Débat: Le gouvernement camerounais doit-il supprimer les subventions au prix du pétrole à la pompe ?

25 NOV. 2012
© Landry SIMO et Hervé LADO | Correspondance

Le gouvernement camerounais doit-il supprimer les subventions au prix du pétrole à la pompe ?

Par Landry SIMO et Hervé LADO, pour Camer Vision

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Par communiqué de presse du 24 juillet 2012, les services du Premier Ministre camerounais annonçaient « l’inéluctabilité d’une réduction [...] de la subvention gouvernementale appliquée aux prix des produits pétroliers », le lancement de consultations avec les partenaires sociaux afin de recueillir leurs propositions concernant « le train de mesures d’accompagnement destinées à amortir l’impact » social de la mesure. Depuis lors, de nombreux débats ont opposé le gouvernement aux organisations de la société civile sur l’opportunité d’une telle mesure, les uns défendant la nécessité de rééquilibrer le budget de l’Etat en déficit depuis 2009 et de dégager des ressources pour financer les grands projets en cours, les autres insistant sur l’inflation qui suivra inévitablement avec pour conséquence la dégradation supplémentaire du pouvoir d’achat des plus pauvres. C’est dans le prolongement de ce débat que s’est tenue à la Maison de l’Afrique (IREA) à Paris l’édition de novembre de Camer Vision sur le thème : Le gouvernement camerounais doit-il supprimer les subventions au prix du pétrole à la pompe ?

A ce deuxième rendez-vous de Camer Vision, plateforme d’échanges et de sensibilisation de l’opinion camerounaise à Paris, étaient invités deux experts économistes, Jehan Sauvage, Economiste à l’OCDE et Hervé Lado, Economiste-Chercheur à l’ESSEC Business School et à Paris School of Economics ; et des représentants de partis politiques Jean Paul Tchakoté du SDF et Paul Eric Emery du RDPC. Le débat s’est ouvert par la revue de la presse camerounaise de Georges Alladjim.

Pour Jehan Sauvage, qui présentait le contexte international entourant la suppression des subventions aux énergies fossiles, le projet camerounais doit être appréhendé en prenant en compte les études réalisées au niveau international d’abord par l’Agence Internationale de l’Energie concernant les pays en développement, puis par l’OCDE pour ses 34 pays membres. Ces études s’inscrivent dans un cadre plus large en ce qu’elles ont pour vocation d’éclairer les pays du G20 sur l’ampleur des mesures de soutien à la production et à la consommation d’énergies fossiles dans le monde. Théoriquement, une suppression mondiale coordonnée des subventions aux énergies fossiles présenterait de nombreux avantages. D’abord pour l’environnement, car elle permettrait une nette diminution des émissions de gaz à effet de serre par une réduction de la consommation d’énergies fossiles. Jehan Sauvage n’a pas manqué de souligner que le réchauffement climatique, qui se montre de plus en plus alarmant – les analyses les plus pessimistes prévoient un scénario de réchauffement de +6 degrés d’ici la fin de ce siècle avec une accentuation des phénomènes extrêmes et catastrophes naturelles – est en grande partie dû aux pays de l’OCDE, ainsi qu’aux pays émergents tels le Brésil, l’Inde, l’Indonésie, la Chine et l’Afrique du Sud. Des études menées par l’OCDE montrent que la suppression des subventions répertoriées par l’AIE pourrait réduire les émissions de gaz à effet de serre à hauteur de 6% à l’horizon 2050. Ce qui apparaît certes modeste, mais reste fiscalement moins coûteux qu’une taxe carbone par exemple. Sur le plan macroéconomique, les subventions incitent à la consommation voire au gaspillage et par conséquent, à l’importation de produits pétroliers, ce qui a un coût pour les pays non producteurs. La surconsommation grève également davantage les budgets des pays producteurs tout en accélérant l’épuisement des réserves. S’il est vrai qu’en général la suppression des subventions aurait un impact global assez faible sur la hausse des revenus réels, il faut néanmoins compter avec les disparités entre Etats. L’Inde, par exemple, verrait son PIB global augmenter de façon significative.

Plus concrètement, selon le World Energy Outlook 2012 de l’Agence Internationale de l’Energie (AIE), les subventions auraient augmenté en 2011 dans le monde, et se chiffreraient désormais à quelques 523 milliards de dollars US. Pour l’OCDE, les mesures de soutien répertoriées dans ses 34 pays membres se situeraient, elles, entre 55 et 90 milliards de dollars par an sur la période 2005-2011. Les deux institutions ont toutefois des approches d’estimation différentes quant aux méthodes de calcul choisies et aux échantillons étudiés : les études de l’AIE ne considèrent comme subventions que le différentiel positif entre les prix internationaux et les prix domestiques et ne couvrent par conséquent que les pays en développement et émergents, tandis que les études de l’OCDE ne couvrent que ses Etats membres et prennent en compte tous les transferts budgétaires et les dépenses fiscales soutenant la production ou l’usage d’énergies fossiles dans différents secteurs. Pour l’AIE, alors que toutes ces subventions sont destinées à protéger le pouvoir d’achat des plus pauvres, il ressort qu’à peine 8% de l’ensemble des subventions aux énergies parviennent aux 20% les plus pauvres. Elles accélèreraient également l’épuisement des ressources et ralentiraient la mise en œuvre de stratégies d’économie verte. Les études de l’OCDE révèlent plus de contraste d’un pays à l’autre : des redondances et effets d’aubaine dans certains pays, et des incitations au surinvestissement dans les énergies fossiles dans la plupart. Jehan Sauvage insiste sur le fait que l’inventaire de l’OCDE « a avant tout été conçu comme un outil de politique économique et de transparence pour que les décideurs politiques autour d’une table puissent bénéficier d’une information fiable ». Pour ce qui est des réformes, une première question est celle de savoir si le gouvernement souhaite effectivement les conduire, et si oui comment. « Se pose d’abord un problème de transparence. Il faut pouvoir mesurer les subventions et savoir qui en bénéficie ». Outre la question de la transparence se « pose aussi un problème de compensation », car la suppression des subventions a toujours un impact social négatif dans l’immédiat. Qui en souffrira le plus, et quelles sont les mesures d’accompagnement ? Les gouvernements sont ainsi confrontés au « ciblage des montants compensatoires : comment faire pour que les compensations atteignent effectivement les personnes affectées ? ». Jehan Sauvage a clos son intervention en insistant sur la nécessité pour les gouvernements d’insérer la réforme dans une stratégie plus globale. Et c’est à ce niveau qu’intervient la question de la capacité et de l’opportunité pour un Etat tel que le Cameroun de mener à bien une telle réforme.

La démarche camerounaise, rappelle Hervé Lado, fait suite à une mission du FMI, qui a observé la progression de ces subventions et les difficultés que le gouvernement rencontre à lutter contre le déficit budgétaire depuis 2009 creusé entre autres par des engagements supplémentaires en termes de masse salariale et de soutien au prix des produits de première nécessité. Ses subventions au prix du pétrole avoisineront en 2012 les 400 Mds FCFA soit 15% du budget global de l’Etat et près d’un quart de son budget de consommation. Par ailleurs, le Cameroun a lancé de grands projets de routes, autoroutes, barrages, centrales, port de Kribi, mines, auquel il doit contribuer financièrement. Cette politique d’investissements massifs est d’autant plus nécessaire que le Cameroun est le seul pays de la CEMAC où plus de 50% du budget est consacré chaque année à la consommation ; il se plaçait ainsi en 2011 au dernier rang des six pays de la région avec un taux d’investissements publics/PIB de seulement 5,5%, contre 9% pour la RCA, 11% pour le Tchad et 28% pour la Guinée Equatoriale. Sans surprise entre 2001 et 2007, d’après la Banque Mondiale au Cameroun, le taux de pauvreté au Cameroun est resté stable à 40% et s’est même renforcé de 53 à 56% dans les zones rurales où résident 87% des pauvres. C’est ainsi que de 2006 à 2013, le budget d’investissement aura presque triplé, passant de quelque 350 à près de 1000 Mds FCFA. En clair, le gouvernement doit à la fois rééquilibrer son budget, et dégager des ressources nécessaires à la réalisation de son important programme d’investissements.

Pour Hervé Lado, dire simplement que les subventions profitent plus aux riches qu’aux pauvres n’est toutefois pas un argument suffisant pour les supprimer : une réflexion similaire sur les 650 Mds FCFA de masse salariale de la fonction publique ne suffirait pas pour justifier la suppression de la masse salariale. « Cette partie des subventions qui profitent aux plus pauvres, fût-elle minoritaire, représente quelle part de leurs revenus et de leurs dépenses ? Aucune étude ne donne cette information capitale. » L’AIE se borne à préciser que la suppression des subventions au pétrole est pertinente si le mode de vie des plus pauvres dépend des produits pétroliers, pourtant il convient de marteler qu’au-delà de la consommation proprement dite, les produits pétroliers entrent dans le prix de revient (via le coût du transport) de la quasi-totalité des produits et services achetés par les plus pauvres : allumettes, sel, pain, chaussures, vêtements, poisson, viande, produits de beauté, soins de santé, etc. Ces produits et services connaîtront donc inévitablement une inflation instantanée, qui grèvera d’autant le pouvoir d’achat des plus pauvres dès la suppression des subventions. L’idée de redéployer les subventions au pétrole vers des investissements stratégiques est pertinente seulement dans le cas où des mesures compensatoires sont prises immédiatement pour protéger le pouvoir d’achat des plus défavorisés. L’exemple du Nigeria montre bien que le scénario de perte de pouvoir d’achat n’est pas de la science-fiction. La réduction des subventions au prix du pétrole au Nigeria en janvier 2012 a immédiatement produit une inflation généralisée en particulier dans les zones rurales. Les plus pauvres ont ainsi vu leur pouvoir d’achat ponctionné par une augmentation instantanée du litre d’essence qui bondissait de 65 Nairas (env.210 FCFA) à 120N avant de se stabiliser autour des 95N officiels, induisant une hausse de la course de taxi-moto de 50% ! Le problème, pour Hervé Lado, « c’est qu’on supprime chez les plus pauvres un avantage qu’on compense par des investissements qui vont ‘peut-être’ porter des fruits et augmenter le pouvoir d’achat dans cinq ou dix ans. Pendant ce temps, que devient le pauvre qui perd du pouvoir d’achat ? ». Dans le cas du Cameroun, deux questions émergent :

Question 1 : Le gouvernement est-il en mesure de compenser immédiatement la perte de pouvoir d’achat des plus pauvres qui suivra inévitablement la suppression des subventions ? En la matière dans les pays développés, on procède par transferts sociaux via i) un ajustement ciblé des prestations sociales et de la fiscalité sur les revenus, et via ii) l’allègement de la fiscalité sur des produits de première nécessité. Dans le premier cas, le système de sécurité sociale camerounais ne couvre pas plus de 10% de la population, encore moins les plus pauvres, et l’impôt sur les revenus ne concerne pas ces derniers, donc cette approche est inopérante. Dans le second cas, le gouvernement a déjà largement fait recours à ses marges de manœuvres en réduisant les droits de douane sur les produits de première nécessité à la suite des émeutes de la faim de février 2008, ce qui coûte aujourd’hui de l’ordre de 80 Mds FCFA par an dans le budget de l’Etat ; une piste directe serait la réduction du taux de la TVA ou de l’exemption des droits d’inscription dans les établissements secondaires publics mais cela reviendrait sur le plan budgétaire simplement à déshabiller Pierre pour habiller Paul. Le gouvernement peut donc difficilement immédiatement compenser la perte de pouvoir d’achat des plus pauvres, et cette réponse suffit en soi à surseoir à la suppression des subventions si c’est véritablement le sort des plus pauvres qui préoccupe.

Question 2 : Le gouvernement est-il en mesure de garantir une allocation rigoureuse et efficace des ressources supplémentaires pour l’investissement dégagées suite à la suppression ? On le sait bien, il se pose un problème récurrent et préoccupant de consommation des ressources dédiées à l’investissement au Cameroun. Au cours de cette dernière décennie, le budget d’investissement public a été sous-consommé (à peine aux trois-quarts, et bien moins encore si on prend en compte les ressources PPTE et C2D), ce qui est paradoxal pour un pays qui cherche des ressources pour lutter contre la pauvreté. On est donc en droit de douter de la capacité de l’administration à absorber des ressources longues supplémentaires. Les lenteurs observées dans la conduite des premiers grands projets publics, y compris ceux qui sont financés par le très exigeant emprunt obligataire levé depuis 2011, renforcent ce doute.
L’un des arguments majeurs avancés par le gouvernement pour la suppression des subventions est celui du rééquilibrage du budget. Mais il n’y a pas d’urgence, dans la mesure où non seulement l’Etat camerounais est largement sous-endetté depuis la sortie du point d’achèvement de l’initiative PPTE en 2006 (le stock de la dette représente à peine 15% du PIB contre 64% en 2004), mais aussi parce que les prévisions indiquent une croissance de 4,4% en 2012 et de l’ordre de 4,6% en 2013, qui devraient permettre l’amorce de ce rééquilibrage dès 2012.

Globalement, le gouvernement gagnerait à se montrer transparent sur la structure du prix du pétrole à la pompe, et plus largement sur la gestion des revenus pétroliers de la production du pétrole à l’incorporation des revenus dans le budget de l’Etat en passant par le raffinage par la Sonara, ce qui lui éviterait les suspicions de la société civile qui exigent à juste titre l’examen des pistes alternatives. Au titre d’alternatives susceptibles de dégager largement de quoi équilibrer le budget de l’Etat et couvrir le financement de grands projets, le gouvernement dispose de gisements importants:

i) L’efficacité de la dépense publique : réduire drastiquement la consommation de l’Etat en produits pétroliers et en bons de carburants, consommer à 100% les ressources budgétaires dédiées à l’investissement, faire la chasse aux dépenses redondantes et de confort qui font partie du budget de consommation, réviser la mercuriale qui autorise l’Etat à acheter largement au-dessus des prix du marché constituant ainsi un système officiel de gaspillage du budget de l’Etat, lutter plus rigoureusement contre la corruption et les détournements de fonds : il est de notoriété publique que 20 à 30% du budget de l’Etat est détourné chaque année.

ii) Envisager si nécessaire une fiscalité supplémentaire sur les plus riches consommateurs de carburant : taxe sur les véhicules de particuliers et en particulier les grosses cylindrées par exemple.

Pour finir, Hervé Lado invite à tirer les leçons des années d’ajustement structurel où on s’est plus préoccupé de la santé de l’Etat que de celle des plus pauvres. De telles recettes importées et appliquées sans discernement ont davantage fragilisé les plus pauvres et fait reculer durablement le Cameroun sur les plans humain, social et économique.

Les politiques quant à eux sont d’accord sur au moins deux points : d’abord, la question de la suppression des subventions de l’Etat doit être étudiée au cas par cas en fonction des réalités de chaque pays. Paul Eric Emery observe que « les études de l’OCDE ne peuvent pas être plaquées sur des réalités qui ne correspondent pas forcément aux conditions de la réalisation de l’étude ». Si dans certains cas, il peut justement être néfaste de maintenir des subventions, ce n’est pas forcément le cas au Cameroun. Selon lui, le Ministre du commerce, le Professeur Tsafack Nanfosso et d’autres sont allés un peu vite en besogne dans l’analyse en plaquant les études réalisées à l’échelle internationale sur le cas du Cameroun. Ensuite, et c’est le deuxième point de convergence, la question de la suppression des subventions ne peut pas être tranchée de façon péremptoire. Il convient au préalable d’effectuer une « mise à plat » du circuit de gestion des revenus pétroliers afin d’en déterminer les tenants et les aboutissants : le parcours du pétrole au Cameroun est complexe, il fait intervenir de multiples acteurs, et une vingtaine de taxes avant d’arriver au consommateur ; il convient de rationaliser ce circuit en supprimant les étapes non nécessaires pour faire baisser les prix. Jean Paul Tchakote renchérit en estimant qu’il est temps d’organiser de véritables états généraux de l’énergie au Cameroun, afin de lever le voile opaque qui couvre la gestion du pétrole camerounais et notamment ses nombreuses caisses noires, la SNH étant la plus emblématique. Le véritable point de divergence entre les deux se situe au niveau de la méthode choisie. Pour Jean Paul Tchakote, le gouvernement a fait « le choix de la facilité », en proposant « des solutions inadaptées » à la réalité sociale au Cameroun. Il met en garde le gouvernement contre une « explosion sociale » qui suivrait inévitablement la suppression de ces subventions à cause du rejet massif d’une telle mesure par les populations. Les sacrifices de ces dernières ont permis d’atteindre le point d'achèvement de l'initiative PPTE en 2006. La part des ressources qui devaient aider à améliorer les conditions de vie des plus pauvres est peu utilisée, notamment les fonds PPTE et les fonds C2D. Comment peut-on imaginer que le gouvernement se conduira autrement avec les ressources supplémentaires issues de la suppression des subventions ? Pour lui, il existe d’autres postes de dépenses à supprimer : des ministres ont annoncé l’existence de fonctionnaires fictifs, la CSPH dont le rôle est simplement d’assurer l’ajustement des prix de produits pétroliers dispose d’effectifs pléthoriques et s’est curieusement offert un immeuble-siège, le ministère de la Défense et plus largement l’administration consomment abusivement de l’essence et des bons de carburant, etc. Le SDF préconise la transparence dans la gestion des revenus pétroliers, et l’accélération de la conversion de la Sonara qui permettra enfin au Cameroun de raffiner son propre pétrole.

Les échanges avec la salle ont confirmé l’inopportunité pour le gouvernement de s’attaquer aux subventions de l’Etat au prix du pétrole en l’état actuel de la prévalence de la pauvreté, et au vu des pistes alternatives évoquées plus haut pour équilibrer le budget et financer les grands projets. Quant à l’impact environnemental de la surconsommation induite par les subventions que l’OCDE souligne, une telle préoccupation doit être traitée dans le cadre plus global d’une stratégie de croissance verte inclusive que le Cameroun n’a pas encore élaborée, et qui permettra d’insérer définitivement le modèle de croissance camerounais dans une réelle dynamique de développement durable.

Rendez-vous dans quelques semaines pour le troisième débat Camer Vision.

Landry SIMO et Hervé LADO, pour Camer Vision.
Contact: equipecamervision@gmail.com



26/11/2012
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