Contrefaçon: Quand les faux diplômes dictent leur loi au Cameroun

DOUALA - 07 SEPT. 2012
© Joseph Flavien KANKEU | Le Messager

De plus en plus, des employés travaillant dans des entreprises publiques, parapubliques ou privées sont recrutés sur la base de faux diplômes. Les prisons centrales de Kondengui et de New Bell, et les milieux universitaires comme laboratoires de cette activité criminelle.

Dans sa publication du mercredi 5 septembre 2012, le quotidien Le Messager, situé à la rue des Ecoles à Douala, annonce la tenue d’un conseil de discipline de la Camerounaise des eaux (Cde) pour examiner les cas de 416 employés titulaires de faux diplômes. Un conseil de discipline qui devra se prononcer avant un éventuel licenciement. L’on a noté que ces employés ont été reconnus coupables d’avoir présenté de faux diplômes au moment de leur recrutement dans cette société. Cette actualité n’émeut plus personne, tant des informations de ce genre sont récurrentes ces dernières années. Il y a quelques mois seulement, une mission de la Lommission nationale anti corruption (Conac) annonçait avoir découvert qu’une dizaine de cadres de la Communauté urbaine de Bafoussam étaient détenteurs de faux diplômes. Ceci, après une inspection minutieuse sur le terrain. Deux de ces détenteurs de faux diplômes auraient été rétrogradés en attendant la sanction finale, a-t-on appris.

Avant ce cas-là, c’est la Cameroon radio and television (Crtv) qui était sur le feu des projecteurs, avec un triste record de près de 300 employés détenteurs de faux diplômes. Le Fonds spécial d’équipement et d’intervention intercommunal (Feicom) avait fait les choux gras de la presse quelques années avant. Après le limogeage et l’interpellation d’Emmanuel Gérard Ondo Ndong, l’ancien directeur général de cette institution. Il avait en effet été constaté que de nombreux cadres y travaillaient, sur la base de faux diplômes. Nombreux d’entre eux avaient d’ailleurs été mis à l’écart. Une actualité très récente a fait échos de plusieurs milliers de faux parchemins découverts dans les dossiers des candidats ayant postulé dans le cadre du recrutement spécial des 25 000 jeunes dans la fonction publique.


Dans le privé aussi

Ce tableau obscur n’est pas observable seulement dans les sociétés publiques ou parapubliques. La situation est similaire dans les entreprises privées. Cela ne fait pas l’objet de beaucoup d’attention parce que les cas découverts sont traités sans tambour ni trompette, eu égard à la notoriété de ces entreprises. Des indiscrétions nous font savoir que de nombreux cadre de sociétés privées occupent des postes importants grâce à l’usage du faux. « Il y en a qui les utilisent pour se faire recruter, et d’autres pour solliciter un avancement en grade. Et très souvent, ils réussissent, parce qu’il n’existe pas encore à notre niveau d’appareils pouvant nous permettre de détecter les faux diplômes. Si vous êtes éloquent, votre tentative a de fortes chances de prospérer, car le travail en entreprise c’est le train-train quotidien », explique un cadre en service à la direction des ressources humaines dans une importante entreprise commerciale basée à Yaoundé. Ce dernier impute la responsabilité de cette défaillance aux chefs d’entreprises qui très souvent, recrutent des employés en violations des formalités d’usage. « Ce sont nos propres patrons qui encouragent tout cela. Car, il y a des gens qui après un entretien avec le patron reçoivent l’instruction d’aller commencer le travail. A cette occasion très souvent, ils dupent les patrons sur leurs niveaux réels. Et comme dans le privé le vœu du patron est un ordre, on recrute l’employé qui finalement, pour être cohérent avec ce qu’il a déclaré faussement, est obligé d’aller se taper un diplôme au quartier », révèle t-il.

Dans les forces armées, le mal serait encore plus profond. Ce d’autant plus que de nombreux militaires portent plutôt les noms et prénoms de leurs ainés ou cadet, plus diplômés qu’eux. « J’ai grandi avec un militaire qui aujourd’hui porte plutôt le nom de son petit frère. Simplement parce qu’il a utilisé le certificat d’étude primaire et élémentaire de son cadet pour se présenter au recrutement dans l’armée. Il nous a interdit de l’appeler par son nom dans son milieu professionnel parce que là bas c’est autrement qu’on l’appelle. Des cas comme celui-là sont légion dans l’armée », confie Jean Pierre, la quarantaine dépassée. Il révèle également que le mal est d’autant plus profond que certains hommes en tenue contrefont même leurs actes de naissance pour y mettre des noms propres à certaines régions du Cameroun, pour avoir la chance d’être retenus dans le recrutement. Pas du tout surprenant donc de voir Fotsing répondre à l’appel d’Atangana ou vice-versa. C’est aussi cela le Cameroun de Paul Biya

Joseph Flavien KANKEU


Yaoundé: Au cœur de la fabrication des documents falsifiés

Les milieux carcéraux et universitaires comme véritables laboratoires au service des diplômes contrefaits.

Ce n’est plus un secret pour personne. Les faux diplômes se fabriquent comme des bouts de pain au Cameroun. Il suffit d’en exprimer le besoin à la personne indiquée, pour être titulaire d’un baccalauréat, d’une licence ou même d’un diplôme d’étude approfondie en quelque spécialité que ce soit. Les lieux de fabrication de ces parchemins d’un autre genre sont bien connus aussi bien par les usagers que par les autorités administratives et judiciaires. Le premier arrêt, c’est le milieu carcéral. Des indiscrétions révèlent que la prison centrale de Kondengui est le lieu par excellence de délivrance de ces diplômes. Et les relais très souvent, sont des personnes en liberté. «Je connais un ami qui travaille dans une importante société brassicole de la place, et qui a eu une ascension grâce à un diplôme fabriqué à la prison centrale de Kondengui. Lorsque vous exprimez le vœu et que vous versez l’argent, on vous demande des informations sur votre filiation. Et votre négociateur vous informe progressivement de la conduite à tenir », révèle un acteur de la chaîne qui requiert l’anonymat pour des raisons évidentes. Il ajoute : «lorsque la date de composition de l’examen dont vous exprimez le besoin approche, on vous demande de faire semblant d’être un peu plus surchargé que d’habitude, pour donner l’impression que vous étudiez. Et lorsque les résultats de cet examen sont publiés, vous jubilez et annoncez à vos amis votre succès. Le diplôme vous est alors délivré quelques temps après ».

Selon cette source, un arsenal impressionnant serait disponible dans le laboratoire de fabrication de ces diplômes à la prison centrale de Kondengui. Cachet ronds, nominatifs de hautes personnalités constitueraient la matière première. « Même les papiers entête de la présidence et de nombreuses administrations s’y trouvent. Si vous voulez même une lettre de recommandation de n’importe quelle autorité pour chercher un emploi, vous y trouverez », indique la source. La situation serait similaire dans la prison centrale de New Bell à Douala, apprend-on.


A l’université aussi !

Les milieux universitaires sont aussi des véritables sites de fabrication de ces diplômes. Il suffit de faire un tour à Ngoa-Ekélé, quartier abritant l’Université de Yaoundé I pour s’en rendre compte. Au lieu dit Cradat, de véritables laboratoires logés dans les cités universitaires sont fonctionnels. Il suffit d’exprimer le besoin au premier passant pour être orienté vers un intermédiaire. La prudence y est de rigueur. Et lorsque finalement on se rend compte que l’usager veut autre chose que le diplôme, il court le risque d’y laisser sa peau. « Tous les diplômes se fabriquent ici, sauf le doctorat. Vous pouvez également obtenir dans ce quartier des notes d’avancement, des contrats de toute sorte, des lettres de recommandation pour obtention d’un visa, des mises en demeure et tous les autres documents administratifs qui puissent exister, signer de l’autorité de votre choix», déclare avec une indifférence déconcertante un étudiant de l’Université de Yaoundé, résidant aux alentours du lieu dit Cradat.

L’indifférence des autorités est pour le moins surprenante face à cette situation. De temps en temps, quelques interpellations lors des sporadiques rafles ciblées et après les vieux démons refont surface. D’où la prospérité de cette activité qui nourrit d’ailleurs très bien son homme au Cameroun, hélas !

Joseph Flavien KANKEU


08/09/2012
0 Poster un commentaire

Inscrivez-vous au blog

Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour

Rejoignez les 299 autres membres