Cémac: Accablé Antoine Ntsimi

YAOUNDÉ - 11 Avril 2012
© Beaugas-Orain Djoyum | Le Jour

Refoulé de Bangui, le président de la Commission est devenu la cible d’accusations de gabegie. Le diplomate camerounais se terre à sa résidence dans son village. Son silence nourrit davantage les soupçons.

Chicago boy, California boy, 7ème président de la Cémac, père de la Cémac, etc., bien nombreux sont les qualificatifs pour désigner le président de la Commission de la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale (Cémac).

Mais le très bouillonnant Antoine Ntsimi ne dit plus rien. Rien aussi au sujet de la campagne qu’il avait récemment lancée sur son site web pour sa reconduction à la tête de la Cémac en 2012 pour un nouveau mandat de cinq ans. Terré dans sa luxueuse demeure au village Ezezang, à 10 km de Yaoundé, Antoine Ntsimi se repose. C’est de là qu’il lit, depuis le 22 mars 2012, au lendemain de son refoulement au Cameroun, les articles de la presse nationale et internationale au sujet de l’affaire qui, désormais, porte son nom. Le 7ème président de la Cémac, comme l’aurait appelé Paul Biya au cours d’une cérémonie officielle, est dans de beaux draps. Chez lui, il ne reçoit que sur rendez-vous. Surtout pas de journalistes.


Retraite

Inutile d’insister auprès du militaire armé qui ouvre le portail de la clôture en béton armé, d’environ 3,5m de hauteur et parée de fils barbelés qui empêchent de contempler le luxe de la résidence. Les articles et les révélations que les journalistes ont écrits au sujet de cette affaire y sont pour quelque chose. Les médias n’ont pas été tendres envers lui. Notamment Jeune Afrique. Même la presse nationale ne lui a pas fait de cadeau. «Comment Le Jour peut-il relayer les fausses informations que donne Jeune Afrique?», s’interroge un proche d’Antoine Ntsimi. «Nous voulons donner la bonne information en sollicitant un démenti de sa part. Un rendez-vous pour une interview sur les révélations de Jeune Afrique et sur sa version des faits concernant son refoulement de la République centrafricaine ne serait pas plus mal», répond le journaliste à ce proche. «Il ne parle pas. Actuellement, il est muet comme une tombe», rétorque notre interlocuteur.

Tout commence le 21 mars 2012 à l’aéroport de Bangui-Mpoko. Alors que l’homme fort de la Cémac débarque à peine du vol d’Ethiopian Airlines en provenance de Douala, le commissaire de l’aéroport lui indique que, sur hautes instructions du président de la Rca, François Bozizé, il lui est demandé de ne plus fouler le sol centrafricain où se trouve le siège de la Cémac. Cinq jours plus tard, le ministre des Affaires étrangères de la Rca publie un communiqué le déclarant persona non grata en Rca, "afin de préserver les bons rapports entre l'Etat de siège (la Centrafrique) et la Commission de la Cémac, et d'assurer le maintien des relations fraternelles et cordiales entre la République centrafricaine et les autres Etats membres de la Communauté". C’est ainsi qu’éclate au grand jour la guerre ouverte entre Antoine Ntsimi et le président François Bozizé, qui accusait déjà le Camerounais, sur les antennes de la télévision Vox Africa, «de ne pas respecter les textes et de faire traîner les choses».


Méprise

Si l’acte de François Bozizé est diversément apprécié par les Camerounais, un bon nombre désapprouve les comportements prêtés à leur compatriote de diplomate qui a été, de 1990 à 1995, le ministre des Finances du Cameroun. D’abord, son attitude à l’endroit du président de la République centrafricaine. «Il n’a aucun respect pour le chef de l’Etat centrafricain», affirme Mathurin Momet, le directeur de publication du Confident, un journal centrafricain. Joint au téléphone, ce patron de presse ajoute qu’Antoine Ntsimi n’a jamais répondu aux invitations de François Bozizé. «Antoine Ntsimi n’a jamais rencontré le ministre des Affaires étrangères de la Rca. Or, tout diplomate qui arrive à Bangui rencontre ce ministre. Idem pour le président de la République qu’il refuse de rencontrer». En effet, explique le journaliste, le mis en cause refuse de venir au palais présidentiel quand Bozizé l’invite. «Ils se rencontrent seulement lors des cérémonies officielles comme ce fut le cas lors du dernier sommet de la Cémac à Bangui», indique Mathurin Momet. Une attitude que le président centrafricain considère comme méprisante, d’après notre interlocuteur. Et ce mépris commence à la veille du sommet de Bangui, apprend-on. L’arrogance de l’ancien député de la Lékié est également décriée par des Camerounais résidant à Bangui. Dans une tribune publiée au Journal du Cameroun, Georges Njamkepo, sans précisions aucune, affirme que «dès les premiers jours de son magistère à Bangui en 2008, il s’est permis d’insulter copieusement, consciencieusement et avec une fréquence de métronome, le président Bozizé, chef d’un Etat frère».

Autre accusation portée par les Centrafricains à l’encontre d’Antoine Ntsimi, son manque d’estime à l’égard du peuple centrafricain. «Pour Antoine Ntsimi, il n’y a pas d’intellectuels en Rca. Or, nous avons des hauts cadres qui occupent des fonctions importantes dans les organisations internationales», note le directeur de publication du Citoyen. D’après lui, Antoine Ntsimi justifie son attitude par deux arguments: «La Rca n’est pas à jour de ses cotisations à la Cémac et il n’y a aucun intellectuel centrafricain pour le remplacer à la tête de la Communauté».

Les histoires concernant l’arrogance d’Antoine Ntsimi au Cameroun ont refleuri dans la presse camerounaise au lendemain de son refoulement de Bangui. Ainsi donc, rapporte le Messager, l’ancien député de la Lékié, au lendemain de son élection à l’Assemblée nationale, aurait jeté un journal à la figure de son directeur de la publication. Celui-ci venait fièrement lui montrer son tabloïd dans lequel le nouveau député figurait à la une. Mais Antoine Ntsimi n’a pas apprécié que figure sur la même une le Dg d’une société en charge de la production de l’eau. «Qui t’a dit que quand on parle de moi, on parle de celui-là?», aurait-il lancé au journaliste ébahi.


Dépensier

Autre fait caractérisant Antoine Ntsimi, son goût prononcé pour le luxe. Une qualité qu’on peut lui reconnaître. «Ce qu’on peut retenir d’Antoine Ntsimi, c’est qu’il est arrogant et qu’il vit dans un luxe insolent. D’après lui, la maison dans laquelle il habite n’est pas digne d’être celle d’un président de la Cémac. Or, tous les Camerounais qui ont dirigé la Cémac ou l’Udéac ont vécu dans cette maison sans problème. C’est aussi l’une des raisons pour lesquelles il est toujours entre deux avions», affirme le journaliste Mathurin Momet. Le luxe, c’est aussi dans ses déplacements en jet privé et ses déjeuners princiers. Jeune Afrique (n°2673) a récemment exposé quelques reliefs. D’après ce magazine, Antoine Ntsimi aurait présenté à la Banque des Etats de l’Afrique centrale (Béac) une facture faramineuse de 19.940 euros (13.079.782 F.Cfa) qui aurait servi à payer, au restaurant l’Orénac de l’hôtel Méridien Etoile à Paris, «une réception donnée le 14 février 2012 par le président de la Commission de la Cémac en l’honneur au directeur général de l’Agence française de développement, Dov Zerah, à l’occasion de la signature d’une convention budgétaire globale Afd-Cémac». Réception dont Dov Zerah ne se souvient pas d’ailleurs. Pour ses déplacements privés, pour le seul mois de février 2012, il aurait ordonné le décaissement dans le compte de la Cémac à la Béac de la somme de 322 millions F Cfa.


Mutisme

A toutes ces accusations et révélations, Antoine Ntsimi ne souhaite pas réagir. Samedi dernier, 07 avril 2012, après avoir emprunté une motocyclette au lieu-dit «Olembe dispensaire» à Yaoundé, l’on arrive, au bout de dix minutes de route environ, à son domicile au village Ezezang. Le militaire qui nous reçoit affirme qu’il est incompétent pour satisfaire notre demande. Il fait venir un gendarme qui explique au reporter du Jour que «Antoine Ntsimi ne reçoit que sur rendez-vous. Surtout pas les journalistes. Il a décidé de ne pas parler de la Cémac. Il y aura un temps pour cela. Il ne peut donc vous recevoir». Un silence diversement interprété.


Dévaluation

Mis de côté ses dépenses faramineuses et son comportement décrié, Antoine Ntsimi reste un diplomate dont les actions au Cameroun restent palpables et bénéfiques pour les finances nationales. Formé à la prestigieuse Chicago Booth School of Business, d’où il obtient un Mba en Finance, il a été, de 1990 à 1995, ministre des Finances du Cameroun. C’est à cette période qu’il s’illustre. Nommé dans un contexte de crise économique, il a pour mission de redresser l’économie camerounaise. On lui doit ainsi la restructuration du système bancaire camerounais au début des années 1990 après la faillite en cascade de plusieurs banques locales, l’instauration de la taxe sur la valeur ajoutée(Tva) en lieu et place d’une kyrielle de taxes, la réduction de la masse salariale des fonctionnaires et agents de l’Etat, l’instauration du système de péage routier et de la taxe à l’exportation des grumes, qui continuent de rapporter d’importantes recettes à l’Etat. Le succès de ces mesures crédibilise davantage le Cameroun auprès des bailleurs de fonds.

C’est également Antoine Ntsimi qui, le 14 janvier 1994, à Dakar au Sénégal, assis aux côtés des chefs d’Etat africains, annonce la dévaluation du FCfa. Deux ans après son limogeage du gouvernement, il est élu député de la Lékié. Il occupera le poste de vice-président de l’Assemblée nationale. Le 5 avril 2005, il est nommé, par la conférence des chefs d’Etat et de gouvernements de la Communauté économique des Etats de l’Afrique centrale (Cééac), secrétaire général adjoint chargé du département de l’Intégration physique, économique et monétaire. En avril 2007, Antoine Ntsimi devient le premier président de la Commission de la Cémac à la suite de la réforme communautaire.

Aujourd’hui âgé de 57 ans, il veut briguer un second mandat de cinq ans. Il brandit pour cela le Programme économique régional (Per). Il a récemment signé une convention d’aide globale avec l’Agence française de développement d’un montant d’environ 13,5 milliards F.Cfa pour le financement du Per. Son challenge ne sera pas évident dans la mesure où les présidents Bozizé de la Rca, Ali Bongo du Gabon militent depuis plusieurs années pour son éviction. Qu’importe ! Il s’est déjà assuré un parachute doré. Une indemnité pour services rendus à la Cémac d’un montant équivalent à 52 mois du dernier salaire brut. Soit environ un milliard de F.Cfa. Qui dit mieux ?


11/04/2012
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