Côte d`Ivoire: moyens et solutions de sortie de crise.

 19.12.2010 - Côte d`Ivoire: moyens et solutions de sortie de crise.

De : Dr Julien TSOUNGUI

Camerounlink.net - Political Expert.


Cela fait bientôt trois semaines, que l`Afrique vit à l`heure ivoirienne.

Cette situation qui nous interpelle tous, a ceci de particulier, qu`elle crée un précédent: Deux présidents élus pour un même pays.

Un président, Monsieur Alassane Dramane Ouattara (ou A.D.O), reconnu par la commission électorale indépendante (C.E.I) vainqueur avec 54.1% des suffrages exprimés contre 45.9% à son adversaire du second tour.

Un autre président, le sortant, Monsieur Laurent Gbagbo, reconnu vainqueur par le conseil constitutionnel, après invalidation des votes dans une partie du pays, avec 51.45% des suffrages exprimés contre 48.55% pour son adversaire.

Depuis l`annonce de ces résultats, nous assistons à un scénario ubuesque où, un président (A.D.O) est désigné comme légitime par la communauté internationale (il semblerait, que cette dénomination s`applique avant tout, à l`ensemble des pays occidentaux), qui ne reconnaît pas la validité des résultats publiés par le conseil constitutionnel, remettant en cause, la légitimité même du conseil constitutionnel d`un pays, rappelons-le, souverain.

La contestation indirecte de la légitimité susmentionnée s`appuie essentiellement sur la contestation directe de la légalité des motifs considérés par ledit organe, pour justifier les résultats par lui avancés.

D`autre part, Monsieur Laurent Gbagbo, désigné vainqueur, tire sa légitimité du conseil constitutionnel tant vilipendé, en ce qu`il est l`organe suprême, seul apte, à désigner, en dernier recours, le vainqueur de l`élection présidentielle.

Sa décision est sans recours et ne saurait être contestée, tant à l`intérieur du pays, qu`à l`extérieur.

S`opposer à sa décision, c`est méconnaître l`impartialité de cette institution et, venant de l`extérieur, cette contestation est perçue comme une ingérence violant la souveraineté de la côte d`ivoire.

Monsieur Laurent Gbagbo, a certes de nombreux détracteurs, mais il a également des défenseurs et des soutiens indéfectibles.

Les Panafricanistes, qui s`opposent à l`idée de toute forme de néocolonialisme et d`ingérence occidentale dans les affaires africaines, voient en lui un nouveau SANKARA, luttant pour le respect de la dignité des africains et du droit, pour ces derniers, à ce déterminer eux-mêmes.

Les Ivoiriens, semble en grande partie soutenir l`action du président sortant et considèrent Alassane Ouattara comme étant le Président désigné par l`occident.

Je ne reviendrai pas sur ces débats partisans et je m`abstiendrai de prendre parti.

Mon analyse se limitera essentiellement sur les moyens de sortie de crise.

Force est de reconnaître, que Monsieur Laurent Gbagbo est depuis sa prestation de serment isolé. La communauté internationale (sic) a apporté sont soutien indéfectible à Alassane Ouattara.

De l`occident, à la CEDEAO, en passant par l`Union Africaine, les pressions se font de plus en plus intenses.

Sur le plan financier, les comptes de la Côte d`Ivoire sont bloqués et l`UEMOA, incitée par Paris, a retiré au Président sortant sa signature.

Sur le plan personnel, une liste de proches (19 personnes), a été établie. Des sanctions sont prévues à leur encontre et portent notamment, sur la restriction des visas vers l`Union Européenne, le blocage de leurs avoirs à l`étranger, le risque des poursuites pénales, par la Cour Pénale Internationale, en cas de dérapage.

Il est ici intéressant de souligner, que la communauté internationale entend considérer Laurent Gbagbo et ses proches, comme seuls responsables des débordements et des tueries susceptibles de découler du pourrissement de la situation en cours en Côte d`ivoire.

Alassane Ouattara, retranché avec son gouvernement, à l`hôtel du Golf, sous la protection des Casques Bleus et des Forces Nouvelles, a beau jeu d`adopter la posture d`une victime, cernée par des forces armées, qui le place de fait en résidence surveillée.

Comme on peut le constater, la marge de manoeuvre de Laurent Gbagbo semble très limitée. De prime abord, seul un départ de ce dernier, lui éviterait de s`isoler de plus en plus dans un scénario à la Zimbabwéenne, au ban de la communauté internationale, sans ressources financières, avec le risque à moyen terme de plonger la Côte d`Ivoire dans une crise économique, financière et sociale sans précédent.

L`armée, dernier rempart du régime Gbagbo, bien payée, semble indéfectible. Qu`en sera t-il dans quelques mois, quand privé de ressources financières, le Président Gbagbo ne pourra plus honorer les salaires des militaires? Le risque de trahisons futures n`est pas à exclure.

Que Peut faire Monsieur Laurent Gbagbo?


- Organiser des nouvelles élections.

Le conseil constitutionnel est venu invalider les résultats publiés par la C.E.I, au motif, que le délai qui lui était imparti pour se prononcer avait expiré; qu`il appartenait alors au conseil constitutionnel de publier les résultats, après s`être prononcé sur d`éventuels recours.

Force est de constater, que les partisans de Laurent Gbagbo, avaient fait des recours sur l`organisation des élections dans la partie rebelle de la Côte d`Ivoire, où des fraudes et des violences avaient été signalées.

Sur la base de ces recours, le Conseil constitutionnel va purement et simplement invalider les résultats de l`élection présidentielle dans les régions concernées, toutes acquises à la cause d’A.D.O, à savoir, les régions de la Savane, du Bandama et de Worodougou. Les résultats constatés hors ces régions, donnent la victoire au Président sortant.

- Sur le dépassement du délai de publication des résultats, par la C.E.I.

Il est reproché à la C.E.I d`avoir dépassé de 24 heures le délai de publication des résultats.

Force est de constater, que si la C.E.I avait trois jours, à l`issue du second tour, pour publier les résultats de l`élection présidentielle, le dépassement du délai ne saurait lui être imputable.

Elle a été en de nombreuses reprises empêchée de se prononcer. C`est ainsi, qu`en date du 30 novembre, son président, Monsieur Bamba Yacouba, qui avait convoqué la presse afin de donner lecture desdits résultats, c`est vu contraindre physiquement, au silence, par un membre de ladite commission proche du président sortant.

Par ailleurs, le lendemain, mercredi 1er octobre, date de l`expiration du délai imparti à la C.E.I, l`accès aux locaux de la C.E.I était interdit aux médias.

Face à cette situation, La C.E.I ne pouvait, à temps, rendre public les résultats du second tour des élections présidentielles.

Les membres de la C.E.I, pro Gbagbo ont usé de toutes les mesures dilatoires (contestations, blocages...), afin de mettre la C.E.I en échec et de transférer au profit du Conseil Constitutionnel le droit de se prononcer en dernier ressort.

Par conséquent, au regard de ce qui a été développé ci-dessus, la C.E.I ne saurait être écartée sur cet argument fallacieux. L`imputabilité des retards est du seul fait des agents pro Gbagbo de ladite commission.

Comme dit l`adage: "Nul ne peut se prévaloir de sa propre turpitude".


- Sur l`invalidation des élections dans certaines régions.

Le Conseil Constitutionnel est bien compétent à statuer sur les contestations de résultats des votes.

Par conséquent, c`est fort de cette prérogative, que le Conseil Constitutionnelle saisi, a reconnu que l`organisation des élections dans certaines régions du nord, avait été entachée d`irrégularités (fraudes, violences...).

Il était donc logique d`invalider les résultats dans cette région.

Par contre, ce qui est illogique, c`est que le conseil constitutionnel décide l`invalidation des résultats dans ces régions et proclame immédiatement des résultats favorables au président sortant, Monsieur Laurent Gbagbo.

Cette curieuse pratique va à l`encontre des principes de droit. En matière de contentieux électorale, dans les démocraties, notamment en Europe, et particulièrement en France, l`invalidation d`une élection n`entraine pas son annulation pure et simple, mais plutôt, l`organisation d`une nouvelle élection. C`est ainsi, qu`en France il est courant d`assister à une invalidation d`une élection dans une circonscription et à l`organisation d`une élection dite "partielle", dans la circonscription concernée. On parle alors de "législative partielle" ou de "municipale partielle".

Il est important de souligné, que l’article 64 du code électoral ivoirien, révisé en 2008 prévoit qu’au cas où le Conseil Constitutionnel « constate des irrégularités graves de nature à entacher la sincérité du scrutin et à en affecter le résultat d’ensemble », il doit prononcer « l’annulation de l’élection présidentielle » (et non pas l’identité du vainqueur), un nouveau scrutin devant être organisé « au plus tard quarante-cinq jours » à compter de la date de cette décision.


Le droit de vote est à la base de toute démocratie. C`est une liberté fondamentale, qui garantit le caractère démocratique d`une nation.

Par conséquent, annuler purement et simplement les résultats d`une élection dans certaines régions, sans prendre le soin d`organiser une nouvelle consultation, conformément aux dispositions de l’article 64 susmentionnée, c`est retirer aux populations concernées la jouissance de ce droit, qui rappelons-le est garantie par la constitution en tant que liberté fondamentale.

Quand on constate, que les régions aux scrutins invalidés sont des régions largement acquises à la cause d`Alassane Ouattara, on comprend mieux le courroux de ce dernier.

Par conséquent, une des voies de sortie de crise, pour Monsieur Laurent Gbagbo serait de proposer à son adversaire d`organiser de nouvelles élections générales dans les meilleurs délais (uniquement le second tour), afin de prendre en considération le vote des populations des régions indexées.

Des élections générales avec l`accès dans toutes les régions des superviseurs des différentes parties, de l`Union Africaine et de l`ONU.

Cette proposition doit être franche, sans équivoque et sans condition.

Monsieur Alassane Ouattara n`aura d`autre choix, que d`accepter, au risque de se faire passer, comme le fossoyeur de la démocratie en Côte d`Ivoire, sourd au dialogue. Son intransigeance ne pourrait, à terme, que lui être préjudiciable.

Le risque pour Monsieur Laurent Gbagbo, serait d`organiser ce nouveau second tour et de le perdre.

Il aura alors le mérite de sauver la face et de sortir avec les honneurs, en respectant le choix des urnes et en garantissant la paix dans le pays et la pérennité des institutions.

La Communauté internationale, qui ne veut pas d`un embrasement de la situation en Côte d`Ivoire, ne s`opposera pas à cette proposition, sauf à émettre des réserves sur l`organisation de ce nouveau scrutin.

Il appartiendra donc à Monsieur Laurent Gbagbo de donner toutes les garanties nécessaires à la bonne tenue de cette consultation. Il pourrait par exemple transférer l`organisation de ces nouvelles élections, à une Commission Electorale Indépendante, sous la supervision directe de l`Union Africaine et/ou de l`ONU.

Le conseil constitutionnel se trouvant de fait écarté de ce processus. Les cas de contestations éventuelles étant réglés par une commission mixte constituée de personnalités indépendantes internationales et nationales...

Ce choix de refaire le second tour, me semble seul à même de rétablir une certaine légitimité au futur président élu.


- Poursuivre le bras de fer.

Monsieur Gbagbo peut décider de se maintenir au pouvoir envers et contre tous.

Son régime sera alors mis au ban de la communauté internationale. Des sanctions de plus en plus sévères seront prises contre son régime, avec le risque à terme, d`un embargo pure et simple sur les produits et les biens en provenance et à destination de la Côte d`Ivoire.

Dans tous les cas le peuple ivoirien payera le prix fort. Des émeutes de la faim, des troubles sociaux diverses seront leurs lots. Le régime Gbagbo déjà sur la défensive, ne pourra que réagir avec fermeté face à cette situation. Les risques de dérapages seront importants.

L`occident qui tient Laurent Gbagbo pour responsable des désordres futurs, demandera au C.P.I de se saisir de tout acte de tuerie ou de barbarie constaté.

Le clan Ouattara, conscient de la position fragile de son adversaire, ne manquera pas de le pousser dans ses derniers retranchements.

On peut d`ores et déjà constater, que les marches et manifestations prévues par le premier ministre du gouvernement d`Alassane Ouattara, Monsieur Guillaume Soro et qui visent directement les symboles même du pouvoir (la prise de la télévision, de la primature, des ministères...), ont pour but de contraindre le régime Gbagbo, acculé, à des réactions de violence disproportionnées, qui seront immédiatement dénoncées et sanctionnées par la communauté internationale.

Monsieur Gbagbo, peut également décider d`en finir avec les supposés mutins, retranchés dans l`hôtel du golf et, là, ce sera à ses risques et périls, si l`ont considèrent que ni l`ONU, ni les forces françaises de l`opération Licorne, ne toléreront une quelconque agression directe à l`encontre de Monsieur Alassane Ouattara.

A terme, Ce régime, risque de subir les conséquences de sa propre asphyxie.

A court de ressources financières, les dissensions ne tarderont pas à apparaître. Les complots en tout genre et, pourquoi pas, un putsch d`un officier opportuniste.

La population, lasse et appauvrie, soutiendra de moins en moins un régime, qu`elle considérera comme étant à l`origine de ses malheurs.

Sans oublier le risque de la reprise de la guerre civile, avec pour corollaire, le risque d`une partition du pays, qui si elle n`est pas encore effective, se dessine de plus en plus.

Persévérer dans la situation actuelle semble peu judicieux, pour tous les acteurs de cette crise, en particulier pour le clan Gbagbo.

- décider de se retirer.

Enfin, Monsieur Laurent Gbagbo peut décider de se retirer, comme l`incite à le faire la communauté internationale.

Tout est question de garanties futures, d`immunité…

Si la communauté internationale accepte comme contrepartie du retrait de Laurent Gbagbo, de lui accorder une immunité, sur tous les actes commis durant sa présidence;

Si Alassane Ouattara lui accorde sur le plan interne, cette immunité, peut-être partira t-il.

Mais, son entourage le voudrait-il? Comment réagiront ceux qui ce sont impliqué totalement à ses côtés dans cette crise et qui ne se verraient pas attribuer les même garanties (Blé Goudé et consort) ?

Par ailleurs, rien ne dit que cette immunité ne soit pas révoquée dès l`instant, que Monsieur Alassane Ouattara aura définitivement intégrer sa fonction.

Rappelons-nous le scénario libérien où Charles Taylor avait abandonné le pouvoir certain de jouir d`une immunité totale dans son exil nigérian. Il est actuellement en détention dans l`attente du verdict de son procès auprès de la C.P.I...

Monsieur Gbagbo, n`a que peu de temps et pas beaucoup de solutions devant lui. De sa décision, dépend le sort d`une nation qui a longtemps fait la fierté de notre continent. Il en sortira grandi ou honni de ses pairs.


Dr Julien TSOUNGUI

Camerounlink Political Expert.


19/12/2010
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