Canada-Cameroun: Cahier d'un retour au pays natal d'Aimé Césaire faisait-il si peur au régime de Yaoundé???

CRPN:Camer.beCherchons à comprendre pourquoi ce livre a été censuré des anales scolaires camerounaise. «Au bout du petit matin..ivre de ton chant divin je suis toi, volcan rebelle, la flamme, l'étincelle. A corps perdu et à la barre, il faut la faire notre HISTOIRE.» Votre rubrique lance la saison des fêtes avec poésie. Merci pour la très belle saison qui s’achève en toute beauté grâce à votre grande participation. Morceaux choisis d'un livre qui rend rebelles les jeunes lecteurs et que le régime Biya a vite fait d’effacer de la mémoire de la nouvelle génération ...

''Cahier d'un retour au pays natal''... et si c'était la lecture de ce livre qui avait fait de moi la femme activiste que je suis aujourd'hui... ?

Quand le suprême Aimé Cesaire écrivait ce livre, c'était pour sa Martinique natale avant tout. Or un livre qui dépeint la situation misérable  des opprimés traverse rapidement les frontières et tous les opprimés du monde entier peuvent se l’approprier.

C'est ainsi que '' Cahier d'un retour au Pays natal'' demeure mon seul livre de chevet ;  je ne me suis jamais lassée de le relire puisque quand je remplace la Martinique par le Cameroun on peut se dire qu'il s'agit définitivement du Cameroun dépeint dans ce livre.

Morceaux choisis d'un livre qui rend rebelles les jeunes et que le régime Biya a vite fait d’effacer de la mémoire de la nouvelle génération.

«Au bout du petit matin..ivre de ton chant divin je suis toi, volcan rebelle, la flamme, l'étincelle. A corps perdu et à la barre, il faut la faire notre HISTOIRE.» 
Au bout du petit matin bourgeonnant d’anses frêles les camerounais qui ont faim, les camerounais grêlées de petite vérole, les camerounais dynamitées d’alcool, échouées dans la boue de cette baie, dans la poussière de ce pays sinistrement échoués.

Au bout du petit matin, l’extrême, trompeuse désolée eschare sur la blessure des eaux ; les martyrs qui ne témoignent pas ; les fleurs de sang qui se fanent et s ‘éparpillent dans le vent inutile comme des cris de perroquets babillards ; une vieille vie menteusement souriante , ses lèvres ouvertes d’angoisses désaffectées ; une vieille misère pourrissant sous le soleil, silencieusement ; un vieux silence crevant de pustules tièdes, l’affreuse inanité de notre raison d’être.

Au bout du petit matin, sur cette plus fragile épaisseur de terre que dépasse de façon humiliante son grandiose avenir – les volcans éclateront, l’eau nue emportera les taches mûres du soleil et il ne restera plus qu’un bouillonnement tiède picoré d’oiseaux marins – la plage des songes et l’insensé réveil.

Partir....
Partir.
Comme il
y a des hommes-hyènes et des hommes-
panthères, je serais un homme-juif
un
homme-cafre
un homme-hindou-de-Calcutta
un
homme-de-Harlem-qui-ne-vote-pas

l'homme-famine, l'homme-insulte,
l'homme-torture
on pouvait à n'importe quel moment le saisir le rouer
de
coups, le tuer - parfaitement le tuer - sans avoir
de compte à rendre à
personne sans avoir d'excuses à présenter à personne
un homme-juif
un
homme-pogrom
un chiot
un mendigot

mais est-ce qu'on tue le Remords,
beau comme la
face de stupeur d'une dame anglaise qui trouverait
dans sa
soupière un crâne de Hottentot?

partir...
Je retrouverais le secret des
grandes communications et des grandes combustions. Je dirais orage. Je
dirais
fleuve. Je dirais tornade. Je dirais feuille. Je dirais arbre. Je serais mouillé
de toutes les pluies,
humecté de toutes les rosées. Je roulerais comme du
sang frénétique sur le courant lent de l'oeil des mots
en chevaux fous en
enfants frais en caillots en couvre-feu en vestiges de temple en pierres
précieuses assez loin pour décourager les mineurs. Qui ne me comprendrait pas ne
comprendrait pas davantage le rugissement du tigre.
Et vous fantômes montez
bleus de chimie d'une forêt de bêtes traquées de machines tordues d'un jujubier
de chairs pourries d'un panier d'huîtres d'yeux d'un lacis de lanières découpées
dans le beau sisal d'une peau d'homme j'aurais des mots assez vastes pour vous
contenir

et toi
terre tendue terre saoule
terre grand sexe levé vers le soleil
terre grand
délire de la mentule de Dieu
terre sauvage montée des resserres de la mer
avec
dans la bouche une touffe de cécropies
terre dont je ne puis comparer
la face houleuse qu'à
la forêt vierge et folle que je souhaiterais pouvoir
en
guise de visage montrer aux yeux indéchiffreurs
des
hommes
Partir. Mon coeur bruissait de générosités emphatiques. Partir... j'arriverais lisse et jeune dans ce pays mien et je dirais à ce pays dont le limon entre dans la composition de ma chair : « J'ai longtemps erré et je reviens vers la hideur désertée de vos plaies ».

Je viendrais à ce pays mien et je lui dirais : Embrassez-moi sans crainte... Et si je ne sais que parler, c'est pour vous que je parlerai».
Et je lui dirais encore :
« Ma bouche sera la bouche des malheurs qui n'ont point de bouche, ma voix, la liberté de celles qui s'affaissent au cachot du désespoir. »

Et venant je me dirais à moi-même :
« Et surtout mon corps aussi bien que mon âme, gardez-vous de vous croiser les bras en l'attitude stérile du spectateur, car la vie n'est pas un spectacle, car une mer de douleurs n'est pas un proscenium, car un homme qui crie n'est pas un ours qui danse...

Partir....

Ma Bouche Sera La Bouche Des Malheurs Qui n'Ont Point De Bouche Ma Voix La Liberté De Celles Qui s'Affaissent Au Cachot Du Desespoir

Aimé Césaire
Aimé Fernand David Césaire est un poète et homme politique français martiniquais, né le 26 juin 1913 à Basse-Pointe et mort le 17 avril 2008 à Fort-de-France.

 

© Camer.be : Felicité Ngadja


09/12/2012
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