dans les épîtres, le sujet fait couler beaucoup d'encre. Ce que le quotidien Mutations (13 avril) reprenant les avis de certains leaders politiques, qualifie de «banditisme politique». Pourtant, M. Jean Michel Nintcheu, député sdf, croit savoir que «le Président de la République veut un système électoral sain, des personnes au gouvernement s'arrangent à torpiller cette volonté». Un point de vue que soutient l'hebdomadaire l'Anecdote du 9 avril en titrant «Paul Biya piégée par ses ministres et députés.»


Reculade

«Scandaleux et anticonstitutionnel!» s'est écrié Mme Tomaino Ndam Njoya, député UDC, dans le même journal, quelques temps seulement après l'ouverture de la session extraordinaire du parlement. D'autant plus que le projet de loi était censé sortir des concertations réalisées à Elecam et à la Primature. «Que peut-on attendre du gouvernement Rdpc? Après 30 ans de la pratique de la culture du parti unique, l'Etat-parti persiste et signe. D'abord l'objectif recherché à savoir des élections justes et transparentes indispensables pour asseoir la République et la démocratie, devait impérativement conduire à la révision de la constitution, du moins dans ses dispositions traitant des élections, à l'instar de l'élection du Président de la République qui, comme le souhaite la grande majorité des Camerounais, devait être élu à deux tours, avec limitation du mandat...» regrette-t-elle. Rien n'y a fait.


Volte face du pouvoir? Mépris de l'opinion?

En tous cas, M. Richard Makon, chercheur en sciences sociales, considère «comme un rétropédalage du Président de la République, qui, il y a cinq mois à peine, annonçait encore solennellement des réformes qu'il estimait lui-même nécessaires et dont la réalisation nous semble aujourd'hui lui poser quelques soucis» Au sujet du mode de scrutin. «L'alternance, selon lui, n'est pas possible sans élection présidentielle à deux tours, précisément en Afrique, lorsque le président sortant est candidat à sa propre succession. Cela ne veut pas dire que l'élection à deux tours suffit à elle seule pour garantir une alternance par voie électorale. Mais cette option ouvre cette possibilité et la rend plus qu'envisageable.»


Modernisation

L'élection présidentielle sénégalaise parle aux Africains. L'histoire électorale récente du continent aussi. «Il est extrêmement rare de voir un président sortant qui s'est fait battre dans une élection à un tour qu'il a lui-même organisée en tant qu'incarnation de l'imperium et du dominium au moment électoral». D'accord. Cependant, «le mode de scrutin n'est qu'un moyen, un outil. La volonté d'élire ou, plus exactement de choisir, appartient au peuple souverain quelque soit le mode de scrutin», affirme le Dr Loth Pierre Diwouta, politologue et enseignant à l'Ecole supérieure des sciences et techniques de l'information et de la communication de Yaoundé. Pas très loin de ce que soutient M. Valère Bertrand Bessala, un autre chercheur en sciences sociales dans une radio de proximité de la capitale: «Ce n'est pas l'élection à deux tours qui apportera la prospérité et la démocratie au Cameroun».

L'élection à deux tours aurait pu traduire la modernisation du système électoral, comme le soutiennent M. Hilaire Kamga de l'Offre Orange et certains leaders d'opinion jetant aux orties l'argument selon lequel les «petits» partis n'ont pas leur mot à dire à cette étape de la constatation du peuple. «Ce peuple que l'on sait s'approprier si souvent, au risque de le confisquer et de paralyser ses aspirations légitimes et profondes, réclame à hue et à dia un scrutin à deux tours. Il semblerait qu'une occasion idoine de se réconcilier avec lui soit encore passée», s'indigne M. Richard Makon. Pour le jeune universitaire, le texte de loi sur le code électoral qui vient d'être voté par la représentation nationale, «s'inscrit dans le sillon de l'éphémère. On peut déjà prédire qu'il survivra difficilement à son géniteur».

Pas du tout l'avis de ce diplomate africain à Yaoundé pour qui, «Il faut plutôt regarder l'après Biya. Le parti au pouvoir ne voudrait perdre aucune élection même après le départ du président Camerounais qui, avec son parti le Rdpc, joue la montre en évitant de modifier la constitution pour faire adopter une disposition sur l'élection présidentielle à deux tours».




19/04/2012
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