Côte d'Ivoire: Nationalisme et souveraineté comme alibis des autocraties obscurantistes

Côte d'Ivoire: Nationalisme et souveraineté comme alibis des autocraties obscurantistes

Shanda Tonme:Camer.beLe 05 Décembre 2010, monsieur Laurent Gbagbo, président en exercice de la République de Côte d’Ivoire et candidat à sa propre succession, a prêté serment à la hâte dans le palais présidentiel, à l’issue du deuxième tour de l’élection qui l’opposait à monsieur Alassane Dramane Ouattara, candidat de la coalition de l’opposition proclamé vainqueur selon les résultats provisoires de la commission électorale indépendante (54,1% contre 45,9%). Cette élection est intervenue après dix années de crise qui a profondément divisé le pays.C’est dans un contexte de désespoir face à l’échec de tous les accords de paix signés mais jamais appliqués,  que les nations unies ont pris le relais.

D’ultimes négociations en Afrique du sud sous l’égide de l’ONU et de l’UA, ont ainsi permit  de parvenir à un consensus sur un calendrier de sortie de crise accepté par toutes les parties. L’accord prévoyait le stationnement des forces d’interposition, la création et le financement intégral des conditions devant mener à un processus électoral transparent, démocratique et incontestable, exactement comme au Timor oriental et au Kosovo.

Dans cette optique, la quasi-totalité du processus électoral, du recensement et de l’indentification des électeurs à la confection du matériel électoral, la détermination du nombre des bureaux de vote, le déroulement des élections proprement dites jusqu’au dépouillement et à la validation des résultats, était soumise à la certification de la mission onusienne sur place et dirigée par un haut représentant spécial de l’organisation spécialement nommé.  En clair, c’est à l’ONU qu’il revenait de dire en définitive, qui est élu en attestant de la conformité, de la régularité, de la légalité et de la légitimité des faits électoraux. En somme, et sans que les institutions nationales cessent de fonctionner, le mécanisme spécial conçu et appliqué par l’ONU s’était substitué à l’autorité étatique pour la circonstance, créant une situation objective non plus seulement de simple supervision, mais réellement de tutelle. Il importe de rappeler que c’est au titre du chapitre VII de la charte relatif au maintien de la paix et de la sécurité internationale, que les forces de maintien de la paix ont été déployées. C’est donc le conseil de sécurité, avec l’accord du gouvernement et de toutes les parties en conflit, qui a décide de l’opération et a naturellement chargé la Secrétaire général de la mise en œuvre. Dans le cas d’espèce, l’ONUCI (Opération des Nations Unies en Côte d’Ivoire) avait régulièrement reçu l’assentiment du régime de Laurent Gbagbo. Plus de 20.000 hommes, civils, militaires et policiers ont été déployés et plus de dix milliards de dollars ont été investis.

A – Substance juridique et signification politique des notions et des concepts

Le paradoxe est saisissant, lorsqu’un dirigeant étatique après avoir consciemment soumis son pays à la dépendance vis-à-vis des institutions internationales et des gouvernements étrangers, se retourne après pour clamer son nationalisme et tenter de faire prévaloir sa souveraineté dans le but de se soustraire à ses engagements. Si la notion de souveraineté est cardinale dans le droit international positif et constitue à ce titre une des références intouchables des relations internationales, le nationalisme quant à lui demeure très relatif, enveloppé d’un flou politique teinté de subjectivisme idéologique et d’enjeux indéchiffrables.  De tout temps, une véritable bataille étymologique, s’apparentant à l’occasion à de la confusion sémantique, a marqué le recours à diverses notions et concepts dans la pratique diplomatique. Les concepts d’intérêts nationaux, d’indépendance nationale, de souveraineté nationale, de droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, de droit à l’autodétermination, et de plénitude de compétence, ont été manipulés à souhait, travestis au gré des objectifs de circonstance.

Dans la réalité, la souveraineté nationale traduit d’avantage l’affirmation et la reconnaissance identitaire d’une entité étatique spécifique, plutôt que la désignation sectaire d’un pouvoir quelconque. Le concept ne signifie point une manifestation de défi par rapport aux grands principes du droit des gens ni une contradiction avec l’esprit de justice et de sécurité collective. C’est surtout aux jeunes Etats que l’on doit l’usage abusif et parfois maladroit, de ces concepts. Les proclamations et de démonstrations répétitives sont liées à  leur sentiment d’insécurité et d’infériorité qui induit un besoin constant de réaffirmation d’existence sur la scène internationale, de même que le souci de se distinguer de leur ancien statut de colonisés et d’oppressés. On trouve ici la raison d’un encombrement certain dans les discours diplomatiques. Certes, au regard de la division idéologique du monde d’antan et des situations de domination explicite ou implicite des blocs constitués autour des deux pôles antagonistes, il était de bon ton pour quelques Etats, de rappeler, même pour la forme comme ce fut toujours le cas des pays soit disant non alignés, son indépendance.

Il y a donc au départ, une réalité des préceptes théoriques fondamentaux du droit international, et à côté l’émulation politique d’une philosophie de développement axée sur la défense effective des intérêts nationaux. L’histoire diplomatique livre à ce propos, un champ très fertile pour l’étude des nationalismes et leur impact dans la survenance des guerres, la construction des accords de paix, et l’articulation des systèmes internes. Il n’y a pas de continent qui n’ait pas fait l’expérience des mouvements nationalistes qui à chaque fois, et selon la gestion qui en a été faite, ont configuré des espaces immenses et dessiné les contours de la coexistence entre les peuples.
Toutefois, et c’est le point important, il ne saurait être question de couronner tous les nationalismes de positivité politique. Il y a eu et il y a encore des nationalismes révolutionnaires et progressistes d’une part, et des nationalismes réactionnaires et conservateurs d’autre part. Le national socialisme d’Adolphe Hitler fut un nationalisme ravageur aux conséquences dramatiques pour l’humanité. Il en va différemment du nationalisme bolivarien ou du nationalisme des treize colonies britanniques d’Amérique du Nord dont l’expression fut à la base de la formation des Etats Unis d’Amérique. Plus proche de nous et plus proche du temps, les nationalismes des anciennes colonies d’Afrique, dont on sait qu’ils sont nés dans la douleur et ont forgé une identité politique appuyée sur de la confusion idéologique. La différence avec les autres nationalismes est importante. Alors qu’en Europe les nationalismes se sont consacrés aux conquêtes territoriales et à la revendication subséquente des aires géographiques, en Afrique ils ont d’abord signifié aspiration à la dignité, à l’autonomie de gestion et à la reconnaissance internationale. Dans le premier cas, il s’agit de mouvements populaires combattant une usurpation ou aspirant à l’extension territoriale, pendant que dans le deuxième cas nous sommes en présence de peuples à qui il est dénié les droits élémentaires et qui sont traités sournoisement comme des incapables mentaux, des éternels grands enfants.

Mais très vite, l’évolution du monde, la modernisation des relations internationales, l’enrichissement normatif de la coopération entre les Etats et l’érection consensuel des principes généraux de la coexistence pacifique entre les peuples, ont entraîné le dépassement des formes rétrogrades de l’utilisation des notions et des concepts.

B – La révolution normative, annihilation des conservatismes, et éviction des charlatanismes politiques

Le discours de Laurent Gbagbo met en exergue un vieux modèle de manipulation politique dont les implications attentatoires à l’intégrité des grands principes, ont contraint le droit international à des dépassements normatifs éloquents. Les vieilles démocraties avaient déjà perçu dans les dangers derrière les nationalismes profanateurs des règles de bon sens. Les lendemains de la création de l’ONU se sont traduits par la formidable émulation des droits et des libertés qui ont sanctionné l’arbitrage sur de nombreux conflits et généré une indépendance effective pour plusieurs peuples. Dès lors, tout ce que les Etats nations ont eu en souci, c’était de rechercher par toutes les voies et par tous les moyens, des cadres de référence pour parfaire au fur et à mesure leurs relations de coopération.

Les nationalismes exprimées à l’ancienne, n’ont donc plus eu de raison de prévaloir sur les principes, pour autant qu’il était loisible pour les peuples de se pourvoir devant moult instances afin de faire entendre leur cause. C’est dans l’optique d’une tentative de justifier l’obscurantisme, la dictature et le déni de justice, que des régimes anti démocratiques ont continué de mettre en avant, des prétentions nationales là où il leur était demandé tout simplement de satisfaire à leurs obligations conventionnelles et morales.
Le cas de Laurent Gbagbo illumine avec une étonnante transparence les turpitudes infantiles et malhonnêtes d’un responsable politique moulé dans les travers chroniques de la ruse improductive, de la tromperie, et de l’anachronisme idéologique. Rendu au stade du choix entre la vérité de la légitimité populaire et la condescendance d’une légalité tronquée et maquillée d’indignités barbares, celui que l’on désigne comme professeur d’histoire de métier, a choisi la solution du pire.

C’est justement pour contrecarrer les courants sataniques apparus dans cette forme de nationalisme exiguë et criminogène, que le droit international a évolué vers la restriction implicite de « la plénitude de compétence » de l’Etat, en intronisant de fait, le droit d’ingérence humanitaire d’une part, et le mécanisme juridique ayant abouti à la création de la Cour pénale internationale. C’est d’ailleurs une extension du principe interne de l’obligation d’assistance à personne en danger, mais cette fois projeté sur un peuple. En réalité, les conventions internationales, s’inspirant sur les nombreux préceptes moraux contenus dans la charte de l’ONU, ont peu à peu réduit sinon relativisé considérablement l’impunité des Etats. Le fait pour un chef d’Etat de refuser la prise en considération des suffrages de plus de 13% des citoyens désignés ethniquement et localisés régionalement, est susceptible de validation dans la constitution des preuves éventuelles d’intention de génocide. Il s’agit incontestablement d’un acte de discrimination systématique montrant que cet ancien chef d’Etat est disposé et était disposé longtemps avant les élections, à œuvrer  pour la disparition pure et simple des citoyens Dioulas et Sénoufos du nord du pays.
Gbagbo n’inaugure sans doute pas la république des exclusions, mais il magnifie à l’extrême, le destin contemporain d’une volonté de domination d’un peuple identitaire sur un autre en plantant définitivement, la négation de toute valeur de société multiculturelle et pluriethnique. L’homme ne craint pas d’étaler au grand jour, un instinct animal de pouvoir barbare. Dans cette lancée, il sacrifie volontiers le seul réflexe de survie d’une nation susceptible de jaillir d’un probable discours d’humilité du vaincu, de rassemblement, de pardon et de réconciliation. Comme il s’est vu ailleurs et comme il se voit et se pratique ailleurs, il ne craint pas d’instaurer un régime familial, une république clanique exsangue où son épouse, ses enfants, quelques comparses et lui, dictent, tiennent la caisse, sanctionnent, condamnent et mettent à mort. La république, l’Etat, les Assemblées, tout cela c’est eux. Les autres au diable. Le Cameroun avait failli faire l’amer expérience lorsque au plus fort des villes mortes décrétées par l’opposition en 1991, le président du pays déclarait :  « lorsque Yaoundé ( la capitale considérée comme sa région ethnique) respire, le Cameroun vit ».

Dans ces conditions, la déclaration du haut représentant de l’ONU sur place, menaçant de faire usage de ses dix mille hommes « bien armés » pour protéger les populations, exprime la prééminence du droit et du devoir d’intervention et de protection humanitaire, sur toute autre prétention ou préférence nationale. Cette position est en conformité avec l’évolution récente du droit international et de la pratique diplomatique, laquelle a conféré aux institutions du maintien de la paix et de la sécurité internationale dans les champs de conflits mineurs ou de guerre civile larvée, des larges pouvoirs d’appréciation, de jugement, d’évaluation, de gestion et de prise en charge.

C - Nationalisme ou infantilisme ? Le dilemme des immaturités politiques

Le complexe permanent et peut-être chronique du colonisé, a développé chez certains Africains particulièrement, un réflexe bouleversant d’insatisfaction cruelle. Chez ceux qui ont conquis quelques lauriers du savoir et de la connaissance scientifique, il s’est souvent installé un sentiment de trahison divine par l’histoire. Les élites africaines instruites sont devenues encore plus dangereux pour eux-mêmes et pour leur société, que tous les impérialismes venus de l’extérieur. Le comportement de Laurent Gbagbo se situe irrémédiablement dans la logique d’universitaires attardés dans les dédales du discours insensé d’accusation quotidienne des blancs et des occidentaux devenus la cause et la source de tous nos échecs. Sans considération ni de temps ni de moyens ni même de sujets, on croit dans cette religion de pestiférés de l’intelligence, que les peuples sont toujours prêts à vibrer à l’anticolonialisme et à suivre tous les charlatans du nationalisme à condition que la France, les Etats Unis ou l’Europe soit pointé du doigt, vilipendé, et traité de tous les noms de crime.

Le tort de cette espèce pitoyable de manipulateur politique, c’est de ne jamais prendre en considération le réveil possible des peuples, le soulèvement lent mais certain des citoyens, et l’influence des inventions dans la communication. Si Ahmed Sékou Touré pouvait faire vibrer des ventres affamés au son de l’anticolonialisme en remplissant les placards de cadavres d’innocents, il n’est plus possible aujourd’hui de se livrer à un tel jeu de mauvais goût comme semble le croire monsieur Gbagbo, sans payer un prix élevé.

Ce qui est en cause, c’est la capacité des élites devenues acteurs politiques, à transcender les tentations de la tromperie et d’un populisme de mensonge improductif, pour assoir des doctrines de transformation sociale fondées sur l’alternance au sommet de l’Etat, sur la transparence dans la gestion des affaires publiques, et sur le respect de leurs obligations internationales. Gbagbo est arrivé au pouvoir en brandissant le poing du militant anti colonialiste et en faisant vibrer les cordes nationalistes, il se retrouve en train de contredire toutes les valeurs morales et tous les dogmes des théoriciens des indépendances, pour le seul souci de confiscation du pouvoir.

Il faut rappeler, et c’est plus qu’utile, la simple vérité selon laquelle, sans l’extrapolation d’une mentalité d’exclusion, nul n’aurait entendu de coup de feu en Côte d’Ivoire ni connu le règne décennal d’un proconsul des Nations Unies. Le nationalisme vécu alors comme la consécration de l’exclusion serait-elle le choix de ces hordes d’incompétents qui interprète les chants de la mort et du génocide, comme des victoires sur le colonialisme et l’impérialisme ? Le Rwanda n’a pas encore fini de hanter nos mémoires et consciences que l’on est surpris de trouver des intellectuels de petite semaine soutenir un despote qui ne fait pas mieux que ceux des décennies passées. En fait, il ne s’agit point d’infantilisme ni d’obscurantisme, il s’agit d’une école du crime construite par les pourvoyeurs en cadavres, des nombreux cimetières qui parsèment le continent. Eyadema se savait condamné et rejeté pour l’assassinat de Sylvanus Olympio et chantait l’authenticité, de même que Mobutu qui ne fut jamais en paix avec lui-même et avec son peuple pour l’assassinat de Lumumba, s’empressa d’embrasser l’idéologie éphémère des nationalismes et des authenticités débridés. La clé de la méconduite chez tous ces dictateurs dont Laurent Gbagbo se révèle un fidèle apôtre, est le nombre de cadavres qui encombre ses placards. Nos amis « les patriotes » d’Abidjan sont dorénavant comptables devant l’humanité africaine, de meurtres en série et d’exécutions sommaires jamais résolus.

Le nationalisme de cette coloration diabolique mène donc à tout, et il faut prendre le recul pour comprendre le niveau de déception du potentat. Dès 2008, le piteux historien a avait commandé à coup de milliards volés aux pauvres planteurs de cacao, des sondages pour convaincre ses citoyens de sa prééminence absolue. Le but réel était de forcer par des chiffres travaillés, les gens à avaliser l’idée selon laquelle Ouattara serait dans tous les cas en troisième position seulement, de manière à l’éliminer d’office du deuxième tour. Gbagbo a toujours su qu’il ne gagnerait pas contre l’ancien Directeur Général adjoint du FMI au deuxième tour, mais a cherché à jouer des montages ethniques pour anticiper sur les comportements et les chiffres. Et parce que son camp croyait fermement que le complot dans ce sens passerait dans le peuple,  la surprise a été totale d’assister un report des voix presque sans faute dans le camp des houphouétistes. Les milliards auront été dépensés à pure perte, tout comme le bataillon d’experts venus à la rescousse depuis les pays étrangers.

Laurent attise la flamme de l’anti colonialisme et se fait le roi du nouveau nationalisme pour emporter l’adhésion d’une jeunesse naïve à travers le continent. Pourtant, la presse française révèle aujourd’hui jusqu’aux noms des experts français du parti socialiste qui ont mené sa campagne. Un mois avant l’élection, c’est le plus proche conseiller de Sarkozy, l’influent Secrétaire Général de l’Elysée Claude Guéant, qui a débarqué avec un avion spécial, pour aider le président à faire bonne mine, et les deux ont procédé à l’inauguration du Lycée français entièrement refait, aux frais de l’Etat ivoirien. Puis, ce fut le tour du très médiatique Jack Lang, socialiste français, à venir étaler toute l’amitié de petits copains de l’international socialiste avec Gbagbo et son parti. Il a donc fait mieux, nageant dans toutes les eaux de la francafrique des deux côtés, des deux rives, droite et gauche. Comment peut-il raisonnablement tromper quelques imbéciles sentimentaux aujourd’hui ? Pire, ceux qui l’ont sauvé dans les moments les plus difficiles à l’instar de l’autre Compaoré qui traîne le sang de Sankara sur les mains ou du vieux de Dakar qui n’est pas mieux, sont voués aux gémonies, traités de pyromanes et d’étrangers.

D – Du strict formalisme des principes juridiques à la profonde interrogation sur le destin du continent

Le rappel vaut sans doute la peine, s’agissant des libertés que les Africains ont tendance à prendre avec les grands principes. La crise ivoirienne a mis une fois de plus en exergue, le laxisme avec lequel, les médias y compris les plus respectés du continent ont tendance à traiter des sujets délicats. Au Cameroun, de parfaits incompétents dans la matière du droit international, des sciences politiques et des relations internationales, ont envahi les colonnes de plusieurs journaux pour distiller des avis de conformité sur la légitimité « irréprochable » de Laurent Gbagbo. Des commentaires argumentés de façon douteuse et infirmes, ont pis le pas sur des avis d’expert qu’il était pourtant facile de solliciter. Malheureusement, dans des sociétés où la recherche effrénée de la gloire, la préférence ethnique et le souci de favoriser la visibilité de quelques opportunistes priment sur le professionnalisme des médias et la volonté d’informer, les cancres et les experts aux parchemins approximatifs sont les vedettes de ces occasions de crise.

Les enjeux sont pourtant simples : La Côte d’Ivoire est-elle un Etat membre de l’ONU ? La Côte d’Ivoire avait-elle approuvé la résolution du Conseil de sécurité sur la constitution d’une force de maintien de la paix et d’opération sur son territoire ? Laurent Gbagbo a-t-il signé les accords relatifs au processus de sortie de crise dans son pays ? Les accords prévoyaient-ils la certification des résultats par le haut représentant de l’ONU ? La pratique onusienne de prise en charge des situations de crise pour l’ordonnancement et la supervision du processus de paix est-elle conforme au droit international ? La souveraineté des Etats prime-t-elle sur les accords signés dans le contexte des efforts de paix lorsqu’il s’agit de mettre fin à une guerre civile, de la prévenir ou de maîtriser ses conséquences ?

Il suffit de formuler des réponses adéquates à ces questions pour réaliser la mauvaise foi de monsieur Laurent Gbagbo.

Au-delà du droit, l’image d’un individu froissant les procès verbaux des élections au moment où le président de la Commission électorale indépendante s’apprêtait à les rendre public devant un parterre de journalistes et des cameras de télévision du monde entier, est le témoignage le plus dommageable et le plus dégradant de l’Afrique. S’il est des images qui e quittent jamais l’histoire et qui achèvent de condamner un peuple, celle là en est une des plus éloquentes. L’Afrique a trop vécu d’excuses et d’extases pour que le reste du monde continue à lui faire crédit et à tolérer ses mille dérapages. Il en va même de notre capacité à demeurer des composantes de l’espèce humaine, lorsque l’on réalise à quel point nous sommes non seulement à la traîne de l’évolution, mais surtout volontairement cupide, ignorant et malhonnêtes. Le représentant permanent de la Côte d’Ivoire à l’ONU, qualifié par ailleurs de conseiller diplomatique du président, a cru sonner une autre corde sentimentale en déclarant que l’ONU ne contrôlait les élections qu’en Afrique. Ce supposé expert des questions onusiennes oubliait à dessein ou d’ignorance calculée, les précédents des Timor et du Kosovo. La notion fondamentale de tutelle lui a donc échappé, et l’on devrait avoir honte de comprendre ainsi, que ce monsieur est si haut placé et si hautement complimenté dans la hiérarchie internationale de son pays.

La crise ivoirienne dévoile un autre pan du mal d’un continent livré aux charlatans et aux fous des systèmes de mauvaise gouvernance. La précaution élémentaire consistant à vérifier le niveau d’utilité diplomatique, n’existe pas chez nombre de dirigeants qui abordent les crises comme un banal phénomène familial. La société civile qui aurait du prendre le pas et s’installer dans le rôle de conseil et de contre poids logique, a viré dans un militantisme typiquement alimentaire. La paresse, la tricherie et l’imposture ont fait le reste. Il a suffit de demander à un ardent défenseur de monsieur Gbagbo s’il trouvait convenable qu’une partie du pays soit privée d’expression de vote et par conséquent de comptabilité dans la formation du suffrage national, pour qu’il se ravive et dénonce à son tour les risques de génocide.

En soutenant les thèses de Laurent Gbagbo, il pourrait être loisible dans un pays comme le Cameroun, de traiter les habitants du sud du pays de gabonais ou d’équato guinéens, de traiter ceux de l’extrême nord de tchadiens, et ceux de l’Est de centrafricains. Le procédé de l’ivoirité recèle le danger d’un rejet mal intentionné dans tous les contextes nationaux pour des raisons de gestion malhonnête du pouvoir politique. Lors de la création du principal parti d’opposition camerounais en 1990, le discours officiel avait traité les marcheurs de nigérians, allant jusqu’à profaner la mémoire des six victimes laissés sur le carreau. Mongo Béti ne se trompa point lorsqu’il traita Laurent Gbagbo qu’il avait connu, fréquenté et soutenu, de « pire déception » pour son discours d’exclusion ethnique. La réalité saute aux yeux que dans aucun pays africain aujourd’hui, il n’est plu possible de fonder une démarche politique cohérente et un projet de société sur des équations identitaires. Notre propos n’es pas de nier les réalités identitaires, d’autant plus que leur prévalence dans les discours politiques sont proportionnels au niveau d’émancipation et d’éveil des populations d’une part et de la conception maladive du pouvoir par les élites d’autre part. Nous avons l’ambition de revendiquer et de recommander aux aspirants à la consécration politique, l’honnêteté dans les propositions et programmes. Si l’art de privilégier le régionalisme devait se situer au centrer de la planification politique, alors il vaudrait mieux de privilégier le système fédéral pour une répartition équitable des richesses su sol et du sous sol, et pour une gestion décentralisée du pouvoir.

Le concept d’expansion de l’ivoirité n’a jamais signifié autre chose que l’exclusion définitive et permanente des ressortissants du nord de la Côte d’Ivoire (Dioulas et Sénoufos) de la gestion du pouvoir suprême à Abidjan. Gbagbo se situe dans cette logique, celle du choix cruel d’une partition de fait du pays voire d’une perdition, au lieu qu’un homme s’installe aux commandes. Cette attitude est malheureusement répandue dans plusieurs pays africains où une ethnie semble dominante. Il est courant dans le cas du Cameroun d’entendre des personnes influentes de la société y compris des leaders d’opinion respectés et des intellectuels, soutenir qu’elles n’accepteraient jamais que les Bamilékés qui sont déjà très nombreux, dominant dans l’économie et les affaires, dominant dans les professions libérales et dominant dans les universités, s’emparent du pouvoir d’Etat. Ce discours va jusqu’à la promesse de la guerre et génère les discriminations les plus insoutenables dont sont victimes en réalité, non pas seulement les ethnies ou l’ethnie cible, mais les citoyens de toutes les régions et de toutes les ethnies. L’impact sur l’évolution et la modernisation du pays est des plus catastrophiques, aboutissant à détruire toutes les valeurs de compétence et de mérite, et à privilégier le subjectivisme et la corruption dans tous les actes civils et politiques, dans toutes les planifications. Une disposition de la constitution de 1996 pourtant fruit des plus intellectuels sensés être les meilleurs juristes du pays, a même crée une fracture dans le principe de la citoyenneté, fragmentant celle-ci. Au terme de cette disposition dorénavant comparable à la politique des bantoustans sous les cieux du régime d’apartheid en Afrique du sud, un camerounais n’a plus les mêmes droits partout dans le pays. Le citoyen camerounais originaire d’une région ne peut pas prétendre à l’éligibilité dans certaines élections s’il réside dans une région différente.

Les faits historiques renseignent pourtant à suffire, sur l’inutilité de cette étroitesse de vue dont la gente intellectuelle est le véritable véhicule, au détriment de la masse des citoyens ordinaires plus encline à cultiver un vrai nationalisme dénué de tribalisme et de subjectivisme.
Il faut combattre et condamner cette hérésie avec la plus forte des énergies et rappeler fermement à l’ordre ses apôtres. Il en va du destin d’un continent déjà souillé par une histoire dont les plaies peinent à se refermer.

La crise en Côte d’Ivoire livre cependant dans le champ fertile des relations diplomatiques, une nouvelle expression de l’harmonisation des considérations autour des grands principes. Rarement les institutions à caractère multilatéral au plan universel, régional et sous régional, n’ont administré une si évidente preuve de cohérence dans une situation de crise. Dans ce contexte, les vues exprimées par la Russie, la Chine et le Liban, tiennent plus à des résurgences de valorisation des intérêts mercantiles de circonstance, qu’à une lecture pertinente des faits politiques et à une volonté de contribuer efficacement au fonctionnement des dispositions objectives de la Charte de l’ONU relatives au maintien de la paix et de la sécurité internationale.

La tradition de résistance des potentats à la tête des régimes mis au ban des nations, apporte une première réponse sur les interrogations s’agissant de la capacité de ceux-ci, à survivre dans les crises générées par leurs actes. Les chances de survie sont plus moins acceptables, si et seulement si à l’échelle sous régionale, des ouvertures de présentent au pouvoir, ou si au moins une grande puissance majeure tenant le rôle de principal partenaire commercial et diplomatique, lui conserve un certain appui, une certaine écoute. La situation de Laurent Gbagbo échappe à toute appréciation relative, et relève des cas de perdition sans issue. Nous ne sommes ni dans l’exemple du Kenya, ni dans celui du Zimbabwe, ce qui exclu des solutions de même type. Par ailleurs, il importe de bien faire la différence entre les situations de crise où les forces de maintien de la paix sont envoyées après, et les situations de crise où celles-ci sont déjà sur place dans le pays. La gestion diplomatique et stratégique n’est pas la même, et la probabilité d’une issue conforme aux décisions, recommandations et souhaits des instances onusiennes est plus grande dans le deuxième cas de figure que dans le premier./.

© Correspondance : SHANDA TONME


09/12/2010
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