Christopher Fomunyoh:« Les Camerounais souhaitent avoir un nouveau visage à la tête de l’Etat »

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

De passage au Cameroun pour lancer  l’édition 2010 des activités culturelles et sportives de la communauté Moghamo (Nord-Ouest) à Douala, le Directeur régional pour l’Afrique du National Democratic Institute for international Affairs (Ndi) de Washington DC.a répondu cartes sur table aux questions d’actualité nationale et internationale qui lui ont été posées.


 

Votre nom est souvent cité dans certains milieux comme un candidat potentiel à l’élection présidentielle de 2011. Avez-vous l’ambition de présider aux destinées de notre pays ?.  Je suis très touché par ce que vous venez de dire, parce que l’on ne peut pas ne pas être marqué par la considération que ses concitoyens peuvent avoir envers sa personne. Cela me remplit d’émotion et j’ai déjà eu à aborder la question par le passé. Quelque part, je suis très honoré que mes compatriotes réfléchissent à l’avenir du Cameroun et qu’ils soient animés par cette ouverture d’esprit qui consiste à chercher parmi les 20 millions de Camerounais ceux qui peuvent aider le pays à continuer dans le bon sens, et à le faire de manière aussi ouverte et sur des critères objectifs. C’est ce que les gens recherchent dans beaucoup de pays africains. 

 

 

Le sommet France–Afrique vient de s’achever à Nice, en France. Quelle appréciation faites-vous de ce sommet auquel a participé Paul Biya ?

J’ai été impressionné par ce dernier sommet France-Afrique, parce qu’il y a des éléments nouveaux que la jeunesse africaine devrait intégrer dans l’analyse des relations entre la France et les pays africains. D’abord, je continue d’apprécier cette ouverture de la part de la France qui veut traiter avec les pays africains dans leur intégralité sans tenir compte des barrières linguistiques qui sont pour moi très artificielles. Le fait que les chefs d’Etats anglophones, francophones, lusophones aient participé avec une certaine aisance aux débats est encourageant. J’ai été aussi impressionné par le discours sur l’économie et les affaires. Le fait que le secteur privé ait été invité à ce sommet est pour moi une démonstration du fait que de plus en plus, les politiques tiennent compte du fait que la politique devrait servir à améliorer les conditions de vie des populations. Donc, il faut intégrer dans les discours officiels les intérêts du secteur privé. Le fait que le secteur privé africain ait été invité à dialoguer pendant le même sommet avec le secteur privé ou le patronat français est un bon signe. J’ai aussi pu remarquer au moment de la conférence de presse de fin que sur le podium de cinq chefs d’Etat, il y avait deux francophones - Paul Biya et Nicolas Sarkozy - et trois anglophones (Jacob Zuma d’Afrique du Sud, le président malawite qui est le président en exercice de l’Union africaine, et Meles Zénawi, le Premier ministre de l’Ethiopie). Je voyais à travers les quatre chefs d’Etat africains la diversité de notre continent que nous devons célébrer. Donc, dans l’ensemble, j’ai été impressionné par ce dernier sommet France-Afrique.

 

La France n’a-t-elle pas invité un plus grand nombre d’Etats pour pouvoir préserver ses intérêts face à la menace de la Chine et des autres pays émergents ?

La France n’est pas le seul pays à se sentir concurrencé par les Chinois et les Asiatiques en général sur le continent africain. En avril, j’étais à Paris pour animer une série de conférences. L’une d’elles portait sur les intérêts français et américains sur le continent africain par rapport à l’avancée des Chinois. Je crois que le monde est devenu un village planétaire en quelque sorte et chacun essaie de défendre ses intérêts. Le constat peut être évident; mais ce qui m’intéresse c’est l’approche pour la recherche des solutions.  Parce que s’il y a une ouverture, ça voudrait dire que les Africains, surtout le secteur privé, pourraient profiter de la multiplicité de partenaires potentiels. Afin de mieux négocier les conditions des relations commerciales et économiques. Donc, quelque part, même si la France se sent coincée, le fait qu’il y ait maintenant l’émergence d’une ouverture d’esprit, même du côté du secteur privé français, devrait favoriser pour les Africains de nouvelles ouvertures et de meilleures conditions de négociations des partenariats.

 

Que gagne l’Afrique dans ce partenariat avec la France au moment où l’actualité veut que le partenariat se fasse à travers de grands regroupements comme l’Union européenne et l’Union africaine par exemple ? Pourquoi Nicolas Sarkozy se fait-il le porte-voix de l’Afrique pour revendiquer un siège permanent au Conseil de Sécurité des Nations Unies ? Ce rôle ne revient-il pas à l’Union africaine ?

 

Il faut reconnaître qu’il y a une certaine contradiction dans la démarche des leaders politiques africains. Parce que d’un côté, nous nous disons assez forts et capables de défendre nos intérêts et de porter notre voix au plus haut niveau à travers des instances comme l’Union africaine et de l’autre, nous nous rassemblons pour demander à quelqu’un d’autre de parler à notre place. Mais une approche n’exclut pas l’autre. Il n’y a pas à mon entendement une exclusivité dans le plaidoyer qui est fait en faveur d’une meilleure représentation de l’Afrique dans les instances internationales. Nicolas Sarkozy le fait aujourd’hui. Il n’est pas exclu qu’un autre chef d’Etat d’un pays du Nord le fasse aussi demain. Il  n’est pas exclu non plus que l’Union africaine continue sa démarche.

Ce qui est intéressant, c’est que quand j’ai vu certains chefs d’Etat africains parler de la place de l’Afrique dans la gouvernance globale, je me suis dit tant mieux, c’est une bonne chose. Mais avec quelles valeurs ?

Pour qu’on soit pris au sérieux sur l’échiquier mondial, il faut quand même qu’on y apporte quelque chose et qu’on soit à l’aise sur les discussions qui préoccupent le reste du monde, à savoir la bonne gouvernance, la démocratie, la bonne gestion des ressources, la transparence, la responsabilité même des leaders politiques. Ce sont des maux qui minent notre continent. Ce n’est pas évident que le reste du monde soit prêt à accepter le leadership africain avec le bagage que portent certains de nos leaders politiques.

 

Entre la relation France–Afrique et la relation Union africaine–Union européenne, qu’est-ce qui est prioritaire à votre avis ?

 

Je pense que la relation France–Afrique est en plein bouleversement, en pleine renégociation. Même le président français Nicolas Sarkozy a dit que la Françafrique, c’est fini. Et je crois que la grande majorité d’Africains, et en particulier la jeune génération souhaite vivement qu’on en finisse avec ce concept de Françafrique. Je me dis que plus les Africains verront que la France essaie d’élargir ses relations avec d’autres pays africains comme l’Afrique du Sud, le Nigeria, l’Ethiopie et bien d’autres pays qui comptent, plus ils seront rassurés que cette notion de Françafrique devrait être enterrée une fois pour toutes.

 En même temps, il faut avouer qu’autant l’Union européenne est déjà faite sur la base de critères et de valeurs que tous les membres acceptent, autant l’Union africaine se cherche. C’est dans ce sens qu’effectivement, nous constituons une entité géographique importante, mais nous ne partageons pas encore les mêmes valeurs en termes de gouvernance. Lorsque vous parlez à Kadhafi par exemple, il a une autre conception du leadership africain. Il pense que l’Afrique devrait se réunir autour de sa personne. Mais si vous parlez aux chefs d’Etat sud-africain ou ghanéen par exemple, ils vous diront qu’ils ne s’identifient pas à l’Afrique selon Kadhafi. Donc, je crois que l’Union africaine pourra un jour, et ça c’est un souhait, arriver au stade de l’Union européenne. Mais il faudra du temps pour qu’on se mette d’accord sur certaines questions de valeur. Et là, je tire un coup de chapeau à l’Assemblée générale de l’Union africaine qui, en 2007, a adopté une nouvelle charte de démocratie, de bonne gouvernance et qui identifie des critères qui devraient être respectés par l’ensemble des Etats membres. Je me dis qu’une fois que cette charte sera ratifiée et deviendra obligatoire pour tous les Etats, on pourra avoir une meilleure gouvernance, une concordance de points de vue sur la bonne gouvernance et l’image de l’Afrique sera améliorée aux yeux du reste du monde.

 

Que pensez-vous du projet du gouvernement des Etats-Unis d’Afrique ?

Je crois qu’il faut travailler sur cette question de deux manières. Il y a l’entente qu’il faut trouver au niveau des leaders politiques africains et il y a des actes concrets qui devraient être posés au niveau des différents Etats pour favoriser l’attachement des populations africaines à ce concept des Etats-Unis d’Afrique. On peut faire de très bons discours lors des différents sommets de l’Union africaine; mais tant que ces discours ne se traduiront pas de façon concrète dans la vie quotidienne des populations africaines, ce contexte restera un peu vague. Par exemple, à tous les sommets de l’Union africaine, on parle de la libre circulation des personnes et des biens ; mais quand je vois comment les Africains souffrent dans différents aéroports pour avoir accès à d’autres pays africains, et quand je vois comment des Africains sont traités dans d’autres pays africains, je me dis qu’il y a problème. Que les leaders se retrouvent pour décréter les Etats-Unis d’Afrique sans que les populations suivent, pour moi, cela n’a pas de sens. Ça restera un club de chefs d’Etats qui veulent se glorifier. Sans aucun impact sur le développement, pour les populations. Par contre, si l’on crée des conditions pour que les Africains se sentent d’abord Africains dans toutes les activités qu’ils mènent, effectivement, cette notion viendra de soi et ça pourra renforcer la puissance du continent dans les négociations internationales.

 

En Afrique centrale, il y a l’éternel problème du passeport Cemac et les  projets de construction de routes qu’on tarde à concrétiser. Cela vous suggère-t-il une réflexion ?

L’exemple de l’Afrique centrale renforce mes inquiétudes. Lorsqu’on prend en considération les cinq sous-groupes du continent africain, l’Afrique centrale a la plus grande concentration de richesses. Nous avons des populations qui sont vraiment vaillantes. Mais, je ne comprends pas pourquoi notre sous-région n’arrive pas à démarrer comme les autres sous-régions. Il est vrai qu’au niveau de la corne de l’Afrique, il y a des conflits qui sévissent et c’est dramatique, mais lorsqu’on regarde l’Afrique de l’Ouest et l’Afrique australe, ce sont des sous-régions qui ont connu une amélioration dans les conditions de vie des populations et ça se voit et ça se ressent. Même en matière de bonne gouvernance, ils ont fait des avancées concrètes. Mais dans notre sous-région, on traîne ; des projets sont dans des tiroirs depuis des années, mais il n’y a pas de réalisations concrètes qui renforcent au niveau des populations cette idée qu’elles constituent la même famille dans une même sous-région ; et que la communauté des intérêts cadre avec les intérêts des populations.

 

L’intégration économique est–elle finalement un vœu pieux en Afrique centrale ?

Ça reste un vœu pieux, un vœu qui risque de ne pas se réaliser tant qu’il n’y a pas de renouvellement de la classe politique dans notre sous-région. Ça c’est une évidence ! Cependant, depuis que le président Ali Bongo est arrivé au pouvoir, il essaie de mener certaines réformes au niveau du Gabon. Ce n’est pas aisé, avec tout ce qu’il a eu comme héritage. Mais lorsqu’on voit que les mêmes personnes sont au pouvoir en Afrique centrale depuis trois décennies, c’est très difficile qu’ils laissent tomber subitement les préjugés qu’ils ont cumulé depuis tout ce temps pour intégrer une nouvelle donne dans les négociations entre les chefs d’Etat, de façon à favoriser un épanouissement de la sous-région prise dans son ensemble. Je ne dirais pas qu’il y a des petits pays ; mais vous savez que dans le monde aujourd’hui, il faut avoir un marché, même un marché local. Lorsqu’on crée des industries, même s’il faut exporter, il faut aussi vendre localement. Lorsqu’on regarde la population de certains pays de la sous-région, l’on se rend compte que ces pays-là ne peuvent pas se suffire ! C’est donc dans leur intérêt que cette intégration économique sous-régionale voit le jour; parce que ça permettrait qu’un marché comme celui du Cameroun qui compte quand même 20 millions de consommateurs puisse bénéficier de produits venant du Gabon, de Centrafrique ou du Tchad. Mais, si l’on reste chacun cloisonné et qu’on se limite à faire des discours, ça n’aura pas d’impact et ça finira par nous affaiblir…

 

L’année 2011 peut-elle être celle de l’alternance au Cameroun ?

Je crois que nous devons être honnêtes avec nous mêmes pour reconnaître que l’alternance politique est une bonne chose pour chaque pays qui veut se développer. Je prends des exemples simples que nous voyons devant nous. Dans les trois ou six derniers mois, l’on a l’impression que l’image du Nigeria a été blanchie. Vous voyez le président Goodluck Jonathan qui est reçu aux Etats-Unis par le président Barack Obama. Il est invité au sommet France-Afrique à Nice. Il est devant toutes les grandes tribunes. Rien n’a changé dans la politique nigériane depuis qu’il est arrivé au pouvoir. Mais, le simple fait d’avoir un nouvel interlocuteur donne espoir aux Nigérians que peut-être les choses seront abordées différemment. Il introduit même un autre discours dans la politique intérieure du Nigeria; ce qui amène les gens à réfléchir à des solutions différentes de celles qu’ils avaient toujours pratiquées par le passé. Il a fait des promesses parce qu’il voudrait faire mieux que son prédécesseur. Il voudrait être jugé sur la base des résultats obtenus que ses prédécesseurs n’ont pas pu obtenir. Voyez ce qu’il se passe aux Etats-Unis aujourd’hui avec Barack Obama, un jeune de moins de 50 ans qui est à la tête de l’Etat le plus puissant du monde. Vous voyez ce qui se passe en France ! Sarkozy tient quand même un discours différent du discours de Chirac ! Parce qu’il est d’une autre génération et il voudrait faire ses preuves et être jugé sur le travail qu’il aura accompli pendant son mandat. Donc, le renouvellement de la classe politique est une bonne chose pour tout pays qui voudrait se développer. En ce qui concerne le Cameroun, nous sommes encore en train de célébrer les 50 ans de notre indépendance. Il est difficile d’imaginer qu’en 50 ans on ait connu seulement deux chefs d’Etat. Parce que pendant ces 50 ans, même la France a connu plus de 10 présidents, les Etats-Unis en ont connu plus de 12 ou 14, pareil pour l’Allemagne, et ce sont des pays qui font des avancées. Même sur le continent africain maintenant, l’alternance est un fait quotidien. Le Ghana a connu en moins de 10 ans trois présidents qui ont été élus démocratiquement. C’est pour cela que l’économie ghanéenne a aussi évolué avec sa politique et aujourd’hui, on cite ce pays comme un exemple. Le Ghana a connu cette alternance paisible par des élections crédibles et son économie a suivi. C’est la même chose avec des pays comme l’île Maurice, ou encore l’Afrique du Sud où il y a un parti majoritaire. Mais, il y a eu un renouvellement de la classe politique. Mandela aurait décrété qu’il resterait président à vie en Afrique du Sud et personne n’aurait levé le petit doigt parce qu’il le méritait ! Mais, il a préféré exercer un seul mandat et passer la main à la nouvelle génération pour que le pays puisse prospérer. Aujourd’hui, Nelson Mandela est la personne la plus respectée du monde. On peut donc citer beaucoup d’exemples sur notre continent pour dire qu’un leader politique ne devrait pas avoir peur de l’alternance, parce qu’il y a toute une vie qu’on peut mener en dehors d’être chef d’Etat. Donc, mon souhait c’est qu’effectivement le calendrier électoral du Cameroun soit respecté et que les prochaines élections au Cameroun se tiennent dans les conditions qui nous donneront à nous, Camerounais, la fierté d’avoir organisé des élections crédibles qui seront reconnues non seulement par les Camerounais, mais aussi par le monde entier pour donner du Cameroun l’image d’un pays qui marche.

 

Faites-vous confiance à Elecam, la nouvelle structure mise en place pour organiser les élections ?

Je suis au courant du débat sur la composition d’Elecam. J’avais déjà eu à exprimer mon point de vue sur cette entité et avant même la nomination de ses membres. Beaucoup de Camerounais avaient fini par accepter le principe d’Elecam en lieu et place d’une commission vraiment indépendante. Parce que les gens ont dit que c’était un compromis pour satisfaire tout le monde.  Beaucoup de gens ont dit que si l’entité mise en place était animée par des personnalités crédibles et connues pour leur impartialité, peut-être que cette entité pourrait faire un travail à la satisfaction du plus grand nombre des Camerounais. Mais, Hélas, avec la mise en place d’un Conseil électoral qui a été perçu comme très partisan parce que les membres viennent majoritairement du comité central du Rdpc, cela crée beaucoup de frustrations; mais aussi des suspicions. La coloration politique de ces personnalités pourra influencer leur façon de travailler. Personnellement, j’ai été déçu par cela; parce que je me suis dit que cela était un piège inutile, un piège qu’on aurait pu éviter. Personne n’est gagnant dans ce débat, parce que avec la composition actuelle d’Elecam, même si le Rdpc gagnait les élections, sûrement qu’il y aurait une frange de la population qui dira que le Rdpc a gagné parce que Elecam est constitué de cette manière-là. De la même façon, si l’opposition arrivait à gagner les élections, sûrement qu’il y aura une frange des militants du Rdpc qui diront que ceux qui sont allés à Elecam étaient des éléments aigris du parti qui ont voulu régler des comptes. On aurait pu se passer de cet embarras inutile. Je suis convaincu qu’au Cameroun, on peut trouver 15 ou 20 personnalités acceptées par tout le monde, connues pour leur probité à qui l’on peut confier les tâches de l’organisation des élections générales au Cameroun. Donc, j’attends de voir comment Elecam va faire ses preuves sur le terrain. Lorsque le président Biya a dit lors de son discours de fin d’année qu’il apporterait des améliorations dans Elecam après avoir noté les critiques faites, beaucoup de gens ont cru qu’il allait agir dans le sens contraire. Mais, j’ai cru comprendre que ces amendements devraient impliquer davantage les sous-préfets et l’administration centrale, ce qui est déjà une source à problème. Donc, d’ici 2011, je souhaiterai voir des amendements dans l’architecture juridique qui va gérer les élections au Cameroun pour qu’on ait des élections sans contestations inutiles.

 

Le Sdf, principal parti de l’opposition, dit qu’il fera tout pour qu’il n’y ait pas d’élection au Cameroun tant qu’Elecam garde sa composition actuelle. Qu’en pensez-vous ?

Je crois qu’à l’heure qu’il est, nous avons encore environ 18 mois pour trouver un consensus autour de l’architecture juridique devant générer les élections au Cameroun. 18 mois, ce n’est pas beaucoup, mais ce n’est pas peu non plus s’il y a la volonté politique de trouver le consensus pour que les gens se mettent d’accord sur les règles de jeu avant que l’arbitre ne siffle le début du match. Nous devons aussi tirer des leçons de la façon dont les élections sont organisées à travers le continent, pour savoir que dans les pays où les élections sont bien organisées, le gagnant est souvent félicité par le perdant et que tout le monde accepte l’issue des élections même lorsque la marge de la victoire est mince.  Par contre, nous avons vu ce qu’il s’est passé dans des pays comme le Zimbabwe et le Kenya où la mauvaise organisation des élections a provoqué des conflits et des violences qui ont abouti à la perte de vies humaines. Je ne souhaiterai pas qu’on arrive à ce stade au Cameroun. Dans ce débat de déclarations parfois émotionnelles qui peuvent néanmoins se justifier par l’expérience vécue par le passé, j’espère qu’on réussira à trouver un consensus autour des règles qui devraient gouverner les prochaines élections au Cameroun.

 

L’un des problèmes observés ces derniers temps est le très faible taux de participation des populations aux élections. Que faut-il faire pour que les électeurs reviennent massivement aux urnes ?

 C’est effectivement l’une de mes inquiétudes. Lorsque le taux de participation des citoyens dans le processus électoral est faible, ce n’est pas un bon signe. C’est un indicateur qui demande de revoir l’intérêt qu’ont les citoyens dans la gouvernance de leur pays. Le faible taux de participation peut s’expliquer par le fait que certaines gens se sont désintéressées du processus politique. D’autres ont vécu de très mauvaises expériences par le passé avec les difficultés qu’ils ont rencontrées pour pouvoir participer aux élections, notamment le fait que les inscriptions ne sont pas faites de manière très ouverte. Des gens qui ont pris la peine de s’inscrire sur les listes mais qui n’ont pas reçu de cartes d’électeurs ou dont les cartes se retrouvent dans d’autres parties du pays. Toutes ces difficultés que les gens ont rencontrées par le passé peuvent expliquer qu’aujourd’hui, les gens ne s’intéressent plus au processus électoral, en l’occurrence la jeunesse. C’est une source d’inquiétude parce que plus les populations se détachent du processus électoral, plus les gens commencent à penser à d’autres alternatives pour pouvoir se faire entendre. Et cela est très dangereux pour un pays. Mon souhait, c’est qu’on réfléchisse sur la manière d’encourager les Camerounais à s’inscrire sur les listes électorales et à participer activement et de façon vraiment effective aux prochaines échéances dans notre pays.

 

Votre nom est souvent cité dans certains milieux comme un candidat potentiel à l’élection présidentielle de 2011. Avez-vous l’ambition de présider aux destinées de notre pays ?

 Je suis très touché par ce que vous venez de dire, parce que l’on ne peut pas ne pas être marqué par la considération que ses concitoyens peuvent avoir envers sa personne. Cela me remplit d’émotion et j’ai déjà eu à aborder la question par le passé. Quelque part, je suis très honoré que mes compatriotes réfléchissent à l’avenir du Cameroun et qu’ils soient animés par cette ouverture d’esprit qui consiste à chercher parmi les 20 millions de Camerounais ceux qui peuvent aider le pays à continuer dans le bon sens, et à le faire de manière aussi ouverte et sur des critères objectifs. C’est ce que les gens recherchent dans beaucoup de pays africains.  De prime abord, je voudrais vraiment apprécier cette ouverture d’esprit de la part des Camerounais qui réfléchissent à la question et qui essaient de voir de façon vraiment neutre et objective quels sont leurs concitoyens qui sont capables d’apporter leur contribution au développement de notre pays. Personnellement, à l’heure où nous parlons, j’ai un job, j’ai des obligations professionnelles qui m’obligent à ne pas être partisan dans le travail de la promotion de la bonne gouvernance et de la démocratie sur le continent. Donc, je ne pourrai pas, pendant que je porte ce chapeau, m’impliquer de façon directe et partisane dans la politique de notre pays. Cependant, en tant que citoyen, en tant que Camerounais qui a des ambitions pour son pays, je me sens dans l’obligation de continuer la réflexion avec mes 20 millions de compatriotes. Pour voir comment nous pouvons apporter notre modeste contribution afin d’œuvrer pour que notre pays ne dérape pas. Et pour que les doléances des populations relatives à notre gouvernance et les manifestations en faveur de la transparence électorale soient gérées de façon à permettre au Cameroun de s’épanouir et de se retrouver à la première place en ce qui concerne la gouvernance et la démocratie sur notre continent.

 

Avez-vous déjà noté de la frustration chez les Camerounais de la diaspora qui ne peuvent pas participer au processus électoral dans notre pays ?

C’est dramatique, la situation qui prévaut aujourd’hui et qui ne donne pas la possibilité pour les Camerounais de la diaspora de participer au processus électoral dans notre pays. C’est dramatique parce que je vois des pays moins nantis que le Cameroun qui font tout pour que leur diaspora puisse participer au choix de leurs dirigeants : c’est le cas du Mali, du Niger, du Cap vert, du Gabon, etc. Il faut reconnaître qu’il y a plus de Camerounais sur le territoire national qu’à l’extérieur. Donc, je ne crois pas que l’issue d’une élection peut être déterminée uniquement par les Camerounais vivant à l’étranger. Mais, le fait de leur donner ce droit, de leur laisser la latitude de faire compter leur voix, çà marque l’attachement de chacun de nous à la patrie. C’est un élément psychologique formidable qui lie les Camerounais vivant à l’étranger. Et ça apporte des bénéfices énormes parce que chacun de nous, se sentant rattaché à la patrie, ferait tout pour contribuer aux projets de développement au village, dans la région, pour attirer les investisseurs étrangers vers le Cameroun, et même pour réfléchir à ce que chacun peut apporter au pays pour aider à créer par exemple des emplois. Donc, je ne comprends pas pourquoi on peut maintenir des pratiques qui ont existé dans les années 1960; alors que le monde était constitué différemment; alors qu’aujourd’hui, les pays cherchent les moyens de valoriser la présence de leurs citoyens vivant à l’étranger. Tout récemment, le Kenya a passé une législation allant dans ce sens ! Mon souhait est que quelque chose soit fait rapidement pour permettre aux Camerounais de l’extérieur de participer au développement politique et au processus électoral de notre pays comme il se doit. Je peux vous dire que des voix s’élèvent dans ce sens. Dans toutes les conférences et rencontres que j’ai eues avec les communautés camerounaises dans différents pays en Amérique, en Europe, en Afrique, cette question a été soulevée à maintes reprises. Les gens veulent vraiment participer, les Camerounais sont très attachés à la patrie et ils ne comprennent pas que les leaders actuels ne puissent pas créer des conditions favorables à cette participation.

 

A propos de l’élection présidentielle qui se fait à un seul tour, quels sont les inconvénients et que peut apporter une élection présidentielle à deux tours ?

Une élection n’est pas un exercice purement technique. C’est un exercice politique qui en appelle à la participation du citoyen à la base dans la gestion des affaires de la cité. Donc, organiser une élection de façon mécanique juste pour permettre à un individu ou à quelques individus de garder le pouvoir ne correspond pas à la raison d’être d’une élection démocratique et crédible. Dans les démocraties naissantes, une élection à un seul tour avec une multitude de candidats finira par donner un gagnant avec moins de 50 % des suffrages exprimés. C’est très dangereux parce que dans la conception de la grande majorité des populations qui ne prendront pas le temps d’étudier les détails de la loi électorale, il restera toujours l’idée que la personne qui est au pouvoir a été soutenue par moins de 50 % des populations du pays. Quelque part, ça enlève un peu la légitimité de cette personne-là, même si légalement il a été le gagnant lors de l’élection à un tour. Ça ne conforte pas sa légitimité pour gouverner. C’est de là que part l’avantage principal d’avoir des élections à deux tours. Parce que ça permet au gagnant de sortir avec une majorité qui lui permettra de gouverner sur la base d’un projet de société qui aura été expliqué aux populations pendant la campagne. Alors que dans le cas d’une élection à un seul tour, le gagnant est obligé de faire des négociations bilatérales avec des leaders politiques. Ce qui ne correspond pas à un projet de société spécifique, mais qui tient compte plutôt des intérêts égoïstes des uns et des autres.

J’ai toujours été pour une élection à deux tours parce que je suis convaincu que les citoyens souhaiteraient retrouver dans leurs leaders, dans le président de la République ou dans l’élite la certitude que celui-là représente la vaste majorité de la population. Ce qui n’est pas évident avec une élection à un tour.  Vous avez vu tout récemment ce qu’il s’est passé au Gabon ! Vous avez vu ce qui s’est passé au Cameroun en 1992 ! Pour éviter toute contestation, pour éviter que certains passent le temps à crier aux victoires volées, pour éviter que certains ne respectent pas les institutions qui résultent de ces consultations électorales, c’est dans l’intérêt de tout le monde qu’on organise des élections à deux tours. Pour s’assurer que l’élu sera considéré comme l’élu de la vaste majorité des Camerounais et pourra appliquer un programme basé sur un projet de société qu’il aura soutenu et défendu pendant la période de campagne.

 

Quel est le profil du Camerounais qui, selon vous, est en mesure de conduire le Cameroun d’aujourd’hui au développement ?

Je crois que les Camerounais dans leur vaste majorité souhaitent avoir un nouveau visage à la tête de l’Etat. Non seulement c’est bon pour le moral, mais ça fait respirer. Non seulement au niveau individuel, mais aussi au niveau collectif. Ça donne l’impression que le pays est en train de faire un peu sa toilette; de nettoyer un peu sa classe dirigeante. C’est important. Quel que soit le parti auquel appartient l’individu en question, c’est important. Un nouveau visage, ça rénove les esprits et ça motive les gens à se donner davantage pour la patrie. En outre, le Cameroun d’aujourd’hui a des clivages qui ne favorisent pas un développement harmonieux de notre pays. Il y a des clivages anglophones/francophones, il y a des clivages nordistes/sudistes, des clivages religieux qu’il faut reconnaître. Même si on n’en parle pas, ces clivages-là existent. On n’a qu’à suivre les discours que font certains en privé lorsqu’ils se sentent entre eux et qu’ils parlent des autres Camerounais; parfois, vous avez l’impression qu’ils parlent d’étrangers. Il faut reconnaître que ça existe, même si publiquement, on ne veut pas l’admettre. Il nous faudra un Camerounais capable de s’identifier à tous les Camerounais pris dans leur ensemble, parce qu’il y a lieu aujourd’hui de trouver un consensus pour l’avenir de notre pays, mais aussi sur ses institutions. Aujourd’hui, il y a un débat sur la question de savoir quelle constitution est appliquée au Cameroun, un débat sur certaines dispositions même de la constitution, un débat sur notre loi électorale, un débat sur un organe comme Elecam, un débat sur le fonctionnement de notre Assemblée nationale, sur le pouvoir législatif. Est-ce qu’il y a un Sénat ? Il y a aussi un débat sur les institutions judiciaires. Il y a donc un débat dans le domaine de la gouvernance qu’il va falloir gérer. Et il faudra une personne qui maîtrise ces différents concepts de gouvernance moderne, qui pourra gérer ces problèmes tout en rassurant les 20 millions de Camerounais qu’il est là pour représenter les intérêts de tous et non ceux d’un clan ou ceux d’un groupe à l’exclusion des autres. Il nous faudra un Camerounais qui puisse réconcilier le Cameroun avec le reste du monde. L’image de notre pays aujourd’hui n’est pas ce que j’aurais souhaité en tant que Camerounais. L’image du Cameroun dans les institutions internationales, que ce soit les institutions financières comme le FMI et la banque mondiale ou les institutions politiques comme les Nations Unies et l’Union africaine, n’est pas l’image que j’aurais souhaité voir. Il va nous falloir un Camerounais capable de redonner une autre image du Cameroun sur le plan international. Et ce n’est pas là également qu’on pourra trouver cette réconciliation nécessaire et absolue entre le Cameroun et sa diaspora. Dans ce profil, il y a beaucoup de Camerounais qui sont capables de remplir cette tâche et qui pourront nous faire jubiler d’avoir fait un bon choix pour permettre à notre pays de faire du progrès. Car, même à travers le continent, beaucoup d’Africains attendent beaucoup du Cameroun et n’arrivent pas à comprendre qu’un pays aussi nanti en ressources naturelles, en ressources matérielles et en capacités humaines ne puisse pas être à l’avant-scène du développement politique et économique de notre continent.

 

L’administration camerounaise à souvent tendance à dire que c’est la presse privée et la diaspora qui ternissent l’image du Cameroun à travers leurs critiques…Qu’en pensez-vous ?

Non, non, ce n’est pas possible. Que peut-on faire de plus mal à l’image du Cameroun que la mort d’un journaliste en prison ? Tout le monde entier a entendu parler de la mort de Germain Cyrille Ngota Ngota alias Bibi Ngota, personne n’a démissionné et personne n’a été démis de ses fonctions. Ce qui veut dire que personne n’a pris ses responsabilités jusque-là ! On parle pourtant de la mort d’un homme, qui plus est de la mort d’un professionnel des médias qui n’était pas condamné par une instance judiciaire. Je crois que chaque Camerounais qui critique son pays le fait par amour de la patrie.

 

Propos recueillis par Edmond Kamguia K., Achille Mbog Pibasso, Florine Nseumi Léa et Julien Chongwang  

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15/06/2010
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