CHARLES ATEBA EYENE : La guerre d’usure d’un recalé du Parti-Etat

Charles Ateba Eyene:Camer.beCHARLES ATEBA EYENE est de ces phénomènes de l’agora national que nombre d’observateurs tenaient encore jusqu’à une période très récente, pour une figure publique sans véritable envergure. Il appartenait au décor sans peser réellement. Il était de mode de le présenter comme une création ou alors une créature du système partie de la médiocrité pour s’arrêter à la suffisance. Ses apparitions au petit d’écran dégageaient quelque chose qui frise la vacuité. Sa parole n’était pas du domaine de la transgression. Elle correspondait à quelque chose qui est omniprésent dans le discours <<des appareils idéologiques d’Etat>>(Althusser ) :le goût pour la formule convenue. Ce qu’il racontait à ceux souffraient de l’entendre ne dépassait jamais le catéchisme habituel du RDPC, ce floraison de trivialités qu’on fait réciter aux néo-convertis et qu’on retrouve chez les plus anciens du parti sous le mode d’une pensée formatée, d’une liturgie prête à l’emploi.

Et pourtant quelque chose est entrain de ce produire sous le regard médusé de plusieurs d’entrée nous. ATEBA EYENE est désormais propulsé au devant de la scène où il apparait désormais comme l’un de ceux qui déterminent les thèmes du débat intellectuel. Qu’est qui s’est passé ?

Certaines personnes voient dans la médiatisation accrue du personnage un symptôme de la médiocrité de notre époque ; un trait de la vulgarité du Cameroun politique ; la preuve palpable de la déflagration spéléologique du pays…Son sort dans la presse n’est pas des plus gais. Il est constamment livré à l’échafaud médiatique devant un public qui applaudit. C’est vrai l’homme est suffisamment détesté et même un peu trop de notre avis. L’évocation de son nom n’est pas de bon goût dans les <<ghettos du gotha>>. A son apparition les vigiles et porte-serviettes se précipitent pour lui demander de montrer patte blanche. Le monde du savoir ne brille non plus par une grande sympathie à son égard. Son arrivée dans le landerneau académique a suscité une grogne retentissante. On a mis en doute le sérieux de son parcours, ses parchemins ont été estampillés suspects. Et pourtant l’écrivain tonitruant originaire du village BIKOKA, arrondissement de Lolodorf est bel et bien titulaire d’un troisième cycle en communication politique et achève une thèse de

Doctorat/Ph.D sous la direction du Pr Michel Tjade Eoné. Lorsqu’il veut monter l’escalier du parti, il se heurte à la gérontocratie.

En lisant la succession des articles le concernant(critiques pour la plupart)nous sommes arrivés à l’idée suivante :lorsqu’un individu est attaqué de manière aussi systématique, c’est qu’il dit des choses vraisemblables, c’est qu’il s’attaque à des institutions malfaisantes. Nous n’allons donc pas rejoindre la meute organisée sous la traque d’individu. Nous essayerons plutôt en restant objectif le mieux possible de passer sa pensée au scanner en distinguant dans celle-ci le vrai du faux.

Charles Ateba Eyene est de ces dévots du parti-Etat qui estiment avoir beaucoup donné en termes de militantisme et n’avoir pas reçu en retour la juste récompense de leurs efforts. Ils ont engagé un combat que certains mettront sur le registre de la vengeance et d’autres vont considérer comme un coup de force pour se faire une place dans le marché de la redistribution. Ce combat consiste à frapper très violemment sur les élites .Charles Ateba Eyene s’y emploie dans deux textes qui seront commentés ci-dessous. Ce combat sera leur dernière carte en ces temps crépusculaire où le commentaire de science politique voit dans la moindre dissonance au cœur du système le signe d’une fin de règne.

C’est pourquoi nous nommons ce combat : la guerre d’usure.

La guerre d’usure est une conception des Etats-majors de la deuxième guerre mondiale. C’est la dernière carte qu’on utilise quand toutes les autres ont été essayées. C’est <<une lutte à mort>>.Charles Ateba Eyene a joué longtemps la carte habituelle de la courtisanerie et du griotisme. Elle n’a rien donné. Pis encore il a été considéré comme une personne acquise. Il a donc décidé de changer d’approche en se positionnant comme un acteur politique et littéraire dont le silence coûte cher et se négocie. Cette carte sera la dernière en ces temps où le système a commencé la rédaction de son testament.

Charles Ateba Eyene est l’auteur de plusieurs ouvrages. Nous allons nous arrêter sur les plus retentissants : Le tout récent a pour titre : Le Cameroun sous la dictature des loges, des sectes, du magico-anal et des réseaux mafieux. De véritables freins contre l’émergence en 2035 (La logique au cœur de la performance).

Bien avant la publication de ce livre un autre avait déjà défrayé la chronique. Il avait pour titre : les Paradoxes du pays organisateur.

* LES ORDRES : De leur influence réelle ou imaginaire

Commençons par son livre sur les sectes. L ‘auteur a fait un choix éditorial clair: Puiser dans le contenu des conversations quotidiennes ce qui fait vibrer les camerounais. Le politologue et philosophe André Yinda membre de plusieurs sociétés savantes et auteur de la postface du livre relève si bien l’ancrage du sujet dans l’univers du commun des camerounais : <<Il est extrêmement difficile d’engager une conversation sur quelque aspect que ce soit de la vie des gens au Cameroun, du sommet à la base de l’organisation sociale et administrative, sans que les références aux sectes, à l’homosexualité et aux réseaux mafieux n’émergent, de manière presque incongrue pour tout esprit rationnel>> .On peut voir dans cette connexion aux préoccupations des gens une force littéraire. C’est l’interprétation qu’en donne l’auteur de la postface lorsqu’il relève : <<Le fait que M. Charles Ateba Eyené ait choisi de traiter de ces trois phénomènes inextricablement imbriqués traduit ce qui fait, j’en suis persuadé depuis toujours, sa force, ce qui distingue précisément ses nombreuses contributions au débat politique dans ce pays : je veux parler de son intime connexion à l’actualité la plus fraiche et la plus authentique, pas celle des médias et des discours autorisés ou manipulés, mais bien celle de ce qu’on appelle « le terrain ». L’auteur a ce sens du terrain chevillée au corps, cette prise directe sur la réalité quotidienne des gens qui permet de sentir les vibrations d’une société en souffrance, de palper ce mouvement de recherche permanente des voies et moyens de survie, de percer des considérations métaphysiques dont les uns et les autres ont presque toujours le sentiment qu’ils en sont les victimes souvent malheureux et impuissants, quand bien même ce n’est pas le cas.>>

Si la démarche éditoriale est louable ;la validité des informations colportées reste à vérifier. La discussion sur les sectes et l’homosexualité est le terrain privilégié du fantasme et des croyances farfelues ;de l’information infondée.

Or le livre d’Ateba Eyene est un ramassis d’informations où ce qui est vrai est difficile à démêler de ce qui est faux.

Nous allons nous attarder singulièrement sur maçonnerie. Voici une institution qui fait peur à certaines personnes et suscite chez beaucoup d’autres de l’admiration.

La franc-maçonnerie comme la rose-croix d’ailleurs ont été pendant toute leur histoire le lit d’histoires rocambolesques qu’on peut segmenter en deux catégories :

Nous avons premièrement des récits qui relèvent tout simplement de la science fiction à cause de leur coloration trop irrationnelle. Un citoyen imbu de culture scientifique peut les balayer d’un revers de la main en partant d’un postulat cartésien : Ne croire qu’à ce qui vérifiable rationnellement.

Nous avons deuxièmement des récits qui relatent des faits supposés objectifs mais difficiles à vérifier. C’est le cas lorsqu’on attribue aux maçons des activités magico-anales. Nous sommes là devant une forme particulière de révélation qui n’est pas étonnante parce qu’elle paraît irrationnelle ;mais parce qu’elle paraît épouvantable au regard de notre éducation, de nos valeurs, des convenances de nos sociétés, de l’idée qu’on se fait chez nous de la décence publique, de l’idée qu’on se fait de la culture négro-africaine. Parce qu’il s’agit des récits difficiles à démontrer nous allons reprendre à notre compte les interrogations du politologue André Yinda :<< est-ce que tout cela est vrai ? Autrement dit, faut-il prendre pour argent comptant ce que les Camerounais disent d’eux-mêmes au sujet de leurs propres perversités et surtout au sujet, c’est une nouvelle religion dans ce pays, de la supposée perversion de leurs élites ?>>

Quand bien même les pratiques dénoncées seraient réelles, qu’est ce qui prouve qu’elles sont directement liées à l’enseignement de la franc-maçonnerie ?

La maçonnerie a souvent été dans son histoire émaillée de dérives initiatiques qui venaient de l’extérieur. Elles n’étaient pas directement liées à son enseignement. On se souvient à cet effet qu’il existe une époque où la maçonnerie française avait fermé ses loges camerounaises car certains de leurs membres se livraient à des pratiques de magie perverse en déviation par rapport à l’enseignement propre de la maçonnerie.

Une partie non négligeable du grand public reste néanmoins persuadé que la maçonnerie est malfaisante dans son essence même. Nous disons à cet effet que l’enseignement de la maçonnerie est très largement connu depuis le 19e siècle grâce au déballage organisé par les grands maîtres du journalisme d’investigation comme Léo taxil devenu lui-même maçon pour démissionner par la suite et se livrer à des révélations fracassantes dans des livres retentissants comme la franc-maçonnerie dévoilée. Certaines informations qui y sont révélées sont étonnantes certes et parfois consternantes mais n’attestent pas les fantasmes du commun des Camerounais. Malheureusement la franc-maçonnerie elle-même n’est pas exempte de toute responsabilité dans la très mauvaise image qui lui colle la peau. Elle aime jouer au petit malin qui cache des secrets. Pourquoi jouer au petit malin sur un enseignement qui est connu.

La franc-maçonnerie suscite par ailleurs des questionnements de nature socio-politique sur son influence ; l’étendue de ses ramifications ;son intention supposée ou réelle de recruter partout.

La franc-maçonnerie cherche t-elle par exemple à ratisser large jusqu’aux étudiants ? Quand Charles Ateba EYene conduit l’analyse dans cette direction, on comprend qu’il fasse sourire le public renseigné. La franc-maçonnerie est une institution très élitiste qui n’intègre pas en son sein n’importe qui. Même lorsqu’on individu aurait envie d’être maçon il n’est évident qu’il serait accepté. Nous avons rencontré dans la vie des personnes qui cherchaient depuis des années à intégrer la maçonnerie mais n’y parvenaient pas. Et les étudiants ne sauraient constituer la clientèle d’une organisation qui vise essentiellement les personnes venant des couches supérieures de la collectivité.

Le débat réactivé par Ateba Eyene nous impose néanmoins des interrogations qu’on ne saurait esquiver indéfiniment. Elles concernent le poids politique des réseaux mystiques ; leur emprise sur l’appareil de l’Etat.

La Rose-croix et la franc-maçonnerie ont-elle colonisé l’Etat ? A cette question Ateba Eyene répond :

<<Sur les 65 ministres et assimilés que compte le pays 95% sont membres des cercles compliqués. Chez les femmes membres du gouvernement certaines sources crédibles affirment que le pourcentage est de 100%.Au niveau des conseillers spéciaux et conseillers techniques à la présidence de la république

et à la primature 80% des responsables sont des fraters. Au niveau des directeurs généraux et directeurs généraux adjoints 79% fréquentent des temples. Parlant des directeurs 90% sont adeptes des loges. Au niveau des sous-directeurs 50% sont des initiés. Au niveau des chefs service 70% de ceux qui occupent des services juteux sont membres des loges>>

La première question est de savoir d’où viennent ces statistiques ? Sur quelles bases ont-elles été réalisées ?entraîné en justice et sommé de citer ses sources Ateba Eyene a présenté un journal au crédit discutable.

Il est possible que les statistiques mentionnées ci-dessus soient contestables sans que la réalité que décrit l’auteur soit forcement fausse. On serait tout de même devant un problème préoccupant. Lorsqu’une association culturelle, religieuse ou mystique en vient à coloniser l’Etat ,elle devient une menace pour l’égalité des chances, pour la culture du mérite, pour la neutralité de l’Etat. Les générations montantes vont subir son poids écrasant comme une forme de chantage qu’on peut traduire en ces termes : Si vous voulez accéder aux responsabilités devenez rosicruciens ou maçons.

Le problème est suffisamment grave. Il est normal qu’on en parle. Ajoutons que ce problème n’est pas indissoluble. Certaines grandes démocraties comme les Etats-unis soumettent les nominations aux fonctions importantes à une commission d’enquête qui peut investiguer sur les mœurs des candidats aux dites responsabilités ;sur leur passé ;le conflit d’intérêt que pourrait induire leur nomination.

Faudrait-il envisager dans le cas d’un pays comme le Cameroun l’institution d’une commission d’enquête semblable à aux commissions américaines, avec pour mission de répondre à la question si oui où non il existe une mainmise excessive d’une association religieuse ;philosophique ou ésotérique sur l’appareil de l’Etat ? Elle devra définir dans sa communication publique ce qu’elle entend par <<mainmise excessive>> . Elle pourrait émettre des réserves sur la composition d’un gouvernement s’il était établi qu’il possède un nombre anormalement élevé d’individus appartenant aux ordres. Il n’est pas question de préconiser la chasse aux initiés ni même de contester l’accès de ces derniers aux hautes fonctions mais d’empêcher qu’ils monopolisent l’appareil de l’Etat.

LORSQU’UN BETI DE LA MIDDLE CLASS S’EN PREND AUX BETIS D’EN HAUT

Charles Ateba EYene est l’auteur d’une polémique virulente contre l’élite Beti. Elle a fait l’objet d’un livre resté célèbre :les paradoxes du pays organisateur .Le texte est un diagnostic froid et cruel sur une province pourtant riche et puissante , la province du Sud mais dont le mélodrame fait penser à une malédiction. Le livre est assorti d’un vaste inventaire de personnalités originaires du sud nommées par le président Biya. La liste est impressionnante. Et pourtant le problème reste entier : Celui de la plus-value apportée par cette élite à sa province d’origine en termes de développement socio-économique. Une élite pléthorique fabriquée à coup de décrets s’est enrichie insolemment, a bâti d’immenses propriétés , s’est enfermée dans sa bulle en tournant le dos aux bétis d’en bas :les laissés pour compte des années Biya.

L’élite décrit dans le texte est une caste prédatrice..Les chroniques à son sujet abondent d’histoires sur les marchés fictifs ;les détournements en cascade. A ce visage s’ajoute un autre : Celui d’une élite improductive ;inutile et menteuse. Tout ce qu’elle a promis aux bétis d’en bas n’a été qu’un leurre. Cette élite de jouisseurs militants observe dans l’insouciance la décadence perpétuelle d’une province enclavée. D’où cette question fondamentale qui traverse le livre :

<<pourquoi avec tant de ministres , de directeurs généraux , de présidents de conseils d’administration…le sud reste à la traîne ? >>la réponse de l’auteur est limpide : le Sud est malade d’une élite de parvenus et d’égoïstes qui ne pensent qu’à bâtir des dynasties familiales. Elle a fait perdre à la province d’incroyables opportunités.

Le Sud est un cas pathétique. Que lui donne la fidélité au régime Biya.<<elle produit des ministres , des directeurs généraux , mais pas les écoles ,les ponts et les routes bitumées>>tel est le sort actuel de ce que Charles Ateba EYene désigne comme le socle du Renouveau.

A qui s’adresse ce livre ;il s’adresse d’abord aux bétis d’en haut que l’auteur entend secouer car estiment-ils il est encore temps pour qu’ils se réveillent. Il s’adresse aussi aux bétis d’en bas appelés à se soulever contre leurs élites.

Charles Ateba Eyene voulait aussi par ce livre mettre un terme à quelque chose qui s’est installé comme une confusion dans les esprits : présenter tous les bétis même ceux situés au plus bas de l’échelle comme des bénéficiaires des années Biya. Or ces derniers n’ont rien reçu.

<<en levant ainsi les équivoques ; l’homme du Sud sera lavé aux yeux du Cameroun et du monde.la misère paysanne qui caractérise la province sera mieux présentée et connue. Comme cela au lieu de lire le Sud sous le prisme des fortunes des élites de la province ;le drame de la province d’origine du chef de l’Etat sera mieux compris pour que demain le Sud constitue la priorité des priorités en matière de développement>>.

© Correspondance : NDJAMA BENJAMIN, ndjama @yahoo.com


21/10/2012
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