Côte d'Ivoire,Vers une dédogmatisation du FPI ?: A propos du soutien du parti de Gbagbo à l’intervention française au Mali

Franklin Nyamsi:Camer.be« Or moi, bateau perdu sous les cheveux des anses, Jeté par l'ouragan dans l'éther sans oiseau, Moi dont les Monitors et les voiliers des Hanses N'auraient pas repêché la carcasse ivre d'eau » Arthur Rimbaud, « Le bateau ivre »....Décidément, les jours passent et ne se ressemblent pas en Côte d’Ivoire. Sans cesse, naviguent dans les eaux d’Eburnée des illustrations parfaites du thème du « bateau ivre » de Rimbaud. L’analyste politique qui veille ce pays, dès lors, ne devrait dormir que d’un œil, tellement certains acteurs politiques semblent y avoir acquis tout l’art du caméléon : ils font alors ce qu’ils ne disent pas et disent souvent ce qu’ils ne font pas. Quand vous les cherchez en face, faites gaffe, ils sont derrière. Quand vous les cherchez en haut, les voici en réalité en bas. Quand vous croyez les voir à côté, les voici littéralement au-dedans. Tel semble être l’art de l’ubiquité, capacité fantomale d’être à la fois partout et nulle part, que le FPI de Laurent Gbagbo semble avoir acquis au fil des années dans la politique ivoirienne, tout comme son dernier-né plutôt cafouilleux, le bien solitaire LIDER de Mamadou Koulibaly. Est-ce pour autant qu’on s’habitue aisément aux changements à 360 degrés de l’axe de la politique étrangère dogmatiquement antifrançaise qui, au moins depuis novembre 2004, n’a cessé d’être le cap apparemment donné par le FPI et ses hordes de « patriotes » aux peuples ivoirien et africains ?

On ne peut manquer d’être franchement estomaqué par la dernière contorsion spectaculaire du FPI, dont la direction intérimaire a publié le 13 janvier 2013 passé, un communiqué de soutien à l’intervention militaire de la France au Mali, où des terroristes obscurantistes s’apprêtaient à prendre le territoire dans leurs tenailles de coupeurs de membres, de perceurs d’yeux et de tortionnaires des citoyens épris de liberté. Il importe donc, sans se laisser distraire par ce qui peut n’être qu’un coup de bluff de plus, de se demander si malgré tout nous n’assistons pas, en même temps que s’affaiblit la pensée unique qui réduisait la politique du FPI au destin judiciaire de Laurent Gbagbo à La Haye, à une dé-dogmatisation de l’orientation politique de cette formation de l’opposition ivoirienne. Le FPI veut-il, en même temps qu’il envisage après les aventures infructueuses de son aile armée, son inclusion politique via les municipales et régionales à venir, entreprendre un ferme retour à la politique de négociation et de réformes que clamait son vieux slogan « asseyons-nous et discutons » ? Nous  montrons dans la présente tribune qu’on ne peut répondre suffisamment à ces interrogations sans comparer globalement les positions antérieures du FPI à celle prise le 13 janvier 2013 sur l’intervention française au Mali.  Nous établissons ensuite que les observateurs avertis du FPI savent qu’il n’en est pas, au fond, à son premier grand écart idéologique. Nous examinons enfin les différentes interprétations logiquement envisageables du texte du Communiqué du 13 janvier 2013, véritable manifeste, on le verra, de l’opportunisme politique, dogme suprême du FPI contemporain.

I- Le FPI : de l’anticolonialisme pragmatique à l’anticolonialisme dogmatique

Les positions antérieures du FPI sur les interventions françaises en Afrique peuvent se décrire grosso modo en trois moments : l’anticolonialisme pragmatique des années 80 et 90, le coopérationnisme réaliste des années 98-2000, et l’anticolonialisme dogmatique des années 2002 à 2012.

Au moment de la Fondation du FPI dans les années 80 qui sont aussi celles de l’opposition à Houphouët-Boigny dont le régime sous parti unique du PDCI occupe tous les devants de la scène politique ivoirienne, le FPI esquisse un discours anticolonialiste qui, puisant dans les travaux de Gbagbo sur les attendus émancipatoires de la Conférence de Brazzaville en 1944, dans les relents amères des révoltes du Guébié et de la révolte des Abbey, considère la France comme complice du maître de céans et donc co-responsable naturel du retard démocratique de la Côte d’Ivoire. Mais en esquissant cette critique anticolonialiste, Laurent Gbagbo et le FPI n’en gardèrent pas moins des attaches avec la France politique notamment de gauche, qui leur permit de s’insérer dans la grande famille de l’Internationale Socialiste où ils fournirent leurs carnets d’adresses en vue de la conquête ultérieure du pouvoir d’Etat. Par conséquent, celui qui lit le Programme de gouvernement du FPI[1], publié en 1998 sous le directoire du Professeur Harris Mémèl Fotè ne devrait point s’étonner de l’absence d’une moindre charge de virulence antifrançaise dans ce texte.

A la veille de la prise du pouvoir, dans les années 98-2000, le FPI s’attache  à montrer patte blanche, en affirmant, aux antipodes de son extrême gauche incarnée par les Don Mello et harcelée par les communistes incantatoires tels Gueu Droh , une volonté de responsabilité hébergée par l’expérience de la modération et du réalisme nécessaires à l’assomption des premiers rôles. Débarrassée par un coup d’Etat en Noël 99 de la longue dynastie du PDCI-RDA, la Côte d’Ivoire s’offre encore à la lutte successorale des héritiers d’Houphouët – HKB, ADO, Guéi -  qui précisément en raison de leur confrontation fratricide, ouvriront la voie au quatrième larron pour ainsi dire, Laurent Gbagbo et son FPI. Le discours du FPI envers la France alors gouvernée par les socialistes est fort conciliant, typique du sourire de la mariée effrontée, bien que dans le tumulte des émeutes d’octobre 2000, on ait entendu les militants du FPI prêter confusément à la France le projet de vouloir faire reprendre les « élections calamiteuses » au profit du PDCI-RDA et du RDR. Entre le FPI et la France, le rôle des missi dominici Guy Labertit, Henri Emmanuelli, et bien d’autres passeurs de l’ombre, arrondira globalement les angles jusqu’au déclenchement de la rébellion du MPCI de Guillaume Soro en 2002 contre les politiques et pratiques d’exclusion aggravées par le FPI.

Nous rentrons alors dans l’ère de la haine antifrançaise furieuse, cet anticolonialisme dogmatique[2] des années 2002 à 2012, car n’ayant pas obtenu que les armées françaises volent à son secours contre les Ivoiriens rebellés du MPCI, le pouvoir FPI de Gbagbo attribue leur paternité à la France et s’installe résolument dans le rôle symbolique du caillou dans la chaussure française en Afrique francophone. Les Accords de Linas-Marcoussis en 2003 qui rétablissent en réalité le véritable équilibre politique de la Côte d’Ivoire en attribuant plus de portefeuilles à l’opposition – exclue par les présidentielles d’octobre 2000 – vont être lus comme la prolongation de la rébellion par le coup d’Etat juridique de la France contre un pouvoir Gbagbo qui s’efforce depuis lors d’oublier le déni de légitimité et le mépris de la démocratie qui présidèrent à son avènement en octobre 2000, au détriment d’un Général Guéi roulé dans la farine et des forces principales de la politique ivoirienne rassemblées dans le RDR et le PDCI-RDA. Dès lors, les pancartes des manifestants frontistes relaient la haine antifrançaise distillée par les médias officiels, où soudain l’on redécouvre le sens du combat des Sankara, Lumumba, Um Nyobé, Amilcar Cabral et autres héros révolutionnaires africains : « A chaque Ivoirien son Français » ; « Armée Française, dehors ! » ; « On veut la Chine ! » ; « Gbagbo n’est pas le préfet de la France », etc. Tels sont entre autres les maximes qui deviennent les piliers de la doctrine prospère du complot de la mauvaise et jalouse France contre le bon et héroïque Gbagbo qui aurait voulu renégocier les intérêts de l’ex-puissance coloniale dans le pays. Elles conduisent à des meurtres spectaculaires de Français et notamment à l’attaque militaire antifrançaise de 2004 à Bouaké, où l’Opération Dignité de Laurent Gbagbo essuie une cuisante déconvenue. Divorce avec la France ? Non.

Car la réalité est toute autre . En dix  années de séjour à la tête de la Côte d’Ivoire, Gbagbo, croyant ainsi couper l’herbe sous les pieds de ses adversaires politiques, assurera aux intérêts français les meilleures conditions de prospérité : Total, Bolloré, Bouygues et bien d’autres, voire jusqu’à un Président Français qui aurait bénéficié de l’aide électorale de Gbagbo, se portent bien en Côte d’Ivoire alors que la rue instrumentalisée par le FPI les croit au bord de l’expulsion du pays. Tel est au fond l’anticolonialisme dogmatique : la pratique exacte du contraire de son énoncé, l’excitation de l’ignorance et de la haine comme uniques fonds de solidarisation politique des Africains, au grand mépris de l’espérance démocratique exprimée par les peuples et les individus modernes. Par conséquent, il faut donc résolument nous pencher, au regard des contorsions politiques auxquelles le FPI nous aura habitués, sur la nature de son nouveau numéro de strip-tease[3] politique à la France. Quand la fille FPI danse, les prétendants n’ont-ils pas tout intérêt à se demander d’abord pour qui avant de la rejoindre sur piste ? N’est-ce pas cette France qui fut présentée par le FPI sur tous les tabloïds du monde depuis 2002 comme la plaie purulente de l’Afrique ? N’est-ce pas elle qui fut trente six mille fois appelée par les cadres du FPI à quitter leur pays alors même qu’à l’Assemblée Nationale nul n’osait voter la moindre loi en ce sens ? N’est-ce pas cette France qu’on servit comme alibi aux opinions africaines, excitant des foules entières, tels ces malheureux Camerounais incapables de se solidariser contre le dictateur Biya qui trouvèrent toutefois la force de marcher pour sauver le soldat Gbagbo à Douala en 2011 ? Que disent-ils donc, nos anticolonialistes dogmatiques des nébuleuses de la diaspora africaine, devant la jolie passe du FPI à la puissance tutélaire française  ce 13 janvier 2013 ? Prudents, ils brillent par leur silence. Pourtant, le Communiqué du FPI est encore plus bavard qu’il n’y paraît. Voyons !

II- Des significations possibles du Communiqué du FPI du 13 janvier 2013

Avec le FPI, il faut résolument penser par hypothèses et s’en tenir à la prudence de Bachelard qui nous prévient qu’il y a deux erreurs en science : « Evoquer le mystère ou croire qu’on a trouvé ». Car soit le FPI ne sait plus où il va et dans cette hypothèse il est autant dangereux pour ses propres militants que pour la Côte d’Ivoire, l’aveugle ne pouvant guider les siens en relief de précipices ; soit le FPI sait où il va et dans ce cas, il exige vigilance car bien souvent, l’expérience a montré que s’il ne sait pas toujours pas gouverner, le FPI sait au moins comment parvenir au pouvoir et ne tient pas à se départir de cette compétence cruciale en politique. Formons donc résolument nos hypothèses, en allant des pensées affichées aux inévitables arrières pensées de ce parti, auquel on peut reprocher l’absence de vision humaniste, mais surtout pas l’incapacité de penser stratégiquement.

On peut donc imaginer que la lutte contre l’obscurantisme islamiste au Nord-Mali soit la raison évidente du soutien du FPI à l’intervention française. L’amour excessif des chauvins du FPI pour les Maliens ou les Burkinabé n’est pas, loin s’en faut, la cause de cette solidarité tapageuse. Soyons toujours bienveillants dans l’interprétation. Certes, le FPI, parti plutôt laïc, n’a aucun intérêt à voir des islamistes armés au Nord de la Côte d’Ivoire. Mais n’y a-t-il que la puissance française au monde ? Mais diantre, où sont passées les nombreuses allusions à la Russie, à la Chine, à l’Afrique du Sud, à l’Angola, supposés être les partenaires stratégiques naturels du FPI dernière génération ? Ne sont-ce pas eux que les frontistes nous brandissaient en 2011 comme les remparts ultimes contre l’impérialisme français ? Nous ne nous laisserons donc pas berner par une trop bienveillante imagination envers les bons sentiments supposés du FPI. Le FPI, qui n’a que des intérêts comme tout animal politique qui se respecte, n’aime pas soudain la France. Il se résout manifestement à faire avec elle, après avoir échoué à s’en débarrasser.

Il faut donc passer à d’autres hypothèses. L’inflexion manifeste de la diplomatie française du FPI depuis la visite de Pascal Miaka Oureto et ses amis à l’Elysée en fin 2012, s’expliquerait manifestement par d’autres éléments peu favorables dans la conjoncture 2013 à son anticolonialisme dogmatique des années 2002-2012. Citons-en les plus décisifs à nos yeux : 1) l’échec – provisoire ? -  de l’insurrection armée de l’aile extrémiste de la Refondation ;2) l’essoufflement des bases du FPI par la longue résistance entamée depuis la campagne électorale 2010 et longtemps avant, contre la perte du pouvoir par les Gbagbo ;3) le constat de la cohérence et de la continuité de la politique ivoirienne de la France malgré l’alternance politique entre la gauche et la droite ; 4)l’alignement de toutes les grandes puissances mondiales derrière l’intervention française au Mali, y compris les grandes puissances militaires de l’Union Africaine, telles le Nigéria et l’Afrique du Sud ; 5)la concurrence déloyale du LIDER qui semble se positionner à l’approche des prochaines municipales/régionales comme une opposition radicale dans le discours, mais non-armée et très réaliste dans la pratique ;6) l’usure manifeste du thème de la haine de l’Etranger en Côte d’Ivoire, en raison des tragédies collectives dont ce thème s’avère décidément porteur pour ce pays ; 7) L’éloignement de plus en plus tangible de l’épée de Damoclès d’une libération de Gbagbo sur la tête du FPI, etc.  Ne sont-ce pas là les vraies raisons des nouvelles amours françaises du FPI ?

Qu’il me soit donc permis de conclure ce voyage dans le « bateau ivre » de la Refondation. Je dirai volontiers qu’il n’est pas certain que nous en soyons à la dernière volte-face diplomatique du FPI sur la présence française en Afrique. Il importera toujours de garder vivante à l’esprit la clairvoyance du phénomène d’opportunisme politique que voici : avant d’arriver au pouvoir, dans les années 80-90, le FPI s’est lové sous l’aile protectrice d’une partie de la gauche socialiste française à travers l’Internationale socialiste ; en dix années de pouvoir, le FPI aura tour à tour bénéficié de l’indulgence des socialistes français pour accéder de façon calamiteuse au pouvoir en octobre 2000 ; sollicité l’intervention militaire française en 2002 quand des Ivoiriens du MPCI, exclus, se sont rebellés contre son régime illégitime ; le FPI aura alors condamné la complaisance de la France envers les rebelles et identifié leurs intérêts à ceux de l’Hexagone ; sloganisé dès 2002 l’appel au départ des troupes françaises de Côte d’Ivoire tout en se gardant de voter ou décréter le moindre départ de ces troupes ; le FPI aura attaqué militairement l’armée française à Bouaké en 2004 et organisé au détriment des troupes françaises les conditions du carnage de l’Hôtel Ivoire avant d’essuyer de sévères représailles militaires ; le FPI aura orchestré la haine de la France en thème de campagne majeur dans l’élection présidentielle 2010 tout en s’appuyant sur les sondages de sociétés françaises et les recommandations de conseillers politiques français pour battre campagne ; le FPI aura organisé sous auspices antifrançaises sa campagne européenne de libération de Laurent Gbagbo de sa prison de la Haye tout en sollicitant de nouveau la médiation de l’Elysée dans le conflit ivoiro-ivoirien ; de 2010 à nos jours, le FPI aura demandé par moult déclarations le départ des armées françaises d’Afrique et soudain félicité l’armée française en 2012 pour son intervention salvatrice au Mali…Vertigineuse logique, me direz-vous, lecteurs et lectrices ? Je vous répondrai avec conviction : cela s’appelle de l’opportunisme, Mesdames et Messieurs. Loin de se dé-dogmatiser, le FPI confirme donc sa marque de fabrique indécrottable, « la boulangerie politique. » Or en ces matières-là, tout bon flatteur ne vit qu’aux dépens de celui qui l’écoute, comme le renard l’apprit au corbeau, dans la Fable de La Fontaine…

[1] Fonder une nation africaine démocratique et socialiste en Côte d’Ivoire, Paris,L’Harmattan, 1998. Voir notamment la conclusion du texte, où sous le motif du principe de nationalité, « l’indépendance par rapport à l’étranger » est évoquée, en même temps que la « prévention contre le chauvinisme et l’expansionnisme », p.97

[2] Voir Franklin Nyamsi & Alexis Dieth, Pour un anticolonialisme critique…, Abidjan, Balafons, 2012.

[3] Voir par exemple l’article « Offensive diplomatique du FPI en France », http://koaci.com/articles-78811

Une tribune internationale de Franklin Nyamsi, Agrégé de philosophie, Paris, France.

© Correspondance : Franklin Nyamsi, Agrégé de philosophie, Paris, France


16/01/2013
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