Côte d’Ivoire : L’AUTRE QUESTION CRUCIALE QUE POSE LA CRISE IVOIRIENNE

Côte d’Ivoire : L’AUTRE QUESTION CRUCIALE QUE POSE LA CRISE IVOIRIENNE

Côte d’Ivoire : L’AUTRE QUESTION CRUCIALE QUE POSE LA CRISE IVOIRIENNE Dans les prises de position qui opposent les uns et les autres sur la crise ivoirienne, finalement, presque tout le monde (en tous cas les Africains non ivoiriens) se positionne plutôt par rapport à Gbagbo que par rapport à Ouattara. Et ceux qui sont « anti-Gbagbo » se retrouvent donc de fait « pro-Ouattara », même si parfois, ils disent se désolidariser des tendances politiques de ce dernier.

Il convient pourtant aussi de se positionner par rapport à Ouattara pour appréhender la situation post-électorale en Côte d’Ivoire dans son ensemble et dans toutes les questions qu’elle pose.

Presque tous les rapports des missions d’observation, mêmes les plus indulgents pour Ouattara, décrivent et dénoncent de nombreuses irrégularités dont les rebelles se sont rendus coupables dans le nord et l’ouest du pays, en faveur de Ouattara. Même la CEDEAO qui endosse aujourd’hui « l’avant-garde » du front anti-Gbagbo, déclarait dans un communiqué le 02 décembre, avant que l’armada diplomatico-médiatique ne se mette en branle, emportant la même CEDEAO dans son sillage :

« La CEDEAO est préoccupée par la montée des tensions qui semble, depuis la tenue du second tour de l’élection présidentielle du 28 novembre 2010, entacher la sérénité dans la finalisation du processus électoral en Côte d’Ivoire. En conséquence, la CEDEAO rappelle que les incidents qui ont perturbé ou empêché les citoyens d’exprimer leur suffrage, notamment dans certaines régions du Nord, sont à condamner fermement et à sanctionner conformément à la loi en vigueur. » Vérifier sur le lien http://news.ecowas.int/presseshow.phpωnb=186&lang=fr&annee=2010
La phrase remarquable : « Sont à condamner fermement et à sanctionner conformément à la loi en vigueur », dit la CEDEAO. Il faut croire que c’est ce qu’a fait le Conseil Constitutionnel.

Alors de deux choses l’une :
Ces irrégularités que personne ne semble contester, même pas certains représentants officiels de M. Ouattara ou bien elles « ne sont pas de nature à remettre en cause la régularité du scrutin ni des résultats » (c’est ce que disent les représentants de Ouattara et la « communauté internationale »), ou bien elles sont de nature à remettre en cause la régularité du scrutin et les résultats (c’est ce qu’a décidé le Conseil constitutionnel ivoirien).

En dehors du contexte bien connu de cette élection, à savoir une élection sous contrôle rebelle dans une partie du pays, un pays déstabilisé depuis presque 10 ans et un président sortant sous pression permanente depuis au moins 8 ans,
Tout devrait d’abord partir de la question suivante, avant de voir plus loin : le fait de la « victoire » de Ouattara proclamée par la Commission Electorale Indépendante ne souffre-t-il vraiment d’aucune contestation, oui ou non ω

Car en effet, ou Ouattara a vraiment et proprement « gagné » ces élections, et on peut épiloguer sur le contexte, les conditions, les accords que M. Gbagbo a lui-même accepté de signer, etc. mais M. Ouattara doit prendre ce pouvoir ; 
ou Ouattara n’a pas vraiment ni proprement « gagné » ces élections – ce que je crois – et il s’agit alors d’une cabale politico-médiatique destinée à écarter du pouvoir un empêcheur de tourner en rond pour y installer un serviteur.

C’est bien par là qu’il faut attaquer l’épisode électoral de la crise ivoirienne qui ne date pas du 28 novembre 2011.

Or les faits nous disent qu’il y a eu de nombreuses irrégularités surtout dans le nord.

Les faits, que l’on ne peut mieux pour apprécier qu’en allant puiser les informations aux sources authentiques, montrent de grossières curiosités. Par exemple, tous les communiqués de presse officiels de la CEI sur le taux de participation (70%) comparé au chiffre officiel de la CEI (81,15 %), montre une différence d’environ 600.000 électeurs en plus, avec 376000 voix d’avance de Ouattara sur Gbagbo. Ces communiqués officiels ne sont pas moins des sources authentiques que la déclaration en 2 min de M. Bakayoko à l’Hôtel du Golf. Il y a donc là un problème évident de chiffres. Au Kamerun, si cela était arrivé du fait de M. Biya, on aurait dit qu’il y a eu traficotage des résultats finaux.

Ces chiffres sont incontestables et vérifiables par qui le souhaite.

D’autres faits, moins numériques, ont également été rapportés, dont notamment le fait d’empêcher certains électeurs de voter. Le résultat est le même que lorsqu’on balade des électeurs entre bureaux de vote jusqu’à la fin du scrutin, comme c’est le cas dans les dictatures du Kamerun ou de la Guinée Equatoriale par exemple.

A-t-on estimé l’impact réel de ces irrégularités sur les résultats proclamés par le président pro-Ouattara d’une « Commission Electorale Indépendante » pro-Ouattara ω Personne, sauf le camp du candidat Gbagbo qui a introduit des recours.

Quelqu’un a-t-il pris ces recours en considération, pour en vérifier la validité et le cas échéant les rejeter ω Personne, en tous cas dans le camp de la « communauté internationale » : la cause était trop entendue en faveur de son favori pour qu’elle se livre encore à cet exercice démocratique élémentaire. Mais le Conseil constitutionnel ivoirien l’a fait, sans aucun doute avec une précipitation dictée par la pression et le rapport de forces inégal du moment. Pour la « communauté internationale », peut-être aurait-il fallu que cette institution fût elle aussi majoritairement pro-rebelle ou pro-opposition, pour rassurer la communauté internationale sur son « impartialité », comme la CEI a manifestement su la rassurer de cette « impartialité ».

Alors que même dans les féroces dictatures africaines, on fait encore semblant d’examiner ces recours pour les rejeter en bloc, en Côte d’Ivoire, cette étape semble être devenue inutile pour la communauté internationale. Et pourtant le contexte électoral, à savoir un pays divisé en deux et en partie sous contrôle militaire des rebelles, devait justement obliger l’ONU, « puissance » certificatrice, à examiner ou faire examiner tout recours introduit afin d’éviter toute contestation future des résultats par l’un ou l’autre candidat. Mais apparemment, certains, dont l’ONU, ont estimé qu’ils avaient tellement bien observé ces élections qu’il n’y avait aucun sens à examiner un seul de ces recours. Prenons acte de la qualité de cette observation. Nul doute que cette expertise sera mise à profit pour les élections prévues prochainement en Afrique.

Sur le principe démocratique, PERSONNE NE PEUT ET NE DOIT « gagner » une élection en usant de tricherie.
Et dans ce sens, le vrai démocrate n’est pas forcément celui qui veut la chute du pouvoir sortant, mais celui qui veut que la vérité des urnes soit respectée.

Si au Kamerun Biya triche pour se donner 80%, une telle « victoire » n’est pas acceptable et doit être fermement dénoncée, quand bien même une élection véritablement démocratique lui aurait donné 52% ou 55%, tout simplement parce qu’en trichant, on ne saura jamais le vrai chiffre qu’il aurait réellement obtenu. De même, si Tartempion de l’opposition devait tricher dans sa région pour se donner une confortable avance en nombre de voix, de tels chiffres doivent être tout aussi fermement dénoncés.

D’où qu’elle vienne, du « pouvoir » ou de « l’opposition », le démocrate doit dénoncer la fraude avant toute chose.

De toute évidence, en Cote d’Ivoire, cette vérité des urnes n’a pas été entièrement respectée dès le 28/11 et pas seulement les 02-03/12 après les proclamations contradictoires de victoire. Mais le fait est passé au second plan.

Alors la question est simple, faut-il accepter une « victoire » provisoire entachée de fraudes, au motif que de toutes façons si on recommence Ouattara gagnerait quand même ω
Ou faut-il s’opposer à la fraude tout court, quelle que soit son ampleur ω
C’est à cette question qu’il faut d’abord répondre, par oui ou par non, avant de condamner le choix du conseil constitutionnel ivoirien et sa cascade d’événements. Car si on estime que ces irrégularités sont négligeables, c’est que quelqu’un d’autre que le Conseil constitutionnel a fait l’exercice de les évaluer et a conclu autrement que le C.C. Si on ne l’a pas fait, contester la décision du C.C., c’est donner un chèque en blanc à un candidat sur base d’une proclamation uniquement fondée sur le calcul des données numériques, sans pondération ni correction sur la validité électorale de ces chiffres.

Par ailleurs, il faut faire la différence entre contester la fraude et vouloir sanctionner un pouvoir sortant. D’ailleurs, dans le cas de la Côte d’Ivoire, le pouvoir en question est relatif : dans les zones où les « irrégularités » ont été plus massives, les partisans de Gbagbo étaient en situation d’opposition.

En répondant par « oui » à la question « Malgré la fraude, Ouattara a quand même gagné », il faudra également dire la même chose lorsque de futurs rapports d’observations dans d’autres pays – et ça arrivera bientôt – concluront aussi que « Malgré quelques irrégularités, le résultat est conforme à l’expression des électeurs ».

Ainsi, c’est aussi cela, l’une des principales leçons qu’il faudra, après coup, tirer de la crise ivoirienne : pour ou contre la fraude, fût-elle minime ω

Si à ce stade du conflit, la question « Gbagbo doit-il accepter le verdict proclamé par la CEI plutôt que se baser sur le verdict proclamé par le Conseil constitutionnel » monopolise le débat, il ne faut pas oublier que la question primordiale est « Peut-on accepter des résultats entachés de fraude, aussi minime fut-elle ω ».

Moïse ESSOH
Citoyen Africain

© Correspondance de : Moïse ESSOH


28/12/2010
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