Dans le couloir de la mort de la prison de Douala les condamnés redoutent la fusillade au petit matin

Prison New Bell:Camer.beRejetés par leurs familles, évités par les avocats, discriminés par les Ongs, les condamnés à mort de la prison de Douala vivent dans la peur d’être un jour extraits de leurs cellules pour être fusillés. En attendant le moment fatidique, tous s’en remettent à Dieu.Ce dimanche, jour de visite à la prison de New-Bell à Douala, la cellule " spéciale 01 " connaît de nombreux va et vient de détenus qui entrent, sortent, jouent au ludo, aux échecs ou regardent la télévision. Ces prisonniers, venus d’autres quartiers de la prison, apprécient le calme de cet îlot, suffisamment aéré et équipé d’un téléviseur, mais certainement pas la situation pénale de ses occupants. Ils sont treize condamnés qui attendent le moment fatidique d’être fusillés sur la place publique. Le regard hagard et perdu de la plupart d’entre eux exprime leur angoisse. "Je suis un innocent qu’on a condamné à mort pour rien et peut-être qu’un jour, on viendra me sortir d’ici pour aller me tuer", plaide, dans un français difficile, Kaowala Mbarandi Jacques, âgé d’environ trente ans et incarcéré depuis octobre 2008.

Il soutient n’avoir été que le témoin d’un meurtre dans une cafeteria où il travaillait. Il a été arrêté comme complice des assassins qui avaient tous pris la fuite. Pauvre, il n’a pas pu prendre un avocat pour sa défense, se contentant de celui qui lui avait été désigné d’office. Il est alors condamné à mort pour assassinat, et ne fera jamais appel de la décision. "Je ne suis pas beaucoup allé à l’école. Je ne connais rien et n’ai pas la famille à Douala. C’est en prison que j’ai appris que je pouvais faire appel, mais il était trop tard ", raconte-t-il anxieux.

Incarcéré depuis juillet 2009, Thomas Kandi sera étonné d’être transféré à la cellule "spéciale 01" en octobre 2010. Absent du tribunal qui l’a condamné, il n’a pas pu faire appel de la décision à temps. "J’étais dans la souffrance et n’ai personne pour m’aider. Par ailleurs, c’est quand on m’a transféré de ma première cellule pour le quartier des condamnés à mort que j’ai su que j’avais été condamné à cette peine ", affirme-t-il. Condamné dans la même affaire d’assassinat, Aboubakar Aoudou, alias Hassan, pense avoir fait appel, mais sans trop d’assurance. "Un de mes frères avait promis de le faire pour moi, mais je ne sais pas s’il l’a fait. Je veux bien le croire et garde l’espoir que je serai jugé de nouveau", confie-t-il. Il s’en remet à la loi qui précise que tout condamné peut voir sa peine réappréciée par un tribunal supérieur à celui qui l’a condamné en premier ou deuxième ressort, à condition d’interjeter appel dans les dix jours qui suivent le verdict. Ce qui est difficile pour la grande majorité des condamnés à mort de la prison de Douala.

L’appel peu efficace

Pauvres et abandonnés par leurs familles, ils ont été jugés avec la seule assistance d’un avocat commis d’office par le ministère de la Justice. "Les avocats fuyaient mon cas, alors que mon plaignant avait six avocats à lui tout seul. C’est donc sans réelle arme de défense que j’ai été envoyé au couloir de la mort ", relate Semengue Roger aujourd’hui âgé de 36 ans et en prison depuis dix ans pour assassinat et vol aggravé. Même s’il reconnaît les faits qui lui sont reprochés, il les met sur le compte de la jeunesse et de la précipitation. "Je suis issu de famille pauvre. Un Monsieur pour qui je travaillais a retenu indûment mes deux mois de salaires. Sous le coup de la colère, et je le regrette aujourd’hui, je l’ai agressé et tué ", précise Roger, aujourd’hui chef du quartier des condamnés à mort. Il fera tout de suite appel de sa condamnation, mais il n’a jamais été rappelé pour être rejugé. " Du coup, on est en droit de penser qu’un jour, on sera extrait nuitamment pour être exécuté comme ce fut le cas pour d’autres condamnés à mort récemment en Gambie ", regrette-t-il.

Le même sentiment est partagé par Mem Hans, 45 ans et doyen d’âge de ce quartier où il séjourne depuis 2004. A la suite d’une bagarre à Sakbayeme, son village, il est condamné à mort pour l’assassinat de l’un de ses oncles maternels. Il conteste alors la décision, en arguant qu’une autopsie n’ayant pas été réalisée, il est difficile de prouver que cet oncle est mort des suites des coups reçus. Mais la cour d’appel confirme la sentence, trois mois plus tard. Mem Hans se pourvoit alors en cassation. Sept ans plus tard, il n’a ni reçu un document attestant que sa requête a été enregistrée, ni été appelé à comparaître de nouveau. Son propre avocat l’a roulé dans la farine. " J’ai lavé les mains et donner ma vie à Dieu. Ici, il n’y a pas de distraction en dehors de la télé, ni une quelconque activité de réinsertion. Du coup, nous avons compris qu’à n’importe quel moment, on va nous tuer et cela me rend parfois nerveux et violent " explique-t-il.

Supprimer la peine de mort ?

Même s’il réside encore dans la cellule "spéciale 01 ", Mapac Josué, 41 ans, mais en paraissant plus de 60, pense pouvoir, un jour, retrouver la liberté. Condamné à mort en 2001 pour assassinat à Yabassi, il a fait appel. Depuis, il a appris que sa condamnation à la peine capitale a été commuée en un emprisonnement de 25 ans . " J’ai seulement peur de la maladie, parce qu’ici, en prison, si tu tombes malade, non seulement il est difficile que tu en sois extrait pour les soins, mais pire, tu dois être pris en charge par ta famille. Pour moi qui n’ai que ma pauvre mère je vais seulement mourir ", confie-t-il, déséquilibré.

Le cas de Josué est rare. De nombreux autres condamnés demeurent dans l’incertitude totale, parfois depuis plus de vingt ans. Une situation intenable qui pose la question de la suppression de la peine de mort. D’autant plus qu’au Cameroun, les dernières exécutions remontent à 1997. Depuis cette date, sous l’action des Ongs nationales et internationales qui souhaitent que le pays abolisse la peine capitale, aucun condamné n’a été exécuté. Au regard de la loi, " toute condamnation à mort est soumise au Président de la République en vue de l'exercice de son droit de grâce. Tant qu'il n'a pas été statué par le Président de la République sur la grâce du condamné, aucune condamnation à mort ne peut recevoir exécution ".

Pour les défenseurs des droits humains, le fait de garder pendant longtemps en détention des condamnés à mort est une torture supplémentaire. " Selon la loi, la prescription d’un crime est de 20 ans. C'est-à-dire qu’au-delà de 20 ans, une peine qui n’est pas exécutée est prescrite. Les condamnés à mort, qui ont déjà passé plus de 20 ans en prison, ne devraient donc plus être exécutés et, dans ce cas, que devient leur statut juridique : condamné à vie ou à perpétuité ? Le Cameroun doit abolir la peine de mort et nous œuvrons pour cela ", insiste Me Nestor Toko, avocat et président de l’association Droits et Paix.

Dieu pour seul refuge

Incertains sur leur sort, abandonnés par leurs familles, la plupart des condamnés à mort s’en remettent à Dieu. " Après votre incarcération, vous recevez quelques visites. Une fois condamnés à mort, cela devient difficile, vous ne voyez plus personne ", explique Semengue Roger. En dix ans de détention, il n’a reçu que trois visites de sa mère qui vit à Ebolowa. Aucun de ses frères, sœurs et amis ne s'est déplacé. De nombreux détenus ne reçoivent qu’une ou deux visites après plusieurs années, voire aucune. Les Ongs, qui visitent les prisons, leur apportent tout aussi difficilement assistance, tout comme les avocats qui préfèrent les cas mineurs, même quand ils sont payés par des bailleurs de fond dans le cadre de l’assistance judiciaire aux démunis.

Dieu demeure donc le seul refuge. Les congrégations religieuses, surtout les catholiques, comptent parmi les fidèles visiteurs des condamnés à mort. " La foi habite le condamné à mort. Nous craignons Dieu et respectons ses commandements et le louons tous les jours ", fait remarquer Semengue Roger. Il a été baptisé en prison et est désormais le coordonnateur de la communauté Saint Egidio de ce quartier. Pour se prendre en charge, il fabrique des chapelets qu’il vend à bon prix à tous les détenus. Mem Hans, lui, est le président du mouvement St Maximilien Marie Corbeau, prêtre jésuite devenu saint patron des condamnés à mort pour avoir donné sa vie en échange de celle d’un condamné à mort, affirment les catholiques.

Comme eux, tous les condamnés à mort prient à longueur de journée et assistent à tous les offices religieux. L’Eglise le leur rend bien et leur apporte à chaque fois assistance, contribuant ainsi  à les éloigner spirituellement de l’abîme de la mort.

© Jade : Charles Nforgang


14/02/2013
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