Cameroun,Révélations de Wikileaks : La presse devrait-elle couvrir les mensonges et les complots d’Etat ?

Cameroun,Révélations de Wikileaks : La presse devrait-elle couvrir les mensonges et les complots d’Etat ?

Revue De Presse:Camer.beLe gouvernement et le parti au pouvoir refusent de s’expliquer sur le fond des révélations faites par la presse nationale en relayant des informations diffusées par le site Internet Wikileaks. Comme toujours, la parade consiste à accuser les acteurs des médias de manquer de professionnalisme. Et pourtant…  La scène médiatique camerounaise a été marquée le week-end dernier par l’omniprésence, sur les plateaux de radio et de télévision, du sujet concernant l’exploitation des télégrammes de l’ambassade des Etats-Unis d’Amérique par la presse nationale au cours des deux dernières semaines. Le débat portait, entre autres préoccupations, sur l’importance accordée par la presse nationale aux « dépêches » de Wikileaks aujourd’hui. L’interrogation principale concernait particulièrement l’opportunité, pour la presse camerounaise, de relayer dans ses colonnes, ses ondes ou ses écrans, des opinions attribuées à quelques membres plus ou moins importants du gouvernement camerounais, en cette veille de l’élection présidentielle. Le procès de la presse a encore été instruit à cette occasion. Elle était accusée à mots couverts de s’être associée à une œuvre de déstabilisation contre le Régime en place.

Comme tous les week-ends, le couple Rassemblement démocratique du Peuple camerounais (Rdpc) et le gouvernement a pris d’assaut les médias audiovisuels en plaçant au moins un de ses représentants dans les émissions de débats et les magazines de grande écoute. La part belle a été donnée aux enseignants de l’Ecole de journalisme de Yaoundé (Esstic) pour jouer les avocats du Régime et procurateurs de la presse : Jacques Fame Ndongo sur Dimanche Midi à la Crtv-radio, M. Mabou sur Scènes de Presse à la Crtv-télé, Issa Tchiroma Bakary sur Actualités Hebdo toujours à la Crtv télé, Valentin Nga Ndongo à Canal Presse sur Canal 2. On en oublie beaucoup. Revêtus de leurs manteaux d’hommes de sciences ou de tuteurs (ancien ou actuel) de la presse, ils ont seriné la même « vérité » : les informations diffusées par Wikileaks étaient totalement infondées et la presse nationale avait manqué de professionnalisme en les servant au public. Quelques leçons de journalisme ont été distillées ici et là, notamment concernant l’exploitation des sources d’information…

Si le Rdpc et le gouvernement du Cameroun jouissent pleinement du droit de critiquer le travail de la presse, dans le cadre bien compris de la liberté d’opinion garantie par la Constitution, cette démarche critique doit se garder de remettre en cause la sacralité des faits, pour préserver le droit du public à l’information. De ce fait, l’œuvre de sape entreprise par les « avocats » du Rdpc appelle quelques précisions. La première concerne Wikileaks, la source d’information à laquelle sont allés s’abreuver les journaux Camerounais. Wikileaks est en effet un site Internet qui diffuse largement des fuites (leaks) d'informations, le plus souvent des documents officiels et confidentiels qu’il publie dans leur version originale. Son but est de faire reculer le secret par une information sans limite du public.

Informations crédibles

Créé en 2006 et dirigé par Julian Assange, un informaticien australien, ce site Internet a déjà diffusé une vidéo montrant des militaires américains, en Irak, faisant feu depuis un hélicoptère sur des civils ; des rapports militaires du Pentagone sur la guerre en Afghanistan, puis sur celle d'Irak. Ses révélations touchent aussi à la diplomatie : 250 mille télégrammes diplomatiques, extraits de la correspondance entre le Département d'État à Washington et ses ambassades entre 2004 et 2010 ont été mis en ligne. Ces télégrammes touchent à la planète entière et c’est parmi eux qu’ont été sélectionnées les câbles rendant compte des confidences de certains officiels camerounais aux diplomates américains. L’authenticité de ces télégrammes n’a jamais été remise en question nulle part dans le monde. Le Cameroun ne saurait faire exception.

La seconde précision concerne l’attitude de la presse vis-à-vis des informations diffusées par Wikileaks, qui n’est pas un site d’informations classique. Avant la presse camerounaise, plusieurs journaux de réputation internationale (dont certains ont souvent servi de supports aux campagnes médiatiques fort coûteuses du chef de l’Etat sur la scène internationale) se sont servis à la source de Wikileaks : le New York Times (Usa), The Guardian (Grande-Bretagne) Der Spiegel (Allemagne), Le Monde (France) et El Païs (Espagne), pour ne citer que ceux-là, ont d’ailleurs négocié des partenariats avec le site pour servir leurs lecteurs. Lorsque cela était nécessaire, ces journaux se sont permis de prendre des dispositions pour protéger des sources exposées dans les dépêches de Wikileaks avant de servir l’information à leurs lecteurs. Et même avec cette précaution, la démarche n’a pas toujours été au goût des politiques. Nicolas Sarkozy, le chef de l’Etat français, estimait par exemple que « La diffusion de ces documents (Wikileaks), c'est le dernier degré de l'irresponsabilité ». Et l’éditorialiste du Monde, Sylvie Kauffmann, rétorquait qu’informer n'interdisait pas d'agir avec responsabilité. Avant de préciser, pour distinguer le travail de son journal de ce que fait Wikileaks que « transparence et discernement ne sont pas incompatibles ». Il n’y a donc pas qu’au Cameroun où le gouvernement et la presse affichent des divergences par rapport à l’exploitation des informations publiées par le site Wikileaks, même si ailleurs, personne n’a osé mettre en doute le professionnalisme de la presse.

Le problème au Cameroun réside dans la forme prise par les critiques adressées à la presse nationale ces derniers jours. Son professionnalisme est totalement remis en question par ceux qui ignorent tout du processus médiatique y compris par les professionnels du double langage et de la contrevérité (comme Issa Tchiroma). Tout se passe comme si, du jour au lendemain, la presse est devenue ivre et a perdu ses repères. Pourquoi exploite-elle les informations de Wikileaks à la veille de la présidentielle, s’interrogent quelques analystes du week-end ? D’autres trouvent scandaleux que des « secrets d’Etat », c’est comme ça qu’ils les désignent, se retrouvent sur la place publique. Les nationalistes marron, pour leur part, estiment qu’une importance démesurée est accordée à une ambassade étrangère… Et le couple Rdpc/gouvernement, qui a intérêt à semer le doute auprès du public, fait feu de tout bois pour brouiller les pistes. Evidemment, aucune des personnalités mises en cause ne vient s’expliquer devant la presse. Pourtant les révélations de Wikileaks sont d’une gravité extrême : certaines remettent en question toute idée d’unité nationale dans une société aussi complexe que la nôtre pendant que d’autres mettent en cause les capacités des plus hautes autorités de l’Etat par rapport à leur conduite des dossiers brûlants de la nation. On peut s’étonner que le gouvernement et le Rdpc aient décidé de couvrir et d’apporter leur solidarité à ceux que Haman Mana a appelés dans le quotidien Le Jour « les voyous de la République ».

Clarifications nécessaires

Cette démarche du couple Rdpc/gouvernement amène à questionner clairement la sincérité du discours du président Biya lorsqu’il se pose en défenseur de la paix et de l’unité nationale ; lorsqu’il dit que tous les fossoyeurs de la fortune publique devront « rendre gorge » ; lorsqu’il vante les vertus de la démocratie ; lorsqu’il se dit soucieux du bien-être des populations ; lorsque son parti s’engage à « reconquérir » (en réalité à confisquer) le pouvoir dans l’intention d’achever (?) les grands chantiers lancés ; bref, lorsque M. Biya prétend être un chef d’Etat au service de tous ses concitoyens. En cette veille d’élection présidentielle, du fait de la publication des propos tenus par certains piliers de son régime et par lui-même, tout chef d’Etat soucieux du respect de ses concitoyens se serait senti obligé de leur apporter des explications ou de demander à ses collaborateurs de le faire, pour éviter de brouiller (davantage) son discours. Les problèmes de fond soulevés par les câbles diplomatiques exploités ou publiés par la presse nationale ne touchent nullement à la sécurité de l’Etat et ne portent nullement atteinte aux personnes pour que le Rdpc et le gouvernement se complaisent dans le silence.

Doit-on se complaire dans le silence lorsque les propos d’un vice-premier ministre du gouvernement laissent clairement comprendre que les Camerounais ne sont pas égaux en droits et en devoirs, jetant plus qu’un doute (en fait, renforçant le doute) sur la qualité du processus électoral et excluant des pans entiers de la population de la possibilité, pour l’un de leurs ressortissants à devenir président de la République ? Doit-on faire le dos rond lorsqu’un ministre d’Etat et membre du bureau politique du parti au pouvoir affirme que dans un pays dont la constitution proclame l’indépendance du pouvoir judiciaire, la Justice est aux ordres du président de la République qui s’en sert à volonté pour étouffer les ambitions des politiciens de son propre camp ? Est-il raisonnable d’accepter que des personnalités à la kleptomanie avérée et reconnue par le chef de l’Etat lui-même occupent des fonctions aussi sensibles que le ministère de la Défense, le ministère de l’Economie, qu’elles aient la charge des institutions aussi importantes que la Commission nationale électorale (Elecam), que certaines continuent de bénéficier des promotions en dépit de leurs déviances managériales connues ? Doit-on avaliser indéfiniment le mensonge d’Etat ?

Ces questions et de nombreuses autres que suscite la lecture des câbles de Wikileaks méritent justement des réponses aujourd’hui, en cette veille d’élection présidentielle, pour que le prochain mandat ne serve pas à perpétuer des habitudes qui ont trop longtemps plombé le développement et le bien-être des populations. La presse nationale ne doit pas avoir honte de les poser. C’est une question de RESPONSABILITE. Elle n’a violé aucune règle déontologique en le faisant. Elle s’est en revanche mise au service du public en exerçant son droit à l’information. Elle a servi la démocratie. Les ennemies de la démocratie peuvent continuer à instruire son procès.

© christophe.bobiokono.over-blog.com : Christophe BOBIOKONO


16/09/2011
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