Communication politique : Paul Biya, les discours de la discorde

Cameroun - Communication politique : Paul Biya, les discours de la discordeLes 30 ans de règne du chef de l’Etat sont jalonnés de propos jugés dégradants à l’endroit de ses adversaires.

C’est un Paul Biya fort agacé, qui s’est adressé le 31 décembre dernier à ses compatriotes. Dans son message du nouvel an, le président de la République s’est livré à un exercice qu’il semble affectionner : l’estocade verbale contre les pourfendeurs de sa politique. Le chef de l’Etat s’en est ainsi violement pris à ceux qui, «à l’intérieur comme à l’extérieur», ne veulent pas reconnaître les progrès accomplis par le Cameroun au cours des dernières années. «Nous serions, selon eux, «immobiles» et notre stabilité serait, elle-même, sujette à caution. Un tel manque d’objectivité ne peut s’expliquer que par une sorte de myopie politique qui les empêche de voir les choses telles qu’elles sont et par un affaiblissement de la mémoire qui a effacé chez eux le souvenir des épreuves que notre peuple a traversées pour venir à bout de l’injustice des termes de l’échange, des contraintes de l’ajustement structurel et des préjudices provoqués par la récente crise économique et financière», a-t-il déclaré.

Au sein de l’opinion, les propos de Paul Biya ont plus choqué qu’amusé. Sur les antennes de Canal 2 International, le politologue Mathias Eric Owona Nguini, sans doute en guise de riposte, affirmera qu’il préfère être un myope politique qu’un «aveugle stratégique». A l’analyse, la charge de Paul Biya semblait particulièrement destinée au directeur de la rédaction de l’hebdomadaire Jeune Afrique. Esquissant le bilan des 30 ans de règne de Paul Biya, François Soudan, indiquait, fin octobre dernier, à propos du président camerounais que «son arrivée au pouvoir avait fait naître de nombreux espoirs. Trente ans après, le chef de l’Etat dirige un pays  stable, mais immobile». Le journaliste de J.A achevait son article sur un ton à mi-chemin entre la prophétie et l’apocalypse : «Parmi tous les scénarios d’avenir agités quotidiennement sur les ondes de radio-trottoir et de sa consœur cravatée radio-couloir, aucun n’est positif. Tous sont nimbés d’angoisse et de mystère, de bruits de bottes et de règlements de compte anxiogènes entre dauphins cannibales».

Coutumier des déclarations provocantes et «insultantes» vis-à-vis de ses adversaires, Paul Biya, fils de catéchiste présenté par ses hagiographes comme un homme sobre et respectueux, l’est assurément. Dans son discours de politique générale, au dernier congrès ordinaire du Rdpc, le 15 septembre 2011, le président de la République n’avait pas fait dans la dentelle dans ce registre, recoltant, au bout, un tonnerre d’applaudissements de ses camarades du parti. «…Et j’ajoute, au risque de chagriner les champions de la critique pour la critique, au risque de peiner ceux qui ne voient que le mal partout, au risque de décevoir les ténors de la péroraison creuse, et d’affliger les bonimenteurs du chaos, j’ajoute dis-je que nous pouvons, … mieux, que nous devons être fiers des résultats que nous avons obtenus dans ces conditions si difficiles, pour le bien du Cameroun et du peuple camerounais».

Dans la même veine, qui ne se souvient pas de cette déclaration de Paul Biya au plus fort des émeutes dites de la faim, le 27 février 2008. «Les apprentis sorciers, qui dans l’ombre ont manipulé ces jeunes ne se sont pas préoccupés du risque qu’ils leur faisaient courir en les exposant à des affrontements avec les forces de l’ordre». Uu encore de la déclaration de Paul Biya au congrès du Rdpc de 1996, peu après l’annonce de la candidature de Victor Ayissi Mvodo (son ancien collègue du gouvernement sous Ahidjo) à la présidentielle de 1997 : «Qui sont-ils, ces politiciens qui se découvrent sur le tard une virginité politique ? (…) Allons nous laisser à d’autres le soin de continuer ce que nous avons si bien entrepris ?».

A ces «saillies», il faut ajouter ces «paroles de guerrier» à l’instar de : «l’ordre règnera, la démocratie avancera», «Tant que Yaoundé respire, le Cameroun vit», «Me voici donc à Douala» ou «la conférence nationale est sans objet». Des «piques» verbales généralement faites lorsque Paul  Biya sent son pouvoir menacé ou en voie de l’être : opération villes mortes (1991), émeutes de la faim (2008), printemps arabe (2011), etc.

© Mutations : Georges Alain Boyomo


22/01/2013
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