Côte d’Ivoire: le qui-perd-gagne irrationnel de Laurent Gbagbo

13 DEC 2010
© Narcisse Tiky, USA | Correspondance

"...Le scenario de 2003 qui aboutit au renversement du régime de Saddam Hussein est souhaitable dans le cas actuel de la Côte d’Ivoire..."


Laurent Gbagbo
Photo: © Archives
Soutenir que Laurent Gbagbo est le président de la Côte d’Ivoire suite au coup de force du Conseil Constitutionnel c’est faire du juridisme. C’est faire preuve de mauvaise foi ou d’ignorance, ou les deux à la fois. Alassane Ouattara est le président de la Côte d’Ivoire à la suite de l’élection présidentielle de novembre 2010 et la forfaiture du président du Conseil Constitutionnel ne changera pas les résultats. Comme les autres institutions du pays qui n’ont pu ramener la paix et l’unité, cette institution fut mise politiquement hors jeu par l’accord de Ouagadougou. Et même s’il lui était resté un rôle symbolique, elle s’est définitivement disqualifiée en piétinant les termes de l’ordonnance de mars 2008 amendant le code électoral. Comme bien d’Africains avant lui, Laurent Gbagbo est en train de payer le prix de son incompréhension des relations internationales et d’une arrogance qui le rendent infréquentable par ses voisins; deux défaillances qui font de lui aujourd’hui un éléphant aux pattes de gazelle.

La Côte d’Ivoire a certes un Conseil Constitutionnel qui, en temps normal, est l’instance de dernier recours pour la certification des résultats de l’élection présidentielle. Mais il se trouve que le pays est allé aux élections en temps anormal. Les élections se sont tenues à la suite d’un consensus politique négocié sous les auspices de l’Afrique du Sud en 2005 et du Burkina Faso en mars 2007 et signé par les parties au jeu politique et militaire de la Côte d’Ivoire. La quasi-totalité des acteurs ont accepté ce consensus comme pré-condition au retour de la paix et à la réunification du pays. Ce sont les termes de ce consensus qui ont gouverné l’organisation de l’élection présidentielle de novembre 2010. C’est parce qu’il y a eu ce consensus que les Nations Unies ont accepté de prendre part à ces élections en les finançant et en les supervisant.

C’est encore à la suite de cet accord que le Conseil de Sécurité des Nations Unies a fait passer le 16 juillet 2007 la résolution 1765 qui dit clairement qu’il revient aux Nations Unies de «certifier» les résultats que la Commission Electorale Indépendante (CEI) aura proclamés; ce qui mettait de facto la Côte d’Ivoire sous tutelle électorale des Nations Unies. L’accord politique de Ouagadougou et la résolution 1765 donnent ainsi explicitement aux Nations Unies le dernier mot en ce qui concerne cette élection présidentielle. L’accord de Ouagadougou dont l’objectif était de réunifier le pays autour d’un président démocratiquement élu par les Ivoiriens en âge de voter n’attribue aucun rôle au Conseil Constitutionnel et à toute autre institution ivoirienne dans la certification de ces élections. Cet accord a été fait en dehors des institutions de la république de Côte d’Ivoire, il se superpose par conséquent à celles-ci.

Même si on admet que le Conseil Constitutionnel gardait un rôle symbolique dans le contexte particulier de ces élections, cette instance s’est disqualifiée elle-même dès lors qu’elle a violé de façon flagrante les termes du code électoral amendé en mars 2008. Celui-ci stipule en effet que «dans le cas où le Conseil Constitutionnel constate des irrégularités de nature à entacher la validité du scrutin et à en affecter le résultat d`ensemble, il prononce l`annulation de l`élection.» A comprendre l’action de M. Paul Yao N’Dré, président dudit conseil, il n’y a pas eu d`événements ou de circonstances suffisamment graves pour prononcer l’annulation totale de l’élection. Les « irrégularités » par lui constatées dans sept départements du nord du pays étaient pourtant de nature à entacher la validité du scrutin puisqu’elles faisaient de Ouattara le vainqueur. Le constat de ces irrégularités devaient donc l’obliger à prononcer l’annulation de l’élection présidentielle et non de proclamer Laurent Gbagbo vainqueur. Le président d’une cour constitutionnelle qui viole le texte de l’institution qu’il dirige, c’est écœurant!

Dans un appel télévisé lancé à ses soldats de la rue financés par Laurent Gbagbo, Blé Goudé a comparé la situation de son pays aux élections présidentielles américaines de l’an 2000. Il a estimé que le Conseil Constitutionnel de son pays a le même pouvoir que la Cour Suprême des USA de déclarer le vainqueur du deuxième tour. Quel amalgame ! Le consensus qui donne ce pouvoir à la Cour Suprême américaine sur tout contentieux électoral s’appelle la Constitution, une institution multi-centenaire qui est vénérée par tous les citoyens. Parce que la Côte d’Ivoire était en guerre et coupée en deux, les acteurs politiques ont négocié un accord politique qui met de facto entre guillemets le Conseil Constitutionnel (qui n’est en définitive que celui d’une partie du pays, le nord aurait pu aussi se doter d’une telle institution). Ce n’est pas une situation inédite que la Côte d’Ivoire serait le premier pays à expérimenter. Suite à des accords politiques en Namibie ou au Timor oriental, les Nations Unies se sont occupées des élections d’un bout à l’autre et les résultats ont été acceptés par toutes les parties. En Angola, l’ONU qui a financé le processus électoral en 1992 n’était pas chargé de son organisation comme en Côte d’Ivoire. Mais elle y avait une mission d’observation très active et qui a jugé les élections libres et justes. Un verdict alors accepté par les USA, l’Union Européenne, l’Afrique du Sud et toute la communauté internationale. Seul Jonas Savimbi, le mauvais perdant, et les siens avaient rejeté le choix des populations angolaises. Laurent Gbagbo est en train de servir la musique macabre des mauvais perdants.

Au terme du premier tour de cette élection présidentielle ivoirienne et après avoir fait son travail de décompte, la Commission Electorale Indépendante a déclaré M. Gbagbo premier parce qu’ayant eu le plus grand pourcentage des suffrages exprimés, 38%, suivi de Ouattara 32 %, et de Bédié 25%. Le Rassemblement des houphouétistes pour la démocratie et la paix (Rhdp), coalition qui englobait Ouattara et Bédié, a réclamé un nouveau décompte des voix, estimant d’après les paroles de M. Anaki kobenan « qu’il y a trop d’éléments pour que cette élection puisse être considérée comme normale, digne d’un Etat démocratique ». Peine perdue ! Le président du fameux Conseil Constitutionnel ne donna aucune suite aux réclamations des opposants ; il valida les résultats et annonça la date du second tour. Les Nations Unies et l’ensemble des observateurs présents en Côte d’Ivoire furent d’accord que les élections s’étaient déroulées dans des conditions globalement acceptables. Et si Gbagbo avait perdu au premier tour, y aurait-il eu un second tour ? Un des principes qui rendent une élection démocratie c’est celui du « ex-ante uncertainty », c'est-à-dire que l’issue du scrutin doit être incertaine et donc que le candidat qu’on dit le mieux placé peut gagner ou perdre.

Au terme du second tour, la CEI fait son travail de décompte et déclare Alassane Ouattara largement vainqueur avec 54.10% des suffrages contre 45.9% pour le président sortant, Laurent Gbagbo. C’est au tour du camp du candidat Gbagbo de contester la régularité du scrutin mais ceci seulement dans des départements du nord où Ouattara a du reste largement gagné au premier tour. Cette fois-ci, le président du Conseil Constitutionnel, avant tout effort de vérification des résultats, déclare que la CEI était désormais disqualifiée et qu’il était le seul maitre à bord. Il décide plus tard d’invalider les résultats uniquement dans les départements visés par Gbagbo et de déclarer vainqueur le mauvais perdant. Selon M. N’Dré cette décision est prise sur la base des rapports des administrateurs de l’Etat dans les départements concernés. Les rapports desdits administrateurs sont pourtant sans équivoque : le rapport du préfet de Bouaké Konin Aka souligne que «le vote s’est déroulé normalement dans la commune de Bouaké»; Le préfet de la région des Savanes déclare «qu’aucun empêchement de vote n’a été signalé» ; et Daouda Ouattara, préfet Hors Grade du département de Séguéla révèle que «le 2ème tour du scrutin présidentiel du 28 novembre s’est bien déroulé». Quand on accepte de participer à des élections démocratiques, on accepte explicitement d’obéir au principe du « ex-post irreversibility », c’est-à-dire que le résultat d’une élection est irréversible même en cas de victoire de l’opposition. Cela signifie simplement que le vainqueur de l’élection doit pouvoir gouverner.

C’est le message que la communauté internationale, excepté les voix discordantes de la Russie, de la Chine et de l’Angola, envoie au mauvais perdant Gbagbo depuis sa tentative de putsch électoral avec la bénédiction d’une institution qui n’a aucune légitimité en ce qui concerne la validation des résultats. Les Nations Unies, l’Union Africaine, l’Union Européenne, la CEDEAO, les Etats Unies et la France reconnaissent Ouattara comme le vainqueur de l’élection et le président légitime de la Côte d’Ivoire. Cette communauté internationale exige le départ sans conditions de Laurent Gbagbo.

Il faut pourtant faire mieux que demander le départ d’un politicien au comportement irrationnel. La résolution du Conseil de Sécurité des Nations Unies du 8 décembre qui reconnait clairement Ouattara comme président de la république de Côte d’Ivoire est un premier pas décisif dans le sens du dénouement de la crise. Mais il faudrait par la suite très rapidement contraindre Gbagbo et ses supporteurs jusqu’au-boutistes à quitter le palais présidentiel et autres bâtiments administratifs par la force. Une autre résolution du Conseil de Sécurité devrait traduire en réalité tangible celle du 8 décembre. Et si la Russie ou la Chine menacent de s’y opposer il faudrait alors adopter la stratégie de George Bush en 2003. Une force militaire de la CEDEAO ou de l’Union Africaine devrait être montée, avec le soutien des USA et de l’Union Européenne pour faire respecter les accords de 2005 et de 2007. Le scenario de 2003 qui aboutit au renversement du régime de Saddam Hussein est souhaitable dans le cas actuel de la Côte d’Ivoire. L’utilisation de la force pour prévenir le massacre des populations civiles qui aurait inévitablement lieu en cas d’affrontement militaires entre les prétendants au pouvoir est une solution moralement et politiquement acceptable.

Il faudrait aussi, peut-être pour minimiser les couts, envisager la solution libérienne: négocier le départ de Gbagbo en Angola ou en Russie et plus tard actionner le levier de la CPI; les crimes politiques ne doivent pas rester impunis. Trop d’Ivoiriens sont morts depuis le putsch électoral des 3 et 4 décembre.

En dix ans de pouvoir certes limité à une partie de la Côte d’Ivoire, Gbagbo n’a pas pu ou su se faire des amis et nouer des alliances avec des Etats voisins ou des puissances prêtes à le soutenir mordicus. C’est extraordinaire qu’il n’y ait pas une seule voix qui s’élève dans la sous région pour le défendre. Même ses amis du parti socialiste français l’on lâché. Son isolement est dû à une arrogance doublée de myopie en politique internationale qui lui fait croire que son pays est encore cet éléphant qui hier montrait le chemin du développent aux autres Etats de l’Afrique de l’ouest. La réalité de la guerre civile qui a frappé le pays lui a pourtant donné à l’éléphant des pieds de gazelles. Le monde entier le savait et ses voisins ont tôt fait d’intégrer cette donnée dans leurs relations avec Gbagbo et son pays. La gestion du pourvoir par Gbagbo doit servir de leçon aux nationalistes africains et à leurs apprentis d’aujourd’hui et de demain qui réussirait à prendre le pouvoir: il faut prendre le temps d’étudier et de comprendre comment fonctionnent les relations internationales. Il faudrait comprendre sur quoi repose la survie d’un Etat faible dans ce contexte de mondialisation avancée et de toujours être au courant de la direction que prennent les intérêts des pays qui comptent. Un bon politicien doit pouvoir reconnaitre à temps qu’il a perdu une bataille afin d’éviter une humiliation dont il ne se relèverait pas. Il peut alors se muer en stratège dans la perspective des échéances électorales à venir. Au Benin voisin on a vu le président Kérékou partir et revenir au pouvoir.

Narcisse Tiky
Professeur de sciences politiques
University of Connecticut, USA




13/12/2010
0 Poster un commentaire

Inscrivez-vous au blog

Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour

Rejoignez les 299 autres membres