Cameroun/Chief Milla Assoute : »Je me mettrai debout le jour où on enterre Théophile Abéga et chanterai l’hymne national de mon pays »

Cameroun/Chief Milla Assoute : »Je me mettrai debout le jour où on enterre Théophile  Abéga et chanterai l’hymne national de mon pays »Interroger Chief Milla Assouté sur n’importe quel sujet sur le Cameroun, celui qui aspire à la magistrature suprême vous inonde d’informations et de rappels historiques, même si parfois il ne va pas au fond des choses. Ce féru de politique,l'est aussi en sport. Dans l’entretien qui suit, il s’exprime longuement sur le football camerounais, mais surtout rend un vibrant et dernier hommage au « docteur » Abéga , une icône de football africain ,qui sera inhumé dans quelques heures à Yaoundé.

Le sport camerounais en général, le football en particulier vient de connaitre une année 2012 catastrophique. Pire,  il vient de  perdre  l’un de ses meilleurs joueurs de ces 40 dernières années, en la personne de Théophile Abega. Comment réagissez-vous ?

Le Cameroun était parmi les pays à réputation internationale en matière de sport, notamment le football, le seul ciment d’unité nationale qui nous reste. Qu’il soit à connaitre la dégringolade qui est le sien aujourd’hui  fait mal. Où sont les stades de footbal ? Ceux que Ahidjo a laissé sont dans un piteux état… ! Mais je dois aussi vous dire que lorsque je devenais jeune député à 24 ans, les choses comme le football, bien qu’ayant une place importante dans la vie sportive nationale, était considérée comme secondaire dans le développement de notre nation.

Le football a pris beaucoup d’ampleur dans notre pays, c’est bien, mais je crois qu’il est devenu un espace compensatoire d’un manque ; lorsqu’on a tout perdu, on se polarise sur ce qui peut nous donner un minimum d’orgueil, de nous sentir encore homme respecté ; Et c’est ce que ressentent les camerounais aujourd’hui.

Avec la désagrégation du football, ils se disent qu’ils ne sont plus rien au point d’oublier qu’on va leur couper la lumière, que Douala est désormais envahi par des groupes électrogènes, que Yaoundé n’a pas d’eau,  qu’il manque d’eau potable dans de nombreux quartiers depuis des lustres. Notre  football est en train de perdre de l’espace parce qu’il compensait dans l’inconscient collectif par des  effets  jubilatoires de  circonstance, des succès illusoires  parfois  arrosés  d’excès de bière, ces déficits sociaux graves.

Oui, quand quelqu’un gagne une médaille olympique, on doit pouvoir le décorer à la présidence de la république ? si on gagne une coupe d’Afrique, je suis d’accord que le président de la république reçoive les joueurs. Mais en tant que politicien qui ambitionne la présidence de la république de notre pays, je ne suis pas d’accord que le football et les footballeurs occupent un tel espace médiatique dans l’opinion de toute la nation au point d’en faire des référents de succès social pour les jeunes. On n’a jamais vu un pays se développer parce que ses citoyens courent derrière un ballon ; cela n’existe nulle part.

……même au Brésil ?

Cela n’existe pas, même au Brésil. L’ex-président LULA n’a pas développé le Brésil avec des ballons. Le ballon doit garder la place qui est la sienne.

.....néanmoins le Brésil a sa notoriété grâce au football

Je suis d’accord, mais le Brésil est resté un pays très endetté et très pauvre pendant longtemps jusqu’à ce que le président LULA DA SILVA arrive au pouvoir et le propulse vers un développement économique et social admiré de tous aujourd’hui : un pays émergent.

Je pense que le football qui est un sport-roi que j’adore  beaucoup doit garder dans la nation, la place de divertissement et de fierté ; celui de socle de l’unité nationale. Je ne suis pas entrain de dire que c’est mauvais de jouer au football ou de le développer, je jouais quand j’étais jeune, mais je dis que les camerounais doivent un tant soit peu se méfier de ces choses-là qui détournent des vrais sujets quotidiens, qui éloignent du progrès national à bâtir ensemble, par le travail qualifiant et la maîtrise par la jeunesse des technologies complexes.

Quand vous avez fini de regarder un match de football, qu’on vous dit qu’un joueur gagne 200 millions  par mois et que vous devez rentrer chez vous sachant que vous n’avez rien à donner à vos enfants, que se passe-t-il pour vous  qui avez vu le match? Lorsque vous avez fini de boire une bière dans un bar en regardant un match de football et le matin vous n’avez pas d’emploi, ni de perspective d’en avoir un, on revient à la réalité et vous devez vous interroger.

Mais le football,c'est l’opium du peuple, Chief Milla Assouté?

Oui, le football est devenu un exutoire de la misère de rue chez nous.

C’est ainsi partout, Chief

Oui, mais dans plusieurs pays, le football est une activité de divertissement pour tous ceux qui ont réussi. Il faut pouvoir payer son billet pour entrer dans un stade et regarder son spectacle. Or au Cameroun pourquoi les stades sont vides ? Parce que le spectacle a foutu le camp. Quand on a 500 francs, on pense  aux beignets des enfants le matin,  à leur scolarité... Mais si des gens ont réussi, travaillent et qu’il leur manque un  divertissement, ils peuvent se rendre au stade pour regarder un match de football. Je ne justifie pas la désagrégation de notre football, mais je dissocie deux choses : la mauvaise gestion du football, à l’image du Cameroun lui-même, et la place que doit avoir un tel sport de réjouissances dans la nation.

…Parlant de Samuel Eto’o , du capitanat

Le problème n’est pas qu’il soit capitaine ou non. D’ailleurs même, les meilleurs joueurs ont-ils  toujours été capitaines  au sein des Lions indomptables? Je ne pense pas que Roger Milla était le capitaine  des lions indomptables, pour autant il fut l’une des pièces-maitresses et demeure le meilleur joueur du Cameroun. Donc ce n’est pas forcément le meilleur joueur qui porte le brassard.

En revanche, je ne comprends pas parfois l’acharnement des gens sur Samuel Eto’o  qui ressemble parfois à de la jalousie contre un jeune homme qui a réussi ; de même aussi que je ne comprends pas la propension de Eto’o lui-même de croire  que , parce qu’ on a de l’argent, on est au-dessus de tout le monde et qu’on peut insulter, taper sur des gens ; que l’on peut aligner premier ministre, ministre, généraux devant soi ; Ce n’est pas son rôle. Mais j’aime bien le regarder jouer car, il est un modèle à l’effort personnel  pour les jeunes, dans le domaine qu’il a choisi ; ce qui rend tous les camerounais fiers d’avoir un grand joueur. Mais chacun doit savoir que le ballon ne construira  pas les autoroutes, les hôpitaux, les universités, l’électrification , les adductions d’eau…

Mais Chief , c’est le politique qui lui offre l’occasion ?

C’est cela qui est mauvais.

Est-il un super joueur au sein des Lions indomptables ?

Ce n’est pas acceptable qu’il y ait des supers joueurs. Je ne suis pas d’accord que le politique se mêle du sport c’est-à-dire que le président de la république ou le premier ministre téléphone à un footballeur pour discuter de ce qui relève des entraîneurs et des présidents des fédérations !  Ce sont des choses qui réveilleraient Ahidjo de sa tombe.

Regardez les grands joueurs du Cameroun de l’époque. J’ai connu un ancien capitaine des Lions indomptables, l’une des personnes avec qui j’avais crée le courant des modernistes au sein du RDPC, Emmanuel Mvé. IL ne vous dira pas qu’il a été l’ami du président Ahidjo, et qu’il pouvait lui téléphoner du seul fait qu’il était capitaine des Lions indomptables. C’est une autre époque certes, le football n’était pas ce qu’il était aujourd’hui : les joueurs n’avaient pas beaucoup d’argent !! rires.

C’est dommage que l’argent plombe le football, et si l’argent pouvait devenir le foot, de quoi se plaint--on au Cameroun ?

Justement parce qu’ au Cameroun, c’est l’argent qui fait l’homme. C’est dommage que l’argent ait pris le pas sur toutes autres valeurs de la société ; raison pour laquelle je ne suis pas d’ accord que la vie du  football national soit  polarisée  sur un jeune homme que j’apprécie beaucoup moi-même en tant que joueur, de même que je ne suis pas d’ accord  du tout  que  la nation camerounaise soit réduite à se mettre à genoux devant Eto’o pour que le football camerounais puisse briller. Non. Ce n’est pas Eto’o qui a fait le Cameroun, c’est le Cameroun qui a fait Eto’o. Le Cameroun doit être au-dessus de nous tous et continuer de produire des hommes qui réussissent dans les domaines que chacun choisit pour sa vie...

« Je me mettrai debout le jour où on l’enterre et à chanter l’hymne national de mon pays »

Hommage à Théophile Abega

Voilà des gens pour qui j’ai du respect parce qu’ils ont joué sans compter à une époque où le football avait exactement la même importance, sauf qu’il n’avait pas la même emprise sur la vie de la nation. Des footballeurs comme Abéga, il n’y en pas beaucoup. En hommage aux services rendus au football camerounais,  je me mettrai debout le jour où on l’enterre et à chanter l’hymne national de mon pays pour lui. C’est un grand sportif qui a fait gagner sportivement plusieurs fois le Cameroun qui nous quitte.

A votre analyse, pourquoi le football camerounais bat de l’aile ?

En dehors des autres constats évoqués plus haut, deux choses tuent notre football:

D’abord l’ingérence permanente de l’administration dans la gestion du football.
Le ministre des sports doit cesser d’être le ministre du football. Au Cameroun, il y a deux ministres de sports : celui nommé par le gouvernement et celui nommé par la FIFA. Concrètement parlant, Iya Mohamed est le ministre de la Fifa et Adoum Garoua et ses prédécesseurs nommés par Biya. Les deux se battent pour le football.

Or, le sport n’est pas seulement le football. Quand on apprend qu’un ministre a limogé un entraineur national et en a nommé un nouveau, obligeant ainsi le président de la Fecafoot à faire profil bas  parce que, s’il conteste la décision du ministre, le Cameroun sera éliminé de la compétition, en réalité  c’est une voie de fait. Dans ces conditions, il y a déjà une situation conflictuelle car l’entraineur nommé par le ministre ne se sentira pas redevable et comptable devant la Fecafoot. Il y a une insubordination de départ. Par conséquent la Fecafoot peut développer une stratégie opposée. Ce sont les conflits de compétence…

Enfin, ce sont les footballeurs eux-mêmes et la folie de l’argent qui monte à la tête de certains.
Comment sélectionne-t-on les joueurs à l’équipe nationale? Lorsque l’entraineur nommé par le ministre se soumet à Samuel Eto’o pour l’argent, l’équipe nationale qui en découlera ne sera ni celle de l’entraineur, ni celle du ministre, mais celle des amis d’Eto’o. Si lui  Eto’o joue bien, tous ses  amis ne jouent pas forcément bien. Conséquence, ce n’est pas une équipe nationale, mais celle des amis d’Eto’o.


Du coup je proposerai de sortir de cette affaire de professionnels jouant à l’étranger ; l’équipe nationale doit être constituée de joueurs locaux, du moins, dans son ossature centrale, c’est-à-dire avoir au moins 8 joueurs locaux et les former aux grandes compétitions.

Vous proposez donc des quotas dans les sélections nationales?

Biensûr!

Perd-on sa nationalité dès lors qu’on joueur professionnel évoluant hors du triangle national ?

A partir du moment où l’on joue à l’étranger, on est obnubilé par des problèmes financiers, alors que ceux qui jouent sur place ont des choses à prouver à la nation et à l’étranger. Il y a même des joueurs hors du triangle national qui ont perdu leur nationalité au terme de la loi actuelle sur la nationalité  vous le savez!

En transposant votre proposition au plan purement politique, cela voudrait dire que les camerounais de la diaspora n’auraient plus leur mot à dire dans la gestion des affaires du pays. Vous aussi d’ailleurs ? Ce qui donnerait raison à ceux qui vous reprochent le fait de ne pas être sur le terrain pour mener votre combat politique.

Ce n’est pas du tout la même chose. Les camerounais de l’étranger ne gagnent pas leur argent avec leurs pieds pour la politique qu’ils font au Cameroun comme le professionnel du football qui vient jouer en équipe nationale. Le joueur professionnel joue pour le Cameroun en pensant à son employeur qui lui paie 500 mille euros par mois et ne mouillera pas son maillot à fond en risquant de casser sa jambe par patriotisme. Ils viennent jouer en ménageant leurs pieds pour leurs clubs employeurs et carrières. Il suffit de regarder comment ils sont  très brillants en club car s’ils ne jouent pas de la sorte, ils perdraient leur place de titulaire, et par ricochet leur salaire et primes. Et dans l’équipe nationale, jugez-en vous-mêmes ! C’est à cause de l’argent que produisent leurs pieds en club.

J’estime que ceux qui jouent au pays ne sont pas exposés à de tels calculs financiers. Au contraire, ils sont obligés de faire leurs preuves en se donnant à fond, s’ils veulent êtres vus à l’étranger ce qui apporte des résultats et amène les recruteurs à s’intéresser à eux ;  entre-temps c’est le Cameroun qui en profite pour briller.

S’agissant de Iya Mohamed

Je n’ai rien contre lui qu’il soit président de la fédération camerounaise de football ; cependant, j’estime qu’un organisme a toujours besoin de se renouveler. Quand on est resté 20 ans à la tête d’une structure, on doit passer la main pour voir une autre expérience se faire. Qu’est-ce que Iya Mohamed va encore donner au football camerounais après tant d’années passées à sa tête ? Seulement, il se trouve qu’au Cameroun les gens ne quittent pas volontairement leur poste ; peut-être que cela ne dépend pas de lui…Il a tout un réseau qui veut qu’il soit là.

A suivre....

© camer.be : issa-behalal


15/12/2012
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