D’Ahidjo à Biya, les Grandes réalisations

DOUALA - 06 NOV. 2012
© Frédéric BOUNGOU | Le Messager

Ce jour, mardi 6 novembre 2012, Paul Biya compte trente ans de magistère à la tête du pays. « La génération Biya », selon Jeune Afrique, le magazine panafricain qui consacre à l’événement sa Une et 16 pages dans son édition du 22 au 28 octobre dernier. « L’ère Biya », vante le journal à capitaux publics, Cameroon tribune, dans une édition spéciale. En tous les cas, trente longues années au pouvoir pour l’homme du 6 novembre 1982.

Que peut-on en retenir ? D’abord un échec économique cuisant. Pays à revenus intermédiaires, le Cameroun est aujourd’hui logé parmi les derniers de la classe : pays pauvre très endetté. Autant le dire, à très mauvaise enseigne. Ensuite, sur le plan de la gouvernance, et après avoir snobé son monde en demandant « où sont les preuves », le chef de l’Etat consent enfin à mettre le grappin sur les « détourneurs » de la fortune publique. Pressé plus par des mobiles politiques que par le souci du bien public. Plus de vingt ans trop tard, alors que le mouvement Jose avait tiré la sonnette d’alarme en avril 1984 deux ans seulement après sa prise de pouvoir… Que dire de l’agriculture qui fut la rampe de lancement de l’économie nationale et dont la plupart des structures d’encadrement ont été enterrées par le Renouveau, de l’éducation, de la santé ou des sports ?

Difficile, malgré les efforts, de ne pas se rappeler l’époque Ahidjo, dans un simple souci de comparaison. Des opportunités offertes. Des actes manqués. Des rendez-vous ratés. Pour comprendre d’où on vient et où on va. Certes, comparaison n’est pas raison. Mais osons un peu. Pour l’histoire. Et pour l’avenir.

« Les réalisations du gouvernement ou du régime doivent être connues […] Elles permettent à chacun de savoir que la construction nationale n’est pas une expression vide de sens, mais une réalité objective, visible et tangible. Ces réalisations constituent […] un motif de fierté et une raison supplémentaire d’adhérer […] de soutenir l’action du gouvernement ». Tiré de « 1960-1980 : les grandes réalisations du gouvernement », cet extrait publié par le comité central de l’Union nationale camerounaise en 1982, recense et présente les chantiers réalisés et programmés du régime Ahidjo en vingt ans de pouvoir.

L’objectif affiché ? « Montrer l’effort que le gouvernement camerounais a effectué afin de réaliser pour son peuple l’objectif fixé en 1960 de doubler le revenu national en vingt ans ». En langage facile, il s’agissait de constituer un cadre dans lequel les ressources et les efforts de la nation devaient être mobilisés pour la réalisation du développement économique, social et culturel du peuple, explique le document.

A titre d’illustration, sur le plan économique, Ahidjo fit le choix du libéralisme planifié, du développement autocentré et de la maîtrise du développement. De cette politique économique naquirent quatre plans quinquennaux de développement économique et social : 1961-1966 : un plan agricole ; 1966-1971 : un plan de création d’un climat favorable au développement ; 1971-1976: un plan de la production et de la productivité ; 1976-1981 : un plan de la transformation des techniques de productions et de la promotion des industries des biens intermédiaires.

Voilà ce qui a permis entre autres au Cameroun d’augmenter la capacité d’accueil des hôpitaux publics de 9 960 lits en 1960 à 22 000 lits deux décennies plus tard ; la construction de l’aéroport international de Douala en 1977 et l’extension des aérodromes de Garoua, Yaoundé, Ngaoundéré et l’aménagement des pistes d’atterrissage à Bertoua, Bafoussam, Bali, Batouri ; la création de la Sotuc en 1973, de la Semry, de Chococam, de Cimencam, de Socapalm, de la Cicam, etc., dont la plupart portent encore les ambitions industrielles du Cameroun de Paul Biya; la construction des nouveaux tronçons ferroviaires Mbanga-Kumba et Yaoundé-Ngaoundéré qui porte à 1 174 Km le réseau local.

Quid des grandes réalisations, version Biya. « Riennouveau » comme le pense Dr Vincent Sosthène Fouda ? Sans être aussi tranché, très peu de choses en réalité. Certes, Le temps des réalisations, après l’ère des grandes ambitions, le mensuel édité depuis peu par le cabinet civil de la présidence de la République essaie de donner le change. Sans grandes convictions. Le contenu se résumant pour l’essentiel aux cérémonies protocolaires qu’aux réalisations concrètes promises depuis 1982.

Pour des observateurs avertis, il est évident que l’actuel locataire d’Etoudi n’a pu (su ?) poursuivre les chantiers et réformes lancés par son prédécesseur. Déficit de leadership ? Faiblesses programmatiques ou incapacité à innover ? Peut-être tout ça à la fois. Et qui explique aujourd’hui qu’on nous resserve plus de trente ans après, des concepts éculés qui laissent croire à un grossier plagiat. Ceci explique-t-il cela ?

Frédéric BOUNGOU



Modèle économique: Au nom du libéralisme planifié

Le premier président de la République du Cameroun s’est appuyé sur ce paradigme et le développement autocentré pour faire décoller le pays. Evocation.

Dans une publication du comité central de l’Union nationale camerounaise (Unc) ancêtre du Rassemblement démocratique du peuple camerounais (Rdpc), d’octobre 1982, il est écrit : «Le Cameroun a adopté la planification économique et sociale comme instrument de sa politique. (…)Le concept de libéralisme planifié énoncé par le chef de l’Etat paraît avoir été inspiré par cet état de choses». Selon l’encyclopédie numérique Wikipédia « le libéralisme planifié était le nom de la doctrine économique camerounaise mise en œuvre par le président Ahmadou Ahidjo. Cette doctrine avait pour but de concilier le capitalisme et le socialisme. Elle a été mise en œuvre au Cameroun à partir de 1965, après l'abandon officiel par le pays du socialisme africain jusque vers le milieu des années 1980 et l'accession de Paul Biya au pouvoir. C'est une doctrine fortement interventionniste et nationaliste».

Certains exégètes économiques martèlent que dans le libéralisme planifié, l'Etat définit les axes économiques stratégiques, gère les ressources naturelles et encadre les investissements étrangers pour les diriger dans des secteurs géographiques ou économiques spécifiques. Sans surprise, l’Etat se substitue à une initiative privée supposée défaillante dans certains secteurs, jugés prioritaires par le régime. C’est dans ce sillage que de nombreuses coentreprises ont été établies avec des investisseurs étrangers. La société anonyme des brasseries du Cameroun (Sabc) avec l’apport inestimable du respectable Pierre Castel, Chococam et bien d’autres entreprises de grande envergure sont des exemples édifiants. Pour le professeur Njoya Jean, politologue, enseignant de droit et de science politique à l’Université de Yaoundé II à Soa, «le fond du discours politique d’Ahidjo, bâti autour du libéralisme planifié puise sa rationalité des plans quinquennaux qui ont permis d’amorcer à grands pas l’œuvre de construction nationale».

Qu’on se le dise. Le libéralisme n’aura pas été une panacée pour les nombreux problèmes, surtout économiques que connaît le Cameroun. Il semble que la planification était peu efficiente, si l’on en juge par le coût des emplois créés qui était parfois démesuré dans certains secteurs d’activités économiques. La disparition vers le milieu des années 1980 de cet instrument d'intervention de l'Etat central, via «le plan quinquennal» de développement économique, social et culturel a transformé notre pays en un navire à la dérive, sans boussole. Le Cameroun est devenu un bateau quasiment ivre. Hier les « Grandes ambitions » aujourd’hui les «Grandes réalisations » de Paul Biya, pâle copie des chantiers de son prédécesseur, tardent à voir le jour, parce qu’elles n’ont pas été planifiées avec tout le sérieux qu'il fallait, d’où des nombreux retards accusés dans la mise en route du document de stratégie pour la croissance et l’emploi, rampe de lancement d’un Cameroun émergent en 2035, selon le régime de Yaoundé et ses apparatchiks.


Quid du développement autocentré ?

Selon le politologue Njoya Jean, «C'est un modèle de développement qui accorde la priorité au marché intérieur en refusant la participation à la spécialisation internationale. Ce modèle est implémenté à la base par les populations locales dans la perspective de combler les limites de l’Etat» et de prévenir que «la capacité de l'Etat à se développer de manière autonome marque un point important pour la compréhension de la notion de développement autocentré, ceci justifie le fondement de la logique du programme économique basé sur la l'agriculture dans les années 1970. La mise en place des diverses structures agricoles, industrielles et bancaires tout au long de cette décennie et à divers endroits du territoire camerounais, prouve bien également l'engagement que l'Etat camerounais a opté pour un développement à travers toutes ses propres ressources (matérielles et humaines)».

De ce point de vue, le discours officiel camerounais de cette époque, prône un développement autocentré et un appel contrôlé aux investissements étrangers, résultant de la volonté politique d'un développement endogène qui doit se réaliser «par le peuple et pour le peuple camerounais». C’est dans ce créneau que l'investissement privé camerounais est encouragé dans tous les secteurs car le développement économique doit être endogène et enclencher la mise en œuvre d'un nationalisme économique. Pour d’autres critiques, «la recherche de l'autosuffisance alimentaire et la valorisation des ressources locales - les deux axes sur lesquels le développement autocentré repose -, laissent parfois à désirer, et la revendication d'une économie nationalisée au profit des Camerounais résiste mal à une analyse de l'agriculture et du développement des ressources naturelles et des entreprises».

En tout cas l’histoire a retenu qu’Ahmadou Ahidjo en s’appuyant sur le libéralisme planifié et le développement autocentré a contribué à donner un coup de fouet au décollage du Cameroun. A-t-on seulement consolidé ces acquis ? A voir…

Alain NJIPOU


06/11/2012
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