Côte d'Ivoire: deux présidents, le périmé Laurent Gbagbo et le frais Alassane Ouattara

Paris (FR) - 14 DEC. 2010
© Dr Jean-Claude Bondol | Correspondance

Les observateurs de la vie politique de tous bords s'accordent à dire que la Côte d'Ivoire a deux présidents. S'il s'agit d'un simple constat, c'est normal puisque c'est conforme à ce qu'on peut voir aujourd'hui au pays des éléphants; un ancien président battu aux élections et qui se prépare à reculons à partir à sa manière, sans dignité, et un nouveau président élu qui est déjà en fonction et qui se prépare progressivement à prendre le contrôle total du pays dans le cadre d'une administration unifiée. Arrêtons donc de dire que la Côte d'Ivoire a deux présidents car cela serait reconnaître à L. Gbagbo quelque prérogative présidentielle qu'il n'a plus sur le plan de la légalité (le président élu a prêté serment par écrit, a formé son gouvernement et est aujourd'hui le seul président reconnu par toute la communauté internationale selon les termes de la décision du Conseil de sécurité du 09/12/2010). Il l'est encore moins sur le plan de la légitimité (45,9% des Ivoiriens ont voulu de lui comme président contre 54,1% qui ont voulu A Ouattara comme président). Il s'agirait donc d'une transition spéciale qui se soldera peut-être à l'amiable par une passation de pouvoir ultérieure comme cela s'est fait en Yougoslavie après le coup d'Etat électoral de Milosevic en 2000 face à son rival Kostunica.

Faut-il rappeler que la Côte d'Ivoire est allée aux premières élections libres et démocratiques au terme d'un processus de négociations ayant abouti aux accords de Ouagadougou qui ne reconnaissaient aucun vrai rôle au Conseil constitutionnel? Faut-il rappeler qu'il était clairement stipulé que la Commission Electorale Indépendante (CEI) était chargée des opérations électorales et de la proclamation des résultats? Faut-il rappeler que suite aux accords politiques de 2005 et de 2007 et à l'amendement du code électoral de mars 2008 qui stipule que «dans le cas où le Conseil Constitutionnel constate des irrégularités de nature à entacher la validité du scrutin et à en affecter le résultat d`ensemble, il prononce l`annulation de l`élection », la Côte d'Ivoire était de facto sous tutelle électorale des Nations unies? M. Paul Yao N’Dré, président dudit conseil, n' a pas eu à relever des événements ou des circonstances suffisamment graves pour prononcer l’annulation totale de l’élection malgré les irrégularités que l'institution pointe dans sept départements du nord puisqu'elles ne l'ont pas empêché de déclarer in fine Laurent Gbagbo vainqueur? Si irrégularité notable il y a, on annule tout ou alors ces irrégularités sont négligeables et n'influencent pas le résultat final et on valide tout. Etant donné que le régime de Gbagbo ne bénéficiait pas de la liberté de la plupart des 75 % des pays d'Afrique où le mot « élection » signifie tout simplement reconduction du régime au pouvoir, le Conseil constitutionnel aux ordres de Gbagbo n'était plus qu'une instance symbolique de reconnaissance des résultats proclamés par la CEI.

Faut-il rappeler que des miliciens de Laurent Gbagbo comme Damana Adia Pickass, un de ses représentants au sein de la CEI ont empêché ladite CEI de proclamer les résultats dont ils avaient copie sur la base des procès verbaux électoraux qui donnaient leur champion perdant? A-t-on oublié qu'ils ont sauvagement arraché et déchiré mardi 30/11/2010 une copie des PV des résultats provisoires devant la presse internationale médusée?

Quand jeudi 02/12/2010 la CEI rend solennellement son verdict donnant Ouattara vainqueur, résultat validé par l'ONU via sa mission sur place, le camp Gbagbo accuse le coup et contre-attaque le lendemain par son joker appelé Conseil constitutionnel pour annuler l'élection dans sept départements où Gbagbo a largement perdu. Celui-ci s'est comporté comme les Conseils constitutionnels de la plupart des dictatures d'Afrique bien que le contexte soit celui d'une élection où l'ONU avait le rôle de certificateur et de valideur des résultats de l'élection selon les termes de la résolution 1765 du conseil de sécurité du 16 juillet 2007 découlant elle-même des accords de paix de Ouagadougou de 2007 précédés par ceux de 2005 en Afrique du Sud. La reconnaissance définitive de la victoire d'Alassane Ouattara par le Conseil de sécurité de l'ONU à l'unanimité fait désormais de Ouattara le seul président de la République de Côte d'Ivoire pour les 5 prochaines années, et de Gbagbo un hors-la-loi et donc, un délinquant politique. Son faux nationalisme selon lequel il défend la souveraineté de la Cote d'Ivoire et ses intérêts n'influence que ceux qui croient encore que c'est l'ancienne puissance coloniale qui vote. Les atermoiements actuels de Laurent Gbagbo ne sont que le prolongement malhonnête de sa confiscation du pouvoir pendant cinq ans sans élection alors que son mandat acquis en 2000 a officiellement pris fin en octobre 2005. Bien qu'il faille reconnaître que son pouvoir était limité à une partie du pays et qu'il a beaucoup souffert de la partition entre le nord et le sud, on ne saurait ignorer qu'il a profité de la situation pour torpiller le jeu politique et et le processus électoral. Il n'a finalement organisé l' élection de novembre 2010 que dans la perspective de la gagner haut la main. Il a donc prévu deux mécanismes complémentaires pour confisquer le pouvoir en cas d'échec à cette élection: le recours au Conseil constitutionnel à sa botte pour faire annuler partiellement les résultats où bon lui semble et le couvre-feu pour museler le camp Ouattara en cas de contestation de son coup d'Etat électoral. Ce fameux couvre-feu décrié par A. Ouattara au sortir du débat télévisé de lentre-deux-tours est la preuve irréfutable que Laurent Gbagbo n'a jamais voulu sincèrement organiser une élection présidentielle libre et démocratique puisqu'il s'est doté à l'avance de l'arme anti-contestation de son coup d'Etat électoral. Finalement, il se sera comporté comme tous les autres dictateurs du continent qui utilisent le Conseil constitutionnel pour se déclarer vainqueur et le couvre-feu pour mater -dans le sang s'il le faut- le camp victorieux. Et comme il fallait s'y attendre, il y a eu des morts, des exécutions sommaires déguisées en opérations de maintien de l'ordre. Autre preuve irréfutable de sa préparation minutieuse du coup d'Etat et de la probable guerre civile est la réception de tous les haut gradés de l'armée et de la police la veille de sa prestation de serment précipitée, laquelle prestation de serment devait rendre irreversible son auto-proclamation --- via le Conseil constitutionnel aux mains de ses hommes --- comme président de la République. Le faux nationalisme ne passera pas. La souveraineté ivoirienne appartient au peuple ivoirien qui s'est librement prononcé pour Alassane Ouattara. Qu'il soit à la solde des forces coloniales ou néo-coloniales comme la camp Gbagbo le martèle ou pas, il reste que les électeurs lui ont fait confiance et que ce nouveau président sera jugé sur pièces. Et la CEI qu'il sera obligé de maintenir sera le garant de la transparence des futures élections en Côte d'Ivoire.

La Côte d'Ivoire n'a donc qu'un seul vrai président, l'autre étant faux, Ou plutôt, elle a d'un côté, un président périmé après dix ans, devenu impropre à la consommation politique, susceptible d'intoxiquer le peuple; et de l'autre, un président frais, consommable par le peuple ivoirien et la communauté internationale jusqu'en novembre 2015. En ajoutant la légalité à sa légitimité, la boucle est bouclée pour Ouattara et son seul défi sera de ne pas céder à la tentation de succession monarchique d'Houphouët Boigny couronnant Konan Bedié à sa mort en 1993; à l'ivoirité imaginée par Bédié pour éliminer son rival Ouattara; au coup d'Etat de Robert Gueï pour confisquer le pouvoir après l'élection de Laurent Gbagbo en 2000 (acte illégitime et illégal que le putschiste électoral a payé très cher); à la bassesse de Laurent Gbagbo qui va certainement amener plus d'un observateur raciste, africanophobe ou occidentocentriste à reposer la question de la montée de l'homme noir dans la caravane de l'histoire bien qu'il faille souligner que survivent encore, au sein même du continent européen quelques autocrates qui pourraient donner des cours de despotisme aux satrapes du continent noir.. Mais je ne saurais terminer sans reconnaître à Gbagbo quelque mérite: même s'il n'a accepté une élection revêtant le costume de la démocratie et parrainée par l'ONU que parce qu'il était persuadé qu'il allait gagner, il aura quand même eu le mérite de s'imaginer, le temps d'une campagne électorale, l'égal de ses deux principaux rivaux Bédié et Ouattara en faisant rêver tout un continent par une campagne électorale avec débat télévisé comme cela se fait dans les démocraties les plus avancées. Dommage que la montagne ait accouché d'une souris et que l'apprenti dictateur apparaisse, par ses agissements instinctifs, encore plus pitoyable et plus minable que le commun des despotes africains. Sa cellule l'attend à côté de celle de Charles Taylor à la prison de la Cour Pénale Internationale. Comme son prédécesseur, Ouattara commence son mandat dans un contexte difficile mais il a comme atouts la légalité et la légitimité octroyées par le peuple ivoirien et la reconnaissance des Nations unies. A lui de ne pas décevoir les Ivoiriens et la communauté internationale pour imaginer une autre Afrique moins stigmatisée par les plaies de la violence et de la gabégie, sinon il n'échappera pas à son tour à la vindicte populaire et au jugement impitoyable de l'histoire.


Dr Jean-Claude Bondol,
Maître de conférences en sciences du langage et en communication politique,
Paris, France.






16/12/2010
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