Chantal Kambiwa: "On peut faire mieux pour son pays sans forcément être dans un gouvernement"


Écrit par Ingrid Alice NGOUNOU | Yaoundé
Vendredi, 24 Décembre 2010 05:30

Parce que depuis 1990, j’avais déjà vu l’allure que prenait le SDF et j’avais aussi vu les statuts qui m’ont intéressés et donc le profil que j’attendais d’un parti politique.J’avais toujours devant moi l’image de ma mère, cette femme qui n’a pas pu aller à l’école juste parce qu’elle était femme, Mme Wandji Nkuimy Pauline Rose Ritée. On a convoqué ma mère au comité central du RDPC pour explication, en lui demandant pourquoi ils ont osé faire de telles choses et elle a tout simplement répondu « c’est ma fille, vous ne la connaissez pas ». Le pire, nous avons eu la mairie.

 

Vous être militante du Front Social Démocrate depuis 1992. Pourquoi le SDF?
Parce que depuis 1990, j’avais déjà vu l’allure que prenait le SDF et j’avais aussi vu les statuts qui m’ont intéressés et donc le profil que j’attendais d’un parti politique.



Et pourtant votre père était proche d’Ahidjo et votre mère militante du RDPC, est-ce que cela n’a pas été difficile sur le plan familial ?
Non, sur le plan familial, cela n’a pas été difficile parce que j’ai eu la chance d’avoir des parents très ouverts qui ont compris pourquoi je m’engageais pour le changement au Cameroun. Malgré le fait que c’était un parti différent, mon père a trouvé normal qu’après son parcours et celui de ma mère, un de leurs enfants s’engage dans la politique. Malheureusement pour eux ce n’était pas dans le même parti politique.



Qu’est-ce qui vous a donné l’envie de vous engager dans la politique ?
J’avais toujours devant moi l’image de ma mère, cette femme qui n’a pas pu aller à l’école juste parce qu’elle était femme, Mme Wandji Nkuimy Pauline Rose Ritée. Mes grands parents avaient préféré envoyer mes oncles, ses frères à l’école. Elle était femme de ministre, ne savait ni lire ni écrire, mais était très impliquée dans la vie sociale et politique. Elle a appris à lire et à écrire en élevant ses enfants. Je me suis dis que moi qui savait lire et écrire pourquoi je ne m’engagerais pas pour emmener les femmes aussi haut ?

Pour votre première élection, vous vous opposez à votre mère à la mairie de Douala Ier. Racontez nous
Lorsque mon médecin qui était président provincial du SDF pour le littoral me dit qu’il fallait absolument que je m’engage ouvertement puisque j’étais déjà avec le SDF, il y’avait des élections et un membre de la liste était décédé. Ils ont proposé que je le remplace au pied levé. Le même soir je suis allée au domicile familial et j’ai vu ma mère à la maison entourée de plusieurs femmes qui étaient en réunion pour le compte du RDPC et j’ai discuté avec mon père. Je l’ai informé que j’allais remplacer le voisin mort sur la liste Sdf et qu’il fallait qu’il m’aide à réunir les pièces car j’avais seulement 24 heures. Après quelques instants il m’a regardé et a dit « tu es vraiment ma fille mais je ne sais pas comment ta mère va le prendre ». Il appelle ma mère qui suspend sa réunion et vient. A son arrivée mon père lui dit « écoutes ce qu’elle va te dire » et je lui dis, « non papa c’est à toi de lui dire » et il se décide à parler. Il lui a donc annoncé la nouvelle et ma mère s’est mise à crier dans la chambre dans notre langue maternelle, « tu veux me tuer ? » « Que vont dire les gens ? » « Je vais me cacher où ? » Avec les yeux pleins de larmes, elle me dit que faire la politique c’est bien, mais « pourquoi avoir choisi le Sdf, les vandales qui brûlent les pneus et tout, regardes toi, tu vas aller te faire agresser ». On a convoqué ma mère au comité central du RDPC pour explication, en lui demandant pourquoi ils ont osé faire de telles choses et elle a tout simplement répondu « c’est ma fille, vous ne la connaissez pas ». Le pire, nous avons eu la mairie.


Vous n’avez pas pensé un moment à renoncer ?
Non. Quand je suis rentrée chez moi, j’en ai parlé avec mon mari et il m’a demandé comment je vais faire avec ma famille ? Je lui ai dit que si ce sont vraiment mes parents, ils l’accepteront au vue de l’éducation qu’ils nous ont donnée.

Pensez-vous que le fait que votre père ait fait la prison a influencé votre choix de parti politique au moment de vous lancer ?
Oui. Car sa prison m’a appris à me battre pour ce qui est juste. Parce que mon père était innocent et la justice l’a innocenté par la suite. Mais cela a pris cinq années de sa vie. Au cours de ces cinq, à trois reprises il a failli se faire tuer pour que la vérité ne triomphe pas.



Pensez-vous que votre engagement est né de cette révolte ?
C’est né de cette révolte et pour être toujours du côté des opprimés.



Le choix du parti politique était une réponse à cette révolte ?
Le choix du parti politique était peut-être une espèce de réponse, mais il y’a aussi les textes qui m’ont aidé à me décider parce qu’il y avait d’autres partis politiques. Si c’était vraiment le changement, la révolution pour la révolution je serais parti dans l’UPC. Donc, j’ai lu les textes du SDF qui m’ont intéressé, cette justice sociale, ce pouvoir au peuple…

Et depuis que vous y êtes, avez-vous l’impression de rendre service ?
Oui beaucoup. Ce n’est pas parce qu’on est militant du SDF qu’on cesse d’être un homme. J’ai vu qu’il y avait toujours une injustice, cette violence faite aux femmes, même à l'intérieur du SDF cela existe. Ce sont des camerounais, ils ne le font peut-être pas méchamment, mais il y a des réflexes. Donc étant au SDF j’ai prouvé à ces hommes qu’une femme pouvait faire bien, sinon mieux en gagnant les primaires contre des personnalités du SDF et ça c’était quelque chose. Et les femmes ont compris que c’était possible et j’ai par là prouvé aux camerounaises qu’on pouvait faire mieux pour son pays sans forcément être au gouvernement. Grâce à moi et à travers SERVITAS Cameroon (une ONG) il y a des choses qui changent au Cameroun. Je prends l’exemple des mutilations génitales féminines. Je sais que le SDF sous ma proposition avait fait une proposition de loi à l’assemblée nationale qui avait été rejetée. C’était pourtant une bonne proposition de loi, mais parce que cela venait du SDF cela a été rejeté. Je suis partie en Espagne à une réunion de l’international socialiste des femmes et j’ai interpellé les députés du parlement européen qui étaient à cette réunion et après, nous sommes directement allés au parlement européen. Et comme aujourd’hui il ya des réunions entre parlementaires, au cours d’une de ces réunions, on a interpellé le Cameroun sur le sujet et immédiatement j’ai vu la transformation. J’ai vu des banderoles où on appelait les responsables des ONG pour aller discuter de cela. Je n’étais certes pas invitée, mais j’étais heureuse. Ce n’est pas mon approche de faire la publicité car le bruit ne m’intéresse pas. Mon approche c’est de voir le résultat escompté.



Avez-vous eu beaucoup de difficultés à vous imposer au sein du parti ? Comment avez-vous procédé ?
C’est parce que justement la femme a beaucoup de qualités. Il faut voir comment nous vivons dans nos familles, dans nos ménages. Il y a eu des dissidences dans mon parti et même beaucoup de démissions et à chaque fois, beaucoup de gens ont compté sur moi pour partir avec eux parce qu’ils savaient toutes les pressions que je subissais, mais ce n’était pas la bonne solution. Il fallait rester là pour donner espoir. Dans le SDF, nous n’avons pas une section de femmes comme on le voit ailleurs, et je signale que je suis entrain de me battre pour ce regroupement et d’ailleurs c’est déjà en cours puisque le parti admet aujourd’hui que les femmes puissent se regrouper entre elles. Je peux vous assurer que ce n’est pas du tout facile.

Quelles sont vos rapports avec les hommes de votre parti ?
Tout d’abord des rapports de courtoisie, de camaraderie, mais il y a quand même un problème parce que beaucoup me trouvent ambitieuse et têtue. Parce qu’ils disent « qu’est-ce qu’elle fait encore là avec tout ce qu’elle a déjà subi ? » « Elle aurait du déjà fuir comme les autres ». Mais je trouve que c’est trop facile de partir. Et pour moi, avoir été candidate en face de ma mère n’était pas un jeu. Et rien que pour cela, il faut que j’aille jusqu’au bout.

Et vos rapports avec Ni John Fru Ndi ?
Je n’ai pas de problème particulier avec le président national en tant que personne. Mais j’ai un problème avec la démarche, la façon de voir les choses, ce côté paternaliste où il veut qu’on le traite comme un père. Mais moi, je ne peux pas le traiter comme un père, je n’arrive pas. Et cela crée parfois des frustrations et il pense que je lui manque de respect et à chaque fois je suis obligée de rappeler aux uns et aux autres que les personnes les plus chers pour moi, je les ai laissées de côté pour venir dans le Sdf et j’y suis pour les idées.

Et quels sont vos rapports avec Kah Walla qui a démissionné ?
Kah Walla arrive dans le parti aux élections de 2007, et c’est moi qui l’y ai emmené. Parce qu’elle apprend que je refuse d’aller aux primaires. La première fois, on a refusé que je conduise la liste même si par la suite je l’ai fait. Les arguments étaient que je suis à Douala 1er et c’est chez les Sawa, je suis une femme et je suis de l’Ouest. Et c’est trop prétentieux pour moi de vouloir conduire une liste en face des hommes. Et ça c’étaient pour les législatives en 2002. En 2007, il y a encore des législatives et quand on me demande pourquoi je ne fais pas acte de candidature, là je leur dit « écoutez, je suis toujours femme, toujours originaire de l’Ouest et toujours à Douala 1er. Pourquoi embarrasserai-je le parti en allant aux primaires ? Puisque je sais qu’en y allant, je gagnerai. Donc, je ne vais pas aux primaires, je ne vais pas aux élections, je ne suis même pas candidate ». Et j’ai dit que si le parti veut que je sois candidate qu’on me laisse en position éligible et ça avec toutes les femmes. J’avais déjà eu cette stratégie en 2002 et à la dernière minute, les autres femmes m’ont lâché. Et bien sûr j’ai été la seule femme a avoir déjà gagné les primaires sur toutes les femmes du comité exécutif national. Il y avait une seule qui avait aussi réussi parce qu’elle était déjà députée du RDPC avant de venir au SDF. Finalement donc je dis, je ne veux pas repartir dans ce combat inutile. J’ai connu Kah Walla parce qu’elle était (et est toujours) responsable de Stratégies qui est une société de communication qui travaille avec des sociétés et des fondations telle que Friedrich Ebert pour la formation. Elle m’appelle pour me dire qu’elle apprend que je ne veux pas être candidate. Alors je lui dis que je suis seule dans mon camp, les autres femmes n’ont pas mon courage et si on était seulement deux avec ce même courage, j’allais davantage foncer. Et elle me demande « si je venais avec toi sur la liste, tu accepterais ? » Je lui demande « tu peux ? » Elle répond par l’affirmative. Pendant une réunion du comité exécutif à Bamenda, on me demande une fois de plus pourquoi je ne suis pas candidate? Ils insistent et là je leur dis que je peux être candidate mais à une seule condition : que Kah Walla vienne avec moi sur la liste. Et la surprise fut très grande pour tout le monde. Après beaucoup de tractations, on me met sur la liste avec Kah walla (qui allait par la suite être cooptée comme membre du comité exécutif national, Ndlr) et pour me « punir », on a voulu mettre Kah Walla devant moi sur la liste. Cette dernière refuse en disant qu’elle ne connait pas le parti, elle n’est même pas militante, elle veut seulement entrer pour les élections. « Je ne peux pas être devant Chantal » disait-elle, « car c’est elle la locomotive ». Finalement, on met un homme devant moi. Alors on va aux élections. Je précise que militer n’est pas facile. Kah Walla n’était pas très présente aux réunions du comité exécutif national. Et à l’heure où je vous parle, elle n’a assisté qu’à trois ou quatre réunions du comité exécutif. Et il faut préciser, elle n’était jamais à l’heure ou repartait avant la fin des réunions.

 

Votre avis sur la série de démission au Sdf?
Ce sont des démissions fictives. Parce qu’en fait, ces personnes ne venaient plus depuis au parti, elles n’étaient plus militantes il y a longtemps. J’ai été surprise lorsqu’on a même donné le nom d’un ancien député. Je ne savais même plus que cette personne était encore au Cameroun. S’il fallait appliquer les textes à la lettre on devait dire que certaines de ces personnes n’étaient plus militantes avant même qu’elles ne se déclarent.

Vous êtes vice présidente de l’international socialiste des femmes et membre du présidium de l’international socialiste. Comment en êtes-vous arrivé là ?
Depuis 1993, j’ai commencé à fréquenter l’international socialiste, je suis ensuite passée délégué socialiste des femmes au comité Afrique. Ce dernier regroupe les membres de l’international socialiste des partis africains. Et à chaque fois, il y a une personne qui représente l’international socialiste des femmes pour voir la situation des femmes dans ces différents partis africains. Donc, j’ai fait ce travail pendant quatre et après je suis passée vice présidente de l’international des femmes et je continue toujours à le faire. Et je suis effectivement membre du présidium depuis 2008.

Racontez nous votre parcours académique et professionnel
Je suis née au Cameroun à Bagangté dans l’Ouest du pays en 1960. J’ai fait mes études primaires à Yaoundé au Parc Répiquet. Et puis nous nous sommes allés à Douala où j’ai fait le lycée des jeunes filles de New-Bell. Et dès la classe de seconde, je suis partie à Nice où j’ai achevé mon parcours au Parc Impérial en série scientifique. J’étais plutôt attirée par le social et donc je suis partie à Paris pour faire économie sociale et familiale. Après, j’ai eu la chance d’aller très souvent au Cameroun et je me suis lancée dans le business ; toutes les fois que j’allais au Cameroun j’achetais des chaussures à Nice qui est à la frontière avec l’Italie pour les revendre au pays. Ma sœur Alvine avait un Institut de Beauté Myriam’s dans le 11e arrondissement de Paris et j’y allais souvent et j’ai eu une autre formation car je venais souvent gérer sa structure et je rentrais au Cameroun. Par la suite je suis tombée enceinte et j’ai voulu élever personnellement mes enfants. J’ai alors presque tout arrêté. Toutefois, j’ai mis sur pied mon entreprise SURPRISE sarl à Akwa dans les cadeaux d’entreprise et c’est aussi là que j’ai pris goût à la politique. J’ai été membre de plusieurs associations féminines et parce que je n’étais plus trop présente mon entreprise a pris un coup, elle ne fonctionnait plus bien et je me suis engagée dans ces associations féminines et on a mis sur pied SERVITAS Cameroon qui encourage la participation des femmes dans la gestion à tous les niveaux, même en politique ; défend les droits de l’Homme plus particulièrement de la femme. Et tout récemment on a ajouté l’environnement compte tenu de l’implication des femmes dans les questions environnementales.

Comment avez-vous concilié votre vie de couple avec celle politique ?
Au début ce n’était pas facile avec mon mari. Mais il a vu mes preuves en tant qu’épouse, en tant que mère. J’ai quand même élevé mes deux enfants, en les lavant, les emmenant à l’école avant d’aller à ma boutique. Et quand j’ai commencé à être instable, mon absence se faisait ressentir à leur niveau. Et finalement je les ai emmenés à Nice. Mon mari a vu les résultats de mes actions partout, même dans mon village. Quand il y va, on lui dit merci, c’est grâce à ta femme qu’on a le puits d’eau, qu’on a ceci et cela. Mais un homme reste toujours un homme. Cela ne l’empêche pas de demander quand je voyage, tu rentres quand ?. C’est un militant aussi du SDF et il a finit par tout comprendre.

Un mot sur le réseau Femme pour un monde meilleur
Je rencontre ce réseau de part ma position en tant que responsable en charge des questions de genre aux SDF. Je rencontre donc ce réseau à Niamey où j’assiste à la première réunion. C’est un réseau entre les femmes africaines et les femmes espagnoles pour un monde meilleur. C’est un forum d’échange qui est intéressant et il est pris en charge par le gouvernement espagnol. Le réseau est à sa sixième année si je ne me trompe pas. Et la dernière fois à Valence en Espagne, on a eu à initier un groupe de travail sur l’éducation. Et il s’agit de faire un programme clair et net concernant l’éducation de la femme et de la jeune fille en Afrique.



Au Cameroun avez-vous des contacts avec les autres femmes politiques quelque soit le parti ?
Bien sûr, on se retrouve toujours à travers les associations féminines. Nous avons mis sur pied le Cri de la femme camerounaise. Je suis l’une des fondatrices du Cri qui est l’appel des femmes camerounaises aux candidat(e) s à l’élection présidentielle de 2004. Il était un groupement de femmes tout parti politique confondu. C’était très beau. Le Cri est né après les élections législatives et municipales de 2002 où les femmes se sont rendu compte qu’elles ont connu les mêmes difficultés dans leurs différents partis politiques.



Lorsqu’on fait la politique c’est parce qu’on a une ambition. Quelle est la vôtre?
La mienne c’est être en position de changer les mauvaises lois, de changer les choses pour améliorer la vie les femmes et les jeunes. Et bien sûr être présidente de mon parti et même présidente de la République.



Pour terminer, un mot sur la rencontre Fru Ndi –Paul Biya en marge du cinquantenaire il y’a quelques jours
C’est une rencontre qui avait déjà été sollicitée par John Fru Ndi. Apparemment le message n’était pas bien passé d’un coté comme de l’autre pour une rencontre entre les deux hommes. Ils se sont finalement rencontrés à Bamenda lors du Cinquantenaire des Armées. C’est une bonne chose car c’est normal que nos dirigeants s’asseyent et discutent du devenir de notre pays. Tout s’est bien passé. C’est l’inverse qui aurait été mal perçu, si malgré la demande officielle de John Fru Ndi à rencontrer le Président Paul Biya depuis longtemps, qu’il ne saisisse pas cette opportunité pour le faire. La question essentielle de leur rencontre concernait les élections et Elecam en particulier.

 

 Ingrid Alice NGOUNOU

Source:Journalducameroun.com



25/12/2010
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