Charles Ateba Eyene: La vie et la mort d’un insubmersible militant du Rdpc décédé vendredi 21 février 2014 à Yaoundé

YAOUNDE - 23 FEV. 2014
© Jean-Bruno TAGNE | Correspondance

Agé de 42 ans, il laisse cinq orphelins


Mfou, le 21 Fevrier 2014 - La residence de Charles Ateba Eyene
Photo: © J-B. T.


«Tara est parti… Tara a keu ya», sanglote une femme lorsque l’homme franchit le portail largement ouvert de la résidence de Charles Ateba Eyene à Mfou à une dizaine de kilomètres de Yaoundé. Elle s’enroule par terre, crie le nom du défunt sans que personne ne vienne la relever. L’assistance semble épuisée par les lamentations qui n’ont pas cessé depuis l’annonce du décès du maître des lieux. Celui qu’on appelait affectueusement « Tara » est mort au Centre hospitalier universitaire (Chu) de Yaoundé la veille, le vendredi 21 février 2014, entre 16h30 et 17h.

L’homme qui vient de franchir le portail est le grand-frère consanguin de Charles Ateba Eyene. Il doutait encore de l’effectivité de la triste nouvelle qui lui est parvenue alors qu’il se trouvait dans son village. Planté au milieu de la cour, il a l’air hagard et porte les vêtements couverts de poussière. La funeste musique religieuse qui grésille et toutes ces personnes à la mine triste finissent de le convaincre que Tara est vraiment parti. Il retient son souffle, monte l’escalier le pas lourd avant de se retrancher dans le salon où il pleure loin des regards.

Le petit dernier de Charles Ateba Eyene, lui, déambule dans la cour. Il a perdu sa mère en 2009 alors qu’il n’avait que neuf mois. «Papa ne va plus m’amener à Kribi ?», demande-t-il à une de ses tantes. Elle le fixe, ne parvient pas à lui répondre et laisse couler deux colonnes de larmes sur ses joues.

Sur une table drapée de blanc, un cahier de condoléances est ouvert. Il se remplit progressivement, à mesure que les visiteurs arrivent. Des anonymes pour la plupart, des personnes qui ont admiré « Charles » jouer pour eux le justicier à la radio ou dans les débats télévisés. Tous saluent le « militant infatigable », le « combattant intrépide » et le « grand patriote ». Chacun y allant de sa poésie.


Insuffisance rénale

De quoi est mort Charles Sylvestre Ateba Eyene ? L’agonie de ce militant du Rdpc a commencé il y a à peu près trois semaines. Il s’était reclus chez lui à Mfou, et avait presque mis un terme à ses apparitions épiques dans les débats à la radio ou à la télévision. « Charles a commencé à avoir les premiers malaises il y a environ trois semaines, confie son beau-frère M. Bekono, la voix étranglée par la douleur. Il est resté ici à la maison où il prenait des médicaments. Il était tout seul avec ses enfants et sa sœur. Quand je suis venu le voir, il était très choqué de ne pas avoir de visites, même pas ceux de certaines personnes qu’il considérait comme ses rares amis au Rdpc. »

Tenaillé par la douleur, Charles Ateba Eyene souffre sans crier. Sa famille l’emmène à la clinique Fouda à Yaoundé. Une insuffisance rénale est diagnostiquée. Après quelques jours dans cet hôpital, son état s’empire. Le général Pierre Semengue à qui Charles Ateba Eyene consacra un ouvrage (« Le général Pierre Semengue. Toute une vie dans les armées », Yaoundé, 2002, Ed. Clé) est appelé à la rescousse. Il se trouve malheureusement en voyage en France. Le fils du général, Stéphane Semengue, prend les commandes. Il fait transférer le patient au Chu de Yaoundé.

L’auteur des « Paradoxes du pays organisateur » y est pris en charge, sans grand succès. « Sa santé s’est dégradée tout d’un coup vendredi. Quand je suis venu le voir vers 16h, il m’a regardé à travers la vitre, s’est gratté la tête, m’a dit au revoir d’un signe de la main et s’est retourné contre le mur avec des larmes qui coulaient. Je pense que c’est à ce moment qu’il est mort. Il était 17h. On dit qu’il avait une insuffisance rénale et une infection pulmonaire. Or, Charles ne buvait pas. Il ne fumait pas », larmoie M. Bekono, le beau-frère du défunt.

La nouvelle du décès de Charles Ateba Eyene se répand très rapidement. La Chu est pris d’assaut par la foule. Les informations sont confuses. La chaîne de télé Ltm basée à Douala est la première à faire un breaking news pour annoncer la nouvelle. Les Sms les plus contradictoires circulent, les réseaux sociaux s’embrasent. C’est la confusion. Peu après 20h, l’implacable, comme un uppercut à ceux qui s’obstinaient encore à croire l’homme aux mille combats encore en vie, se produit : le directeur du Chu confirme son décès. Sa dépouille est transférée à la morgue de l’hôpital général de Yaoundé.


Mort frustré

Dans sa résidence de Mfou, la famille porte le deuil. La colère la dispute à la douleur de perdre cet homme qui était le tuteur d’une grande famille. Orgueilleux et fier comme un coq, Charles Ateba Eyene refusait le misérabilisme. « Je ne dois rien à personne. Je ne mange chez personne », avait-il coutume de pester. En réalité, le quotidien de cette grande gueule, auteur d’une vingtaine de livres, était à mille lieues de cette aisance oratoire qu’il affichait sur les plateaux de télévisions.

Fils d’un père polygame (quatre femmes), agent des Eaux et Forêts décédé, Charles Ateba Eyene, veuf depuis cinq ans, n’avait plus que sa mère. Unique rescapé d’une famille décimée, il portait sur ses petites épaules toutes les misères de son clan. Il vivait dans sa maison à Mfou avec ses cinq enfants et ceux de ses frères et sœurs dont il avait la garde. Autant dire que la vie n’était pas simple pour ce fonctionnaire - sans bureau - du ministère de la Culture. « Charles avait trop de charges. Il avait pratiquement tout un village derrière lui », confie un membre de sa famille.


Mort frustré

Personnage controversé mais adulé dans les médias et par les couches populaires, Charles Ateba Eyene était un défenseur acharné du président Paul Biya et de ses idéaux de président national du Rdpc. Un militant plutôt atypique qui n’hésitait parfois pas à ouvrir le feu contre son propre camp. « Au Rdpc, désormais, ce sont les vieux, les borgnes, les incompétents, les non-militants et les sectaires qui sont favorisés et ont le vent en poupe. Ce type de militantisme vise à niveler le parti par le bas. Voilà pourquoi tous les gars brillants sont stigmatisés et étouffés », écrivait-il en octobre 2013 en guise de mise en Garde à Aminatou Ahidjo qui avait alors décidé de battre campagne pour le Rdpc lors des municipales et législatives. Il était aussi l’un des rares militants du Rdpc à considérer que l’alternance au sommet de l’Etat et l’âge avancé de Paul Biya ne sont pas tabous.

Ses prises de position ne lui valent pas des amis. Lorsque René Sadi, alors secrétaire général du comité central du Rdpc propose Charles Ateba Eyene comme membre, il lui faut déployer des tonnes d’arguments pour convaincre le président national auprès de qui l’ancien délégué à la presse et à la communication de l’Ojrdpc a été sérieusement brocardé. Paul Biya consent finalement à nommer Charles Ateba Eyene membre suppléant du comité central du Rdpc. Ce sera tout.

A 42 ans, Charles Ateba Eyene, qui revendiquait « 24 ans de militantisme actif » meurt frustré. Il n’a jamais franchi le cap de chef de service au ministère des Arts et de la Culture et n’a jamais obtenu le « décret » du président Biya qu’il célébrait tant. Chaque remaniement ministériel ou nomination à de hautes fonctions était une déception de plus. Le « docteur Charles Ateba Eyene » pensait qu’il méritait mieux.



24/02/2014
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