Ces présidents malades qui gouvernent l'Afrique

En moins de deux décennies, sept chefs d’Etat africains sont morts au pouvoir. Tentative d’explication d’un phénomène spécifique au continent noir.

Malam Bacaï Sanha est décédé le 9 janvier à l’hôpital du Val de Grâce à Paris, après plusieurs semaines d’hospitalisation. Le décès du président de la Guinée-Bissau n’a pas été une surprise. Il avait déjà effectué plusieurs séjours dans cet hôpital de luxe parisien, où sont soignés les responsables gouvernementaux français et étrangers. Ses allées et venues dans les établissements de soins, à Dakar au Sénégal, étaient également régulières.
 
Le président bissau-guinéen souffrait depuis plusieurs années d’une maladie dont la nature n’a jamais été rendue publique. «On parle de chute d’hémoglobine dans le sang», avait-il révélé lui-même fin 2009, ajoutant qu’il souffre aussi de diabète. Sa santé était donc déjà chancelante lorsqu’il a été élu président de ce pays d’Afrique de l’Ouest en juillet 2009.
 
Comme Malam Bacaï Sanha, des hommes politiques célèbres, qui ont dirigé de très grands pays et laissé leur empreinte dans l’Histoire, étaient de santé fragile. Dans Ces malades qui nous gouvernent (éd. Librairie générale française), un ouvrage qui avait fait sensation à la fin des années 70, le docteur Pierre Rentchnick et Pierre Accoce avaient fait des révélations fracassantes sur le sujet.
 
Morceaux choisis:
 
«Franklin Roosevelt était malade à Yalta. Mais qui sait que sa tension artérielle atteignait alors trente à son maximum, oblitérant dramatiquement sa lucidité dans la négociation capitale qu’il engageait avec Staline sur le partage du monde?»
 
Sur John Kennedy, autre président célèbre des Etats-Unis:
 
«Personne encore n’avait révélé que le président John Kennedy passait couché la moitié de ses journées atteint d’une grave maladie des glandes surrénales, à l’époque même ou Khrouchtchev installait les fusées soviétiques à Cuba.»
 
Les précédents occidentaux
 
Leonid Brejnev était également un grand malade. Dans Le Grand Secret (Plon), Michel Gonod et le docteur Claude Gubler, médecin personnel de François Mitterrand, avaient levé le voile sur ce qui était longtemps demeuré un secret d’Etat:
 
«Le 16 novembre 1981, six mois après son élection à la présidence de la République, des examens médicaux révèlent que le premier président socialiste de la France était atteint d’un cancer de la prostate.»
 
Un mal qui allait l’emporter en janvier 1996. Ce qui ne l’avait pas empêché d’aller au bout de son premier septennat et d’en boucler un second. Georges Pompidou a eu moins de chance. Il est décédé en avril 1974 pendant son premier mandat, de ce qu’on appelle pudiquement une longue maladie.
 
Que de grands malades se retrouvent à la tête d’un pays, voire meurent au cours de leur mandat, n’est donc pas spécifique à l’Afrique. Ce qui est plus préoccupant sur le continent noir, c’est la fréquence du phénomène.
 
En moins de deux décennies, ce fut une vraie hécatombe: Félix Houphouët-Boigny le premier président de la Côte d’Ivoire est décédé le 7 décembre 1993; le roi Hassan II du Maroc, le 23 juillet 1999; le général Gnassingbé Eyadéma du Togo, le 5 février 2005; Lansana Conté de la Guinée-Conakry le 22 décembre 2008; Levy Mwanawassa qui présidait aux destinées de la Zambie le 19 août 2008; le Gabonais Omar Bongo Ondimba le 8 juin 2009; Umaru Musa Yar’Adua du Nigeria, le 5 mai 2010.
 
Les raisons de la saignée
 
En Afrique, la mort fait généralement partie de la vie. On en parle volontiers, en invoquant les mânes des ancêtres ou des membres de la famille que l’on vénère. En revanche, on rechigne à s’étendre sur la maladie, a fortiori quand elle est grave. Du coup, inconsciemment, elle est rarement prise en compte comme un facteur déterminant pour confier des responsabilités à un individu.
 
En Guinée-Bissau, personne n’ignorait que Malam Bacaï Sanha était très gravement atteint par la maladie. Il était donc très risqué de le choisir comme candidat du Parti pour l’indépendance de la Guinée-Bissau et du Cap-vert (PAIGC) à l’élection présidentielle en 2009. Mais l’aura de cet ancien combattant contre l’ex-puissance coloniale portugaise, et l’un des piliers de ce parti, a été la plus forte.
 
Même cas de figure pour Umaru Musa Yar’Adua au Nigeria. L’ancien gouverneur de l’Etat du Katsina (nord du Nigeria) était un homme à l’intégrité reconnue. Ce qui est plutôt rare chez les hauts dignitaires de ce pays classé parmi les plus corrompus au monde par l’ONG allemande Transparency International. Mais jamais il n’aurait dû être désigné comme le candidat du Parti démocratique du peuple, (PDP, le parti le plus puissant du pays) à l’élection présidentielle de 2007.
 
Tant la précarité de son état de santé était de notoriété publique. Il souffrait d’une péricardite aiguë liée à une insuffisance rénale. En 2007, en pleine campagne électorale, il avait été évacué d’urgence en Allemagne après un évanouissement. En 2008 après son élection, il a dû se faire soigner à plusieurs reprises en Allemagne et en Arabie Saoudite. Son décès le 5 mai 2010 à 59 ans à Abuja, après une nouvelle hospitalisation à Djeddah (Arabie Saoudite), n’a donc surpris personne.
 
Les malades du pouvoir
 
Le Zambien Levy Mwanawassa, mort lui aussi à 59 ans le 19 août 2008 à l’hôpital de Percy-Clamart en France, où il avait été transféré à la suite d’une attaque cérébrale lors du 11e sommet de l’Union africaine à Charm-el-Cheikh en Egypte. Il était au pouvoir depuis 2002.
 
Seconde explication des ravages de la grande faucheuse parmi les chefs d’Etat africains: quand ils s’installent au pouvoir, ils s’y incrustent, devenant en quelque sorte des présidents à vie. Félix Houphouët-Boigny a régné sur la Côte d’Ivoire, depuis l'indépendance du pays en 1960, jusqu’à sa mort à 88 ans. Gnassingbé Eyadéma a dirigé le Togo d’une main de fer pendant 38 ans, de janvier 1967 à 2005. Il a rendu l’âme à 71 ans. Omar Bongo Ondimba, a présidé le Gabon pendant presque 42 ans, avant de pousser son dernier soupir à 74 ans. Lansana Conté, la Guinée, de 1984 à 2008. Il a été, lui aussi, emporté par la maladie à 74 ans. A eux quatre, ils ont passé 137 années à la tête de leur pays.
 
C’est l’une des raisons pour lesquelles de plus en plus d’Africains souhaitent que les mandats des chefs d’Etat soient désormais limités à deux et que les candidats à la magistrature suprême prouvent, certificat médical à l’appui, qu’ils sont en parfaite santé.
 
Valentin Hodonou
 © SlateAfrique


29/01/2012
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